Marianne, no. 710 - Événement, samedi, 27 novembre 2010, p. 16
Les sondages le donnent battu. Son bilan est catastrophique. Mais le pire président de la Ve République pourrait bien être le meilleur candidat de 2012. Pour le battre et changer le pays, il faudrait rassembler 60 % des Français. Une tâche qui semble insurmontable pour une opposition divisée et mal préparée.
Youpi ! Dans toutes les récentes enquêtes d'opinion, Nicolas Sarkozy serait nettement battu à la prochaine élection présidentielle, aussi bien par Dominique Strauss-Kahn que par Martine Aubry, par François Hollande, que par Ségolène Royal. Il le serait d'ailleurs également par Dominique de Villepin ou François Bayrou si ceux-ci, ce qui est peu probable, l'affrontaient au second tour.
De telles anticipations sondagières vont-elles rendre les républicains et les démocrates euphoriques ? Ce serait redoutable, car, si on passe du statique à l'évolutif, la réalité est singulièrement, et tristement, différente.
Résumons donc, d'emblée, avant de les décliner, cinq observations à la fois rudes et contestables.
Oui, Nicolas Sarkozy peut, malgré tout, être réélu.
Si les oppositions républicaines, et particulièrement celles qui se réclament de la gauche, ne modifient pas leur comportement en profondeur et n'adaptent pas leur discours aux très préoccupantes difficultés qui assaillent le pays, il est même probable que Nicolas sarkozy sorte vainqueur de la compétition électorale.
Une telle réélection, c'est-à-dire cinq nouvelles années de sarkozysme, serait catastrophique pour la France, sa cohésion sociale, son image et ses valeurs.
Une petite victoire, une victoire par raccroc sur Sarkozy, une victoire à 51-52 % des suffrages, constituerait non certes pas une catastrophe équivalente, mais un handicap considérable, dont la République ferait les frais.
S'impose, en conséquence - et cet impératif est devenu incontournable -, la nécessité d'enclencher une puissante dynamique constructive. Voilà qui passe par la désignation d'une personnalité fédératrice, la construction d'un large espace de convergences, et la définition, non d'un simple programme d'alternance, mais d'un projet alternatif mobilisateur.
De ces constats, qu'on ne saurait occulter plus longtemps, découlent une série d'évidences.
Cinq incontournables évidences
La première secrétaire du PS, Martine Aubry, malgré ses qualités intellectuelles et sa force de caractère, aurait, compte tenu du positionnement qu'elle est contrainte d'assumer, beaucoup de mal à battre Nicolas Sarkozy.
La gauche doit prendre conscience qu'elle reste minoritaire. Toutes les enquêtes d'opinion lui accordent 44 % des suffrages au maximum, écologistes compris. Dans certains sondages, des présidentiables socialistes potentiels descendent au-dessous de 20 % des voix au premier tour !
Pour réparer une République cassée, abîmée, démoralisée, pour redresser une France malade, très malade au plan économique, financier, social et même psychologique, il faudra réaliser les réformes véritables que le pouvoir en place s'est refusé ne fût-ce que d'esquisser (sauf dans le domaine universitaire). Il faudra conduire une politique de rigueur mais équitable et juste puisque la situation l'exige. Or, cela nécessite de rassembler au moins 60 % des Français.
La mise en échec du président sortant passe donc, impérativement, par le dépassement des actuels clivages partisans, le desserrement des vieux carcans rhétorico-idéologiques, et la sortie des logiques d'autoenfermement.
En conséquence, tous ceux - pas seulement à gauche - qui privilégient leur besoin égotique d'existence, leurs réflexes d'appareil, la protection de leurs petits territoires, le sectarisme de chapelle ou des exclusives tribalo-claniques concourent à la réélection de Nicolas Sarkozy. Ils le font parfois si sciemment que, si leur attitude devait précipiter in fine cette issue, les républicains démocrates seraient en droit d'exiger qu'ils s'éclipsent de la scène politique.
Invraisemblable paradoxe
Nous sommes, en réalité, confrontés à un invraisemblable paradoxe.
Au moins 65 % des Français rejettent, aujourd'hui, le personnage Sarkozy. Cette opposition très largement majoritaire est devenue en grande partie irréductible.
Si le président était reconduit, il le serait par une population dont les deux tiers ou presque désapprouvent, pour l'essentiel, son bilan, récusent sa personne, n'adhèrent plus à sa rhétorique et supportent mal son mode de gouvernance. En outre, sa victoire exacerberait son narcissisme et son agressivité, il ne pourra plus compter, ni au Sénat ni à l'Assemblée nationale (et l'UMP pourrait perdre les élections législatives...), sur une majorité parlementaire disposée à transformer mécaniquement ses désirs en ordres, alors même que les pouvoirs régionaux et locaux lui seront massivement hostiles.
Dans un tel contexte, les Français découvriraient que la situation économique, financière, mais aussi sécuritaire et migratoire, est beaucoup plus dégradée qu'on ne l'a précédemment admis. Il faudra donc prendre des mesures d'assainissement beaucoup plus brutales et prégnantes que l'opinion ne l'imagine. On conçoit alors facilement sur quelle chaotique instabilité déboucherait une telle cascade de traumatismes dans un pays déjà déboussolé et fracturé. Au point que l'on pourrait comprendre que les ultraradicaux souhaitassent une telle issue favorisant l'instauration d'un climat propice aux troubles de toute sorte.
La reconduction du sortant aurait donc, répétons-le, des conséquences catastrophiques pour le pays. Cependant, il peut l'emporter.
Sauf prise de conscience de ses adversaires, il garde, malgré les apparences, une vraie chance d'être réélu.
Voilà pourquoi.
Pire président, meilleur candidat
1. Certes, Nicolas Sarkozy, à examiner avec lucidité son bilan, les dégâts provoqués par son mode de gouvernance et les régressions consécutives à certaines de ses initiatives, restera sans doute le plus mauvais président de la Ve République. Comparons, dans tous les domaines - finances publiques, commerce extérieur, croissance économique, chômage, logement, enseignement secondaire, délinquance, émigration - les statistiques de 2002, de 2007 et de 2010. Eloquent ! Mais il est également le plus talentueux, le plus performant des candidats à l'élection présidentielle que le monde politique ait produits depuis quelque quarante ans : excellent débatteur, bon acteur, orateur plus que correct, rapide, imaginatif, réactif, agile jusqu'à l'élasticité, capable de s'adapter en un tournemain aux circonstances et, en même temps, hyperorganisé. Il peut tout rater... sauf une campagne électorale.
Martine Aubry, puisque c'est aujourd'hui la candidate socialiste la plus probable, a des qualités qui sont absentes chez son adversaire. Elle ne présente pas la plupart des défauts que cumule Nicolas Sarkozy. Mais ce n'est pas lui faire injure que de reconnaître qu'en matière d'activisme, de sens tactique, d'inventivité propagandiste, de flexibilité offensive et d'efficacité tribunitienne, elle ne lui arrive pas à la cheville.
Ne sortez pas le sortant
2. Nicolas Sarkozy, comme tout sortant, bénéficiera d'un avantage : il exerce et donc connaît le job. Il répétera, à toutes occasions, quitte à reconnaître quelques bévues originelles, qu'il a "appris sur le tas". Il réitérera que cette expérience l'a "changé". Cela lui permettra de se présenter comme "plus adapté à la fonction" que ses concurrents, et surtout que sa concurrente, dont ses sbires ne cesseront de contester, par principe, la "stature présidentielle". C'est certes attentatoire au principe démocratique même ; mais, en particulier sur un électorat âgé, ça peut marcher.
Faut-il rappeler que François Mitterrand et Jacques Chirac, bien qu'ayant connu eux aussi, à un moment ou à un autre, les abysses de l'impopularité, ont été réélus ? Et que Valéry Giscard d'Estaing l'aurait été si Chirac et le RPR n'avaient pas décidé de le faire battre ?
L'appareil d'Etat à son service
3. Etant en place, le candidat président mettra à son service, sans lésiner, l'ensemble de l'appareil d'Etat : préfets, administration, forces de l'ordre, services de renseignements, moyens de transport. Il multipliera les déplacements et initiatives présidentiels destinés à se mettre en situation pour susciter des effets d'image. Des sommes très importantes ont d'ailleurs été accordées à cet effet aux différentes officines de propagande gouvernementale "qui permettront, reconnaissent les experts du Service d'information du gouvernement (SIG), de raconter des histoires susceptibles de valoriser le président".
Ainsi, quand le chef de l'Etat sera "mis en scène", par un réalisateur professionnel disposant de quatre caméras, dans une usine, entouré d'une figuration de cadres et de salariés en bleu de travail disposés comme un choeur de grand opéra, Martine Aubry, elle, sera répétitivement filmée par une seule caméra, en meeting, derrière toujours la même triste tribune et face aux éternels militants brandissant des pancartes ou arborant des slogans puérils sur leur T-shirt.
Parce qu'il est chef de l'Etat, parce que son camp, au premier tour, sera moins divisé que celui d'en face, parce que, à l'occasion de ses grands meetings où il sera conseillé, quand on occupera une fonction officielle, de se faire voir, on fera venir du public de la France entière en utilisant les grands moyens, les réunions publiques de Sarkozy rassembleront une foule plus grande que celle des meetings du (de la) candidat(e) socialiste.
Aucun complexe : le président de la République, avec un cynisme sans pareil, avoue qu'il compte instrumentaliser ses présidences du G20 et du G8 de façon à en faire un outil de reconquête de son opinion intérieure dans la perspective de la présidentielle...
Laissez venir à moi tous les enfants de choeur
4. Du côté sarkozyste - alors même que l'on a, pendant cinq ans, exacerbé tous les antagonismes -, on fera assaut de main tendue ; on multipliera les hymnes les plus convenus aux rassemblements et même, si nécessaire, à l'"unité nationale" ; on feindra d'ouvrir grand, très grand, les bras à quiconque est en mal de reconnaissance ; on ne repoussera personne ; on ne récusera aucune sensibilité, même pas le gauchisme repenti, le communisme fatigué ou le lepénisme déçu ; on flattera qui y est sensible ; on achètera qui est à vendre ; on promettra des postes inexistants à toute personne qui rêve d'exister. On verra, d'ailleurs, apparaître des "écolos pro-Sarko", une pseudo-"gauche sarkozyste", des "centristes et des gaullistes pour Sarko". Ça ne représentera rien ? Ça figurera en bonne place sur toutes les affiches.
De l'autre côté, à l'inverse, qu'entendra-t-on ? L'expression en boucle des rejets et des ostracismes, avec Olivier Besancenot, Jean-Luc Mélenchon, le communiste Pierre Laurent, le numéro deux socialiste Benoît Hamon et son mentor, Henri Emmanuelli, quelques autres encore, tous dans le rôle des grands inquisiteurs. Surtout pas d'alliance avec ceux-ci, pas d'accointances avec ceux-là. Pas d'autre ouverture qu'en direction de soi-même, et encore... Pas de sortie hors du camp retranché !
Ici, donc, aucune limite à l'élargissement et, là, une succession d'appels au rétrécissement. Du moins avant le premier tour. Ça donnera l'avantage à qui ?
Une armée contre des tribus
5. En campagne, le camp Sarkozy fonctionnera telle une véritable armée. Les mêmes qui ruent apparemment dans les brancards, ou font volontiers étalage de mauvaise humeur, se rangeront, surtout face à Martine Aubry, comme un seul homme, sans rechigner, derrière leur leader. Si, en privé, beaucoup d'entre eux n'hésitent plus à déverser des tombereaux d'horreurs sur la tête du chef (dont ils reconnaissent même l'amoralité politique et les faiblesses psychiques), ils rivaliseront en public d'actes d'allégeances et d'éloges dithyrambiques. Même si Hervé Morin se présente au nom du centre droit, il se déchaînera contre François Bayrou et les socialistes bien plus qu'il n'égratignera celui auquel, de toute façon, il se ralliera au second tour.
En face, en revanche, imaginons Martine Aubry candidate. Que se passera-t-il ? Les centristes et les gaullistes d'opposition la dénonceront, pour s'autovaloriser, comme la candidate d'un appareil. Ils lui feront, injustement, précisons-le, un procès en sectarisme. Chaque jour, Olivier Besancenot, Jean-Luc Mélenchon, Pierre Laurent, mais aussi les verts Cécile Duflot et Daniel Cohn-Bendit, la pilonneront, l'étrilleront, lui tailleront des tailleurs sur mesure afin de multiplier les pelotes de laine qu'ils entendent bien tondre sur son dos. On fait généralement son trou, chez ces gens-là, en creusant aussi profondément qu'on le peut dans le jardin du voisin.
Harcèlement classique, mais dont l'effet peut être redoutable si la candidate (ou le candidat) n'est pas spontanément portée par un puissant mouvement fédérateur, si chaque roquette tirée de l'extérieur est relayée par les mines antipersonnel déposées en interne. Or, croit-on vraiment que les socialistes Manuel Valls, Gérard Collomb, Julien Dray, Pierre Moscovici, pour n'en citer que quelques-uns, s'interdiront, à la première boulette, au premier faux pas, de décocher des vacheries qui leur vaudront, illico, d'être invités par toutes les radios et chaînes de télévision, tandis que l'ex-président de SOS Racisme Malek Boutih multipliera les croche-pieds, également médiatisés, qui lui permettront de se réserver une petite niche dans le camp d'en face au cas où ? Aucun nouvel Eric Besson en réserve ? Vous êtes sûr ?
N'en doutons pas : les intellectuels de droite (Luc Ferry l'a déjà annoncé) ne chipoteront pas leur soutien à Nicolas Sarkozy, quand les intellectuels de gauche, eux, grifferont ou souffletteront plus régulièrement qu'ils ne caresseront le (la) candidat(e) de gauche.
Ce contraste entre le camp Sarkozy et ses oppositions, on le retrouvera dans la presse : les journaux de droite, le Figaro en tête, feront barrage à tout ce qui sera susceptible de nuire à leur champion et promotionneront tout ce qui permettra d'affaiblir les adversaires. Les journaux de gauche (ou de centre gauche) tiendront à manifester leur indépendance et leur objectivité, en s'ouvrant à toutes les expressions de dissensions internes, en n'occultant rien de ce qui risque d'affaiblir, voire de plomber, la candidature de celui ou celle qu'ils sont censés soutenir. Souvenons-nous de la candidature de Ségolène Royal en 2007...
La télévision avec moi
6. Nicolas Sarkozy contrôlera, en 2012, directement ou indirectement, près de 90 % de l'audience télévisuelle, la quasi-totalité des grandes chaînes.
On peut, bien sûr, feindre en fait de croire que ça n'a aucune incidence. Cela revient à nier l'avantage que procure, en temps de guerre, la mitrailleuse lourde par rapport au fusil de chasse. Peut-on accumuler, autant que Berlusconi, les bonnes raisons de se faire lapider par les électeurs ? Autant que le Russe Poutine, les motifs d'être par eux désavoué ? Et, cependant, contrôlant l'un et l'autre leurs médias télévisés, le premier, en cas d'élection, garde de bonnes chances d'éviter le pire, quand le second serait plébiscité. Rappelons-nous comment l'Elysée a réussi à instrumentaliser la plupart des médias audiovisuels pour retourner contre Martine Aubry et Ségolène Royal la petite "vanne" de l'une faisant de Sarkozy un "Madoff de l'orthodoxie budgétaire", et le prudent soutien de l'autre aux manifestations lycéennes.
Les chaînes proches du pouvoir, ou celles dont il s'estime propriétaire, ne feront pas "ouvertement" de la propagande en sa faveur. Surtout pas les chaînes publiques où les rédactions et les syndicats exercent un relatif contre-pouvoir. Mais elles diffuseront des "sujets clés en main", et, surtout, donneront le plus d'écho possible à toutes les informations - et il y en aura - susceptibles de miner la position de l'adversaire principal(e) du président sortant.
Récemment, l'un des plus crédibles "candidats à la candidature" socialiste nous disait : "Si on ne rectifie pas notre position à temps, les sarkozystes nous présenteront sans cesse comme des partisans de la régularisation de tous les sans-papiers et des adversaires de toute mesure sécuritaire. Et ça fera mal."
Osez tout, ça avantage
7. Nous l'avons déjà écrit : Nicolas Sarkozy est un "voyou de la politique". Au sens où il ose tout, qu'aucune autocensure ne l'entrave, qu'aucun interdit d'ordre éthique ou philosophique ne le paralyse.
Il a, certes, sacrifié, avec conviction, à la plupart des dogmes néolibéraux. Mais il n'hésitera pas, si nécessaire, à les renier, verbalement au moins. Il est capable, tour à tour, de surfer sur des thèmes lepénistes, de reprendre à son compte des diatribes à la Besancenot, de jouer une petite musique chevènementiste ou de flinguer les orphelins d'Alain Madelin. Ultralibéral avec les patrons, il stigmatisera le capitalisme devant un public de salariés. Il dénoncera le mondialisme tout en exaltant la mondialisation. Il multipliera les prises de parole nationalistes, fustigera les banques, pilonnera la bureaucratie européenne, tout en mobilisant le Medef et les pires spéculateurs financiers en sa faveur. Dans son esprit, tous les coups seront permis. On assiégera les standards téléphoniques des radios à l'occasion des émissions qui donnent la parole aux auditeurs. On formera de véritables commandos d'intervention sur Internet. On fera courir des rumeurs calomnieuses, tout en les dénonçant officiellement.
Nous sommes prêts à en faire le pari : l'adversaire le plus dangereux du président sortant verra, dans telle ou telle enquête effectuée par l'un des instituts de sondage largement financés par l'Elysée, sa cote monter dans un premier temps, puis, soudain, dégringoler durant les dernières semaines décisives. François Bayrou a été victime, en 2007, de cette manoeuvre qui consista à le faire grimper à 22 %, pour le rétrograder ensuite à 12 %. Tandis que, dans la dernière ligne droite, surgiront - heureuse coïncidence - quelques statistiques des plus flatteuses pour le sortant. Le pouvoir sarkozyste sait y faire. La preuve ? Les derniers chiffres sur l'évolution de la délinquance.
Conçoit-on l'avantage que cet amoralisme politique et cette absence de complexe confèrent à un spécialiste des sports de combat face à des adversaires volontiers angéliques, même quand ils utilisent la mauvaise foi ou le double discours ? Les socialistes, au contraire, seront enveloppés comme des momies dans les bandelettes de tous les auto-interdits possibles et imaginables. Il y aura ce qu'on n'a pas le droit de penser sans risquer d'écorner le dogme ; ce qu'on n'a pas le droit de dire, sauf à sentir le fagot du populisme ; ce qu'on n'a pas le droit de proposer ou de défendre pour ne pas exaspérer Pierre, effaroucher Paul ou faire sortir de ses gonds Théodule ; ce qu'on n'a pas le droit d'oser pour ne pas braquer la presse qui est censée vous soutenir ; ce qu'on n'a pas le droit d'imaginer, enfin, pour ne pas bousculer la tendance X ou le courant Y.
...
Tout cela, mieux vaut le savoir pour affronter le président de la République. Nicolas Sarkozy peut évidemment être battu. Il doit l'être. Au-delà même de son impopularité, le terrible handicap que représente son bilan et, surtout, la large prise de conscience publique de ses trucs et de ses menteries l'ont fortement fragilisé.
Mais ce n'est pas une raison pour se raconter des histoires : homme d'Etat consternant, en chef de guerre - car la guerre est son domaine -, il reste d'une redoutable efficacité.
Seule une puissante dynamique fédératrice autour d'un projet mobilisateur, capable de repousser les frontières, de réveiller les ardeurs et de susciter des enthousiasmes, permettra de le vaincre.
Il le faut.
JEAN-FRANÇOIS KAHN
LEURS RIVALITÉS VONT-EL LES L'AIDER ?
Olivier Besancenot
Enfermé dans sa stratégie du refus de toute alliance, le patron du NPA est-il l'idiot utile du sarkozysme ?
Jean-Luc Mélenchon
Fort de son succès, le patron du Parti de gauche sème le trouble, y compris chez ses camarades du PC.
Daniel Cohn-Bendit
Devenu commentateur de foot, l'initiateur d'Europe Ecologie aime plus que tout dribbler ses camarades de jeu.
Cécile Duflot
La secrétaire générale des Verts, adepte du "Je t'aime, moi non plus...", entretient des relations difficiles avec les autres responsables de la gauche.
LEURS DIVISIONS VONT-ELLES LE SERVIR ?
La famille centriste est atomisée. Aux critiques de Bayrou, s'ajoutent celles de Villepin qui ne cache pas ses ambitions présidentielles. Deux antisarkozystes virulents. Borloo et Morin, sarko-dépendants, aimeraient aussi se compter. Une belle cacophonie en perspective.
PS Le grand corps toujours malade
Nicolas Domenach, avec Gérald Andrieu
Le parti n'a pas su répondre au mouvement social. Les présidentiables se regardent toujours en chiens de faïence. Chez les socialistes, le malaise est de plus en plus palpable.
Il n'y aura pas eu de rédemption par le mouvement social. En dépit de leurs ferventes prières, et de leurs ampoules aux pieds, les dirigeants de la gauche ne se seront pas racheté une conduite, ni même une crédibilité en quelques promenades protestataires contre la réforme des retraites. On n'expie pas aussi facilement le péché antisocial de leurs années de complicité passive et active avec les forces triomphantes du néocapitalisme financier.
Pourtant, ils en rêvaient, de ce retour en grâce populaire que la disgrâce présidentielle leur promettait. "Sarkozy, t'es foutu, la France est dans la rue..."
Las. Le chef de l'Etat est toujours là, accroché à l'Elysée telle une bernique à son rocher. La loi injuste, la loi honnie est passée, puis le gouvernement s'est reformé au carré chiraco-sarkozyste. Et pendant que Sarkozy s'en va-t-en-guerre électorale, les socialistes piaillent leurs dissensions et leurs dissentiments, désorientés, choqués, traumatisés par des sondages alarmants, même si les derniers ont été plus réconfortants. On ne dira jamais assez le choc contondant que peuvent provoquer des mauvaises enquêtes d'opinion sur des esprits fragiles...
Tout cela est la faute de Marianne, bien sûr ! L'enquête de l'institut Harris, parue dans le numéro du 13 novembre, était accueillie avec autant de déplaisir Rue de Solferino que de plaisir à l'Elysée. Les sarkozystes et leur chef ronronnaient d'être tout juste distancés par Martine Aubry dans les pires des circonstances, alors qu'à l'inverse les dirigeants socialistes grognaient devant le faible score de leur cheftaine au premier tour (20 %) et son incapacité à rassembler large au second (51 % contre 49 %). Sa courte victoire passait pour défaite et rendait plus cruelle encore une séquence épouvantable, ainsi résumée par un élu qui la soutient : "N'est-elle pas arrivée au bout de son leadership comme première secrétaire du parti ?" Un leadership ? Quel leadership ?
Le poison de la division
Martine Aubry a, certes, réussi quelques émissions, mais elle a manqué à sa mission, tant médiatique que partisane. L'une est liée à l'autre. Si l'on n'assure pas de rayonnement médiatique, ce sont les médias qui vous brûlent. Ses absences répétées ont permis aux socialistes de s'écharper sur le premier texte ou prétexte venus, par exemple celui sur la "convention égalité réelle", impulsée par Benoît Hamon (lire l'article de Gérald Andrieu, p. 26), le grand méchant loup gauchiste accusé de s'être déguisé en père Noël hors de saison. De sa hotte trop généreuse sont sortis d'un coup tous les démons de la division, comme si la première secrétaire était à jamais incapable de les faire rentrer dans leur boîte, ces intenables diablotins à langue fourchue.
Malaise. Colossal malaise... qui s'est répandu à la vitesse du poison dans un grand corps encore malade qui s'imaginait si bien portant. Pourtant, dans toutes les têtes résonnaient encore les cris et les chants d'une unité retrouvée à l'université d'été de La Rochelle. Même Ségolène Royal était rentrée dans la ronde aubryste. Voyez comme on danse... Chantez... Embrassez qui vous voulez... François Hollande pouvait faire son petit pas de deux, grâce à son régime allégé, et Manuel Valls, ses pointes à trois temps, ce qui était charmant mais guère troublant, puisque le pacte de la triade - Aubry, Strauss-Kahn, Fabius - semblait garantir l'avenir. On écrivait même que les socialistes avaient "vraiment envie de gagner". Incroyable ! Un progrès mental considérable par rapport à 2007, quand ils voulaient (faire) perdre Ségolène Royal.
L'esprit de victoire soufflait donc sur des élus de terrain qui semblaient en avoir assez de se satisfaire de triomphes locaux. Ils remportaient même, avec la première secrétaire en tête, un premier succès idéologique notable dans la bataille des retraites : la réforme du gouvernement s'est révélée injuste. A une écrasante majorité sondagière, les Français en ont rejeté l'iniquité, soulignée à loisir par les socialistes qui, dans la foulée, renversaient le fameux et prétendument intouchable bouclier fiscal. Nikè ! ("Victoire", en grec ancien, comme un pied de nez au fameux cri de guerre de Nicolas Sarkozy, "Je les ai tous niqués !".) Jubilation prématurée. La démonstration d'injustice et d'inefficacité de la réforme était suivie d'une cacophonie dodécaphonique particulièrement dissonante sur les contre-propositions socialistes, qui ruinaient toute crédibilité dans l'opinion, et d'abord celle de Martine Aubry.
La première secrétaire du PS n'a pas fait la synthèse, elle a - quand elle se montrait - sauté d'un pied sur l'autre, gauche de gauche un jour, droite de droite sociale-démocrate un autre. La fille de la démocratie techno-chrétienne ou la mère-grand radicale de Benoît Hamon ? La maire de Lille et fille de Delors prête à renoncer ou la présidentiable déterminée qu'elle confie être à ses bonnes heures ? La cheftaine de tous les socialistes qui les guide à l'autoritaire ou l'absente déliquescente ? "Il y a un problème Aubry", s'alarment jusqu'à ses plus proches qui ne comprennent pas sa communication erratique, son intermittence dans le spectacle.
"L'hyperprésident ne tolère pas une "infraopposante"", enrage-t-on Rue de Solferino, comme dans ces provinces où piaffent les baronnets devant sa présence absente. "Comment peut-elle laisser Ségolène Royal monter seule au créneau de France 2 ?" s'interroge l'un, jaloux, et en même temps furieux de voir ses couleurs si mal portées. Alors qu'un autre interpelle : "Comment peut-on gagner en crédibilité si l'on n'a pas à notre tête de chef connu et reconnu ?" L'armée des grands élus s'exaspère de ce commandement qui n'en est pas un. "Un chef, c'est fait pour "cheffer", relève un aubryste de choc. Or, Martine croit encore pouvoir la jouer collectif, la pauvre..." Il n'est pas d'orchestre sans maestro capable de manier la baguette.
Manque de passion
"La pauvre" ne donne plus l'impression de maîtriser grand-chose. Il lui manque l'essentiel : l'autorité du candidat à l'élection présidentielle. C'est lui, ou elle, qui détient la clef de l'édifice institutionnel dans la Ve République. Sans cette légitimité, son statut de chef de parti s'érode au fur et à mesure que s'approchent les échéances décisives. Certes, le PS a toujours eu du mal avec cette notion, cette exigence de la mère de toutes les batailles électorales. Seul François Mitterrand l'avait intégrée pleinement, ce qui avait constitué une de ses forces face à une droite plus fondamentalement monarchiste. Mais la gauche et ses chefs semblent toujours tortiller du désir quand le président sortant, lui, est totalement dans l'affrontement présidentiel.
Il ne s'agit pas que d'une question de posture. La gauche n'a pas besoin d'un mannequin sur qui elle grefferait des bouts de programme concoctés dans ses cénacles yuppies et huppés. Il lui faut une personnalité charismatique qui s'incarne et incarne l'histoire de France dans son histoire personnelle. Son crédit propre ne relèvera jamais du seul discrédit de son adversaire, mais de sa capacité charnelle et spirituelle à s'inscrire dans le roman national et social. La passion de la France, aussi bien que de l'égalité, et même de la fraternité. Une force visionnaire au moins autant qu'une capacité gestionnaire. Guillaume Bachelay, fabiusien de coeur et conseiller de Martine Aubry, touche juste lorsqu'il affirme que "le Parti socialiste ne doit pas seulement se doter d'un candidat, il lui faut trouver un président". C'est la Ligue des champions qu'il devra gagner et non le championnat de France. D'où l'embarras qui ne cesse de croître au PS au moment où se multiplient les candidatures de circonstance ou d'occasion, et où les candidats au titre, eux, se dérobent devant leurs responsabilités. Les poids coq sont déjà sur le ring, sur leurs ergots, pas les poids lourds qui n'en finissent pas de lisser leurs plumes.
Certes, Manuel Valls, Arnaud Montebourg ou Pierre Moscovici, pour ne citer que ceux-là, apportent des contributions intellectuelles qui ne méritent pas la moue distante qu'on leur réserve trop souvent. Le premier, sur l'insécurité, sur l'immigration et la laïcité notamment, a marqué les débats ; le second, sur la VIe République, le capitalisme coopératif et le protectionnisme européen comme premières mesures de la démondialisation, avance dans son livre* des propositions appelées à être reprises. Le troisième a 5 000 "amis" sur Facebook, un nouveau blog, et, blog à part, se révélera très précieux pour redéfinir les principes d'une social-démocratie à la française. Mais il ne s'agit pas seulement d'apporter une contribution estimable : il est question d'une élection à la magistrature suprême ! Même si Royal et Hollande sont dans cet enjeu, la partie est faussée. Il s'agit d'un rendez-vous essentiel, dont on diffère la préparation, alors que nous sommes en pleine crise économique, financière, sociale, morale et spirituelle. Autrement dit, on amuse le tapis, mais ça n'amuse plus guère.
Gaspillage d'énergie
Et DSK, il fait quoi au juste ? Ras le bol d'attendre Godot-minique ! Si la situation est si grave, et elle est ressentie ainsi au PS comme ailleurs, on ne peut plus se satisfaire de scruter ses variations de prunelle et de désir, la progression de ses ridelles comme si elles pouvaient traduire le cheminement de sa pensée vers l'Elysée. La présidentielle est un don de soi tout entier, pas une course de lenteur. Et les candidats à la candidature bousculeront tout dès qu'ils se découvriront, ce qui rend dérisoire la prétention à mesurer la progression au micromillimètre de l'évolution idéologique du parti tant sur la lutte contre l'insécurité que sur l'effort à consentir pour combler les déficits ou sur les innovations à réaliser afin de faire reculer l'hydre néocapitaliste ! Tout sera transcendé, ou naufragé, par le champion que se choisiront les militants et sympathisants enfin mobilisés ! Alors, que de temps, d'énergie, d'intelligences individuelles et collectives aujourd'hui gaspillées...
Certes, on entend bien Laurent Fabius qui ironise : "On ne presse pas le mouvement, on ne se calque pas sur le calendrier de Sarkozy, sinon on finira par reprendre ses idées et par voter pour lui." Mais ce n'est pas Sarkozy qui détermine le calendrier, ce sont les échéances. Pourquoi ne pas le prendre de vitesse pour une fois ? Pourquoi accepter de s'enfoncer dans la déprime d'un leadership inconsistant, fût-il bénévole ? Ce n'est plus sa compétence que Dominique Strauss-Kahn doit démontrer, elle est évidente et supérieure à celle de tous ses rivaux potentiels. Non, ce qui inquiète et interroge les militants, mais lui aussi, sans doute, c'est son envie, son amour de la France, son ambition pour elle qui aille au-delà de ses ambitions pour lui-même, sa capacité à confondre son avenir avec le sien et avec celui de la gauche. Les socialistes ne se donneront pas à un homme qui ne se donne pas, ni à une femme, d'ailleurs, qui s'est fait élire au poste de première secrétaire contre Ségolène Royal en trompetant qu'il ne fallait pas confondre les deux statuts. Erreur funeste qui, cumulée à celle d'un calendrier trop tardif, conduit les militants comme les sympathisants à godiller à l'aveugle d'un non-prétendant susceptible de l'être à un candidat déclaré qui n'a aucune chance de s'imposer, tout en subissant des minipostulants trop arrogants. Jeu d'ombres et trompe-couillons. Pollution et parasitage des débats comme de l'éclosion des talents qui, heureusement pour certains, tel Vincent Peillon, n'ont pas lâché la plume. Lui n'est pas candidat, il sera bientôt le seul...
Bientôt l'épreuve du feu...
Mais le bastion de Solferino tient. "On ne bougera pas", jurent d'une voix mâle les dirigeants du PS, se consolant avec les derniers sondages exécrables pour Sarkozy, qui, selon la Sofres, se prend un 38-62 dans les gencives contre DSK. Un référendum anti-Sarkozy de papier qui est gagné, mais qui ne fait pas illusion. Car, au premier tour, les prétendants socialistes demeurent à un étiage très faible (16 % pour Hollande, 17 % pour Royal, 23 % pour Aubry...). Autrement dit, leur crédibilité n'est aucunement rétablie. Et la présidentiabilité supérieure de DSK (27 %), que favorisent l'éloignement et le silence, demande à subir l'épreuve du feu non seulement de son rapprochement, mais de l'offensive des rivaux - dont certains, comme Jean-Luc Mélenchon, ont un redoutable talent. Sans doute peut-il s'imaginer en géant, mais quand des Pygmées grimpent sur les épaules les uns des autres, ils peuvent faire mal aux plus grands... N.D., avec G.A.
* Des idées et des rêves, Flammarion
Benoît Hamon - L'agent trouble
Gérald Andrieu
Le porte-parole du Parti socialiste travaille-t-il pour Martine Aubry ou, tout simplement, pour lui ? Ange noir ou garde rouge ? Ses prises de position très à gauche en exaspèrent plus d'un...
Fin août, université d'été de La Rochelle. Benoît Hamon est assis sur le parvis de l'Espace Encan, flanqué de deux journalistes. Ils le travaillent au corps. Mais ils n'obtiendront rien du porte-parole du Parti socialiste et chef de file de son aile gauche. Pas le début d'une petite phrase. Bras croisés et sourire aux lèvres, il semble jubiler à l'idée de ne pas déroger à la règle porteuse de cette belle rentrée socialiste : le parti doit apparaître plus uni que jamais. Un mouvement social plus tard, la donne a changé : le même Benoît Hamon est pointé du doigt par une partie de ses camarades. L'agent diviseur, qui a tout gâché, qui a plombé Martine, ce serait lui...
Le nouveau drame solférinien s'est noué vite, en trois temps. Fin septembre, Benoît Hamon invite Olivier Besancenot à l'université d'été du courant "Un monde d'avance", qu'il dirige avec le tempétueux député des Landes Henri Emmanuelli. Ça tousse alors fort dans les rangs du PS. Deux semaines plus tard, il affirme que les socialistes, s'ils revenaient au pouvoir, mettraient en débat le principe des 41,5 annuités pourtant acté dans leur contre-projet de réforme des retraites. Cette fois-ci, cela grogne. Vient enfin le texte sur "l'égalité réelle" que Martine Aubry lui a confié. Désormais, cela hurle franchement du côté de l'aile droite. Les tontons flingueurs entrent en scène : Hollande, Collomb, Valls, Moscovici... Trop étatiste, pas assez crédible, pas financé. Et ces mesures en matière de logement, d'éducation et de services publics, pas hiérarchisées. Les strauss-kahniens n'en rajoutent pas, mais commencent à douter. Et si Hamon était un agent trouble au service d'Aubry ? Et s'il gauchisait le discours du PS pour mieux savonner l'aire d'atterrissage du patron du FMI ? Et s'il essayait surtout de "ressouder ses propres troupes", ajoute un soutien de DSK persuadé que "le discours de Mélenchon doit être séduisant à l'oreille" des militants hamonistes...
Poussé à "candidater"
Hamon en service commandé pour Aubry ? Beaucoup notent le traitement de faveur que lui réserve la première secrétaire au bureau national. Elle qui n'hésite pas à recadrer sèchement Hollande et compagnie dès qu'ils sortent des clous se refuse à désavouer publiquement "Benoît". Son "Benoît" qu'elle connaît depuis si longtemps. Dans une autre vie, il fut membre de son cabinet au ministère de l'Emploi. Dans une autre vie, il fut rocardien aussi. Lui qu'on accuse d'avancer des propositions intenables appartenait à ce courant de pensée qui avait érigé le principe de réalité en dogme au point de ne même plus faire rêver les urnes...
Aujourd'hui qu'il roule à gauche, Hamon assure qu'il n'y a aucun pacte entre lui et la patronne de Solferino : "Me voir en ange noir ou en garde rouge perché sur l'épaule de Martine Aubry est une fable. J'ai simplement l'avantage sur beaucoup d'autres de bien la connaître." Et de répéter sa formule favorite : "J'aurais rendu une feuille blanche qu'ils l'auraient toujours trouvée trop rouge..." Mais il y a, tout du moins, un accord tacite entre eux deux depuis le congrès de Reims et le soutien décisif qu'il lui a apporté du haut de ses 20 %. Un accord que tous les proches d'Hamon assument, de Razzy Hammadi à Marie-Noëlle Lienemann en passant par Henri Emmanuelli. "Il existe un partenariat exigeant : faire que le centre de gravité du parti ne bouge pas, résume Olivier Dussopt, député hamoniste. Surtout à l'heure où ceux qui se posent comme plus réalistes reviennent au pas de charge, voulant faire croire qu'une rigueur de gauche serait plus supportable pour les Français qu'une rigueur de droite..."
Sauf qu'Hamon, qui a misé sur Martine, semble craindre aujourd'hui que "sa" candidate n'aille pas aux primaires. Que faire dès lors ? Il a déjà laissé entendre qu'il pourrait se présenter, mais il en dit aujourd'hui le moins possible. Henri Emmanuelli, lui, ne le pousse pas à "candidater" : "Mais si l'on ne peut pas faire autrement..." S'y prépare-t-il ? "S'il le faut, explique un proche, nous mobiliserons nos réseaux." En particulier les mouvements de jeunesse sur lequel il a la main, lui qui a présidé le Mouvement des jeunesses socialistes. Ces réseaux qui renforcent cette image d'apparatchik glacé, éloigné des réalités du terrain, que prennent soin d'alimenter ses adversaires du moment. Ces réseaux qui font toujours de Benoît Hamon, malgré ses bévues, un précieux allié pour Aubry. Plus puissant qu'un bras droit, son bras gauche...
François Hollande l'inattendu
Denis Jeambar
L'ex-premier secrétaire du Parti socialiste voudrait créer la surprise. Sa discrétion ne doit pas tromper sur son ambition présidentielle. Il prépare le terrain, lentement, sûrement... Il avance au rythme de la tortue et se moque des lièvres.
Plus que Machiavel, Baltasar Gracian et autres grands penseurs de la politique, il faut connaître La Fontaine pour se lancer dans une élection présidentielle et, notamment, la morale du Lièvre et la Tortue : "Rien ne sert de courir, il faut partir à point." L'histoire de la Ve République le prouve : les conquêtes élyséennes ont toujours été lentes et patientes. Les Français ne se donnent jamais à des béjaunes. François Hollande a médité sur ce sujet : depuis un an, il a fixé son cap sur l'Elysée, il avance avec méthode, au rythme de la Tortue, et laisse au favori des sondages, Dominique Strauss-Kahn, la stratégie du Lièvre. Il n'ignore rien des calculs des familiers de DSK : l'affaire est pliée, les sondages ont tranché en faveur du patron du FMI, inutile donc de s'user dans une trop longue précampagne. L'ironie qui pointe parfois dans le camp "strauss-kahnien" lorsqu'on évoque son nom n'affecte pas François Hollande. La fable plaide pour la Tortue. Et l'arrêter ne sera pas une mince affaire.
Ce coriace, en effet, a appris à se battre. En plus, il croit en son étoile. Autant dire que les pronostiqueurs, si prompts dans l'erreur - on se souvient du sort de leurs favoris en 1995 et 2002, Balladur et Jospin, éliminés dès le premier tour -, devraient y réfléchir à deux fois quand ils annoncent un Blitzkrieg DSK à l'automne 2011. La primaire socialiste ne sera pas une aimable partie de campagne, et François Hollande entend bien la gagner avant de se lancer à l'assaut de l'Elysée. Une course à handicaps et en deux temps pour laquelle il a pesé ses chances au trébuchet. Il est conscient que le PS a marqué le pas dans la bataille des retraites, mais c'est Martine Aubry qui en pâtit aujourd'hui ; il ne néglige pas non plus l'ébrouement des éléphanteaux socialistes, les Montebourg et Valls, tout en connaissant, en parfait PSologue, leur poids réel dans le parti ; enfin, il connaît trop Fabius pour croire un seul instant qu'il a renoncé à l'Elysée. Il mesure aussi le défi que représente l'affrontement avec Nicolas Sarkozy, qu'il n'a jamais sous-estimé, et il voit les "difficultés de l'entreprise", si le PS le désigne dans un an. Certes, il ne s'est pas encore officiellement déclaré, mais il se prépare avec une minutie qui rend sa candidature à la primaire inéluctable. Ainsi a-t-il entrepris un discret marathon à travers la France. A l'insu du microcosme socialiste parisien, il sillonne jour après jour le pays tout en étant volontairement avare de sa parole dans les médias : il ne disparaît pas, mais calibre ses interventions à la fois pour cultiver sa dimension présidentielle sur des questions de fond et préserver son capital médiatique. Ses concurrents négligent ce travail de laboureur discret et obstiné qui rappelle celui de Jacques Chirac en 1994. Peut-être le jugent-ils superflu. Ils oublient que la proximité est un atout de campagne. Les onze années passées à la tête du Parti socialiste ont fait d'Hollande une figure majeure de la gauche, le vrai défi qu'il doit à présent relever est ailleurs : il lui faut enfiler les habits de présidentiable.
Prudent et réaliste
Sa "crédibilité" est devenue une marotte. Méticuleux jusqu'à commettre des excès de prudence, il travaille sur un programme structuré et défend des priorités réalistes qui n'ont rien à voir avec le fourre-tout de propositions sur l'"égalité réelle" que vient de présenter le PS et qu'il ne s'est pas privé de critiquer. Lucide sur son image, il s'emploie à se défaire des oripeaux d'apparatchik qui lui collent à la peau, bien qu'il ait quitté la direction du parti depuis déjà deux ans. Il fait le pari de convaincre par un travail de fond né d'une analyse des attentes des Français en 2012 : la présidentielle, pense-t-il, se jouera sur la "normalité", pas dans l'hystérie des sondages ou sur un engouement soudain comme en 2007.
L'envie d'Elysée n'est pas venue, d'ailleurs, à François Hollande sur un coup de tête. Il y songe depuis des années. En 2006, il avait envisagé sa candidature et n'aurait laissé personne y aller à sa place, si, à l'automne de cette année-là, les baromètres de popularité n'avaient pas salué l'envolée de Ségolène Royal, alors encore sa compagne. Réaliste, il laisse passer son tour. Affaire de rapport de forces, évidemment, mais aussi examen perspicace de la situation politique. Le pays sort alors de plus de quinze ans de marasme élyséen. L'usure du pouvoir et la maladie ont terni les dernières années de la Mitterrandie ; la peur des mouvements sociaux a paralysé la Chiraquie. Après avoir essayé, l'un et l'autre, de bousculer la France, ils ont choisi de la caresser dans le sens du poil. Leur âge a fait le reste : ils incarnaient une politique d'un autre temps. Les mutations du monde et de la société au cours des années 80-90 les ont pris de vitesse. Ils n'ont pas été largués mais dépassés.
Gagnant à toutes les élections
En 2006, François Hollande comprend que la présidentielle va se jouer sur la nouveauté et la rupture avec le train-train de la décennie écoulée. De fait, aussi bien Nicolas Sarkozy que Ségolène Royal répondent à ce programme. Ni l'un ni l'autre ne sont prisonniers du passé : le premier épate les électeurs avec son volontarisme échevelé et sa manière de bousculer les convenances ; la seconde les sidère grâce à un culot, une spontanéité et une féminité qui tranchent avec l'éléphantiasis dont est alors victime le Parti socialiste. Hollande pressent que les électeurs veulent non seulement un bouleversement générationnel, mais aussi un changement de style. Plus que lui, Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy délustrent leurs prédécesseurs. Et le spectacle plaît. La preuve : les électeurs vont voter en bataillons serrés. Hollande, qui a flairé cet air du temps, sait qu'il se range parmi les prétendants élyséens plus classiques. Il conclut que son heure n'est pas encore venue. Son ambition le place au-dessus de l'impatience. Car il ne faut pas se tromper sur ce personnage que l'on croit débonnaire. Il est sûr de son talent, de son intelligence, de son destin. Il ne fait pas le malin, ne tambourine guère, pour autant l'élection présidentielle est gravée dans son agenda personnel. François Hollande n'est pas un dilettante de la politique. A bien des égards, il rappelle Georges Pompidou. Le physique les rapproche, une rondeur populaire, même si, ces temps-ci, il a perdu de nombreux kilos. Une intelligence vive de fort en thème - il a empilé les diplômes : droit, HEC, Sciences-Po et l'ENA, dont il est sorti huitième pour intégrer la Cour des comptes -, une authentique passion pour la vie publique et un engagement politique dès 1972 à l'Unef. Un choix personnel. Sa famille, en effet, n'est pas de gauche, plutôt modérée ou gaulliste et antimitterrandiste.
Hollande est normand de naissance, parisien d'éducation, mais il est devenu politiquement corrézien dans ce Massif central où Pompidou envoya Jacques Chirac prendre racine en 1967. C'est, d'ailleurs, face à Jacques Chirac que François Hollande fait ses premières armes électorales en juin 1981, alors qu'il n'a que 26 ans. Malgré la vague rose, il est défait au premier tour avec 26 % des suffrages. Débute alors un long parcours de conquérant. Il faut être crâne pour poser ainsi son sac en plein fief ennemi et défier le ténor de la droite. Ceux qui, aujourd'hui, ne croient pas en lui devraient réfléchir à deux fois sur cet épisode. A moins de 30 ans, on ne se frotte pas à un monstre de la politique sans avoir des rêves fous. Le petit crocodile Hollande est rentré dans la grande maroquinerie Chirac sans qu'on lui fasse la peau. Mitterrand ne s'y trompe pas : il lui ouvre les portes de l'Elysée avant qu'il ne file diriger le cabinet de Max Gallo en 1983. La suite n'est qu'initiatives et conquêtes. Il crée le mouvement des Transcourants en 1984, il est élu député à Tulle en 1988, il enseigne l'économie à Sciences-Po, épouse la profession d'avocat lorsqu'il est battu aux législatives en 1993, préside le club Témoin de Jacques Delors, rentre à la direction du PS et se rapproche de Lionel Jospin en 1995. Encore deux ans et le voilà premier secrétaire du Parti socialiste lorsque Jospin s'installe à Matignon, en 1997. Rue de Solferino, il signe un bail de onze ans. Plus long que celui de Mitterrand, Jospin, Mauroy ou Rocard ! Depuis, toutes les élections lui ont souri : législatives (1997, 2002, 2007), européennes (1999), municipales à Tulle en 2001, cantonales et régionales en 2004. Personne, aujourd'hui, ne peut afficher un tel palmarès.
Certes, il n'a jamais été ministre, mais son curriculum vitae électoral s'apparente à celui de Mitterrand et Chirac. Hollande sait se frotter aux électeurs et les convaincre. Et, sans doute, ne lui déplaît-il pas aujourd'hui que les Lièvres socialistes, à l'unisson de Nicolas Sarkozy, le sous-estiment sur ce terrain-là. En revanche, il dégaine sans hésiter dès qu'on le cherche sur son inexpérience gouvernementale : "Ce qui compte, c'est d'avoir exercé des responsabilités. Et j'ai toujours dit qu'être, durant plusieurs années, le dirigeant de la principale formation politique du pays prépare aux hautes fonctions, confie-t-il au détour d'une page de Droit d'inventaires, un livre publié fin 2009 (Seuil). [...] Schröder et Zapatero, mais aussi Tony Blair sont devenus chefs de l'exécutif sans avoir été membres d'un quelconque gouvernement au préalable."
Réformisme tranquille
Son expérience de juriste le rend précis dans sa stratégie. Un contrat, ça se prépare. D'abord, en donnant confiance aux personnes avec lesquelles on va le signer. Il s'emploie à convaincre en premier lieu les militants socialistes dans son incessant tour de France. Il entretient son capital, car tout ne se passe pas à Paris dans la grande maison socialiste : ses dépendances locales sont désormais des fiefs et les responsables des fédérations départementales ou les élus, des relais décisifs pour la primaire puis l'élection. Or, la plupart des hommes et femmes en place ont été nommés par François Hollande. Il cultive donc son jardin. Et il teste ses idées. Il ne veut pas se laisser enfermer dans des collèges d'experts qui vendent du prêt-à-penser ou se perdre dans un antisarkozysme primaire. Il cherche des rencontres, des discussions à bâtons rompus pour faire jaillir des idées neuves et les inscrire dans un triptyque dont dépend, selon lui, l'avenir de la France : produire plus ; éduquer mieux ; redistribuer juste. Trois piliers d'un contrat simple et clair qu'il entend proposer aux Français.
Tout cela pourrait bien faire de lui le père d'un réformisme tranquille. Réformer pour que la gauche cesse d'être la simple forteresse des droits acquis dans un monde bouleversé. Tranquilliser pour en finir avec le surplace enfiévré et trépignant du sarkozysme. Son destin reste à écrire, mais qui aurait cru, il y a trente ans, qu'il deviendrait le patron de la Corrèze en lieu et place de Jacques Chirac ? Chirac, peut-être. Qui l'apprécie et s'y connaît en batailles présidentielles.
Laurent Fabius - Le réserviste
Vanessa Schneider
L'ancien Premier ministre affirme ne nourrir aucune ambition élyséenne. Pourtant, en cas de forfait des deux favoris actuels, Martine Aubry et "DSK", il pourrait faire l'affaire. Problème : les Français ne l'aiment pas.
Il y a quatre mois, lors d'un dîner entre amis autour de l'ancien Premier ministre, l'un des convives se met à taquiner Laurent Fabius : "Pourquoi ne serais-tu pas candidat à la présidentielle ? Tu es le meilleur !" L'apostrophé joue les coquets, glousse, ironise, proteste, puis, au bout d'un quart d'heure, concède : "Et pourquoi pas ?" Avant de soulever deux obstacles majeurs : sa faible cote de popularité dans les sondages et son pacte avec Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn.
2012, Laurent Fabius y pense plus qu'il ne veut bien le dire. Mieux : il s'y prépare ! Mais chut... L'animal est prudent et surtout réaliste. Dominique Strauss-Kahn et Martine Aubry sont bien mieux placés que lui dans la course et il le sait. "Il faut regarder les choses simplement, nous confie-t-il, dans son bureau avec vue sur la Seine de l'Assemblée nationale. Dans l'esprit public, il y a deux candidats qui tiennent le haut du pavé. Il peut y avoir des circonstances en ma faveur, mais cela reste peu probable." Peu probable, mais pas impossible. En attendant ces fameuses "circonstances", il se pose en "garant de l'unité des socialistes". "Je ne demande rien, précise-t-il, je ne me mets pas en avant, j'aide le plus possible." Depuis qu'ils ont monté ensemble les "reconstructeurs", Dominique, Martine et Laurent se sont fait une promesse : "Nous nous sommes dit : si l'un de nous est candidat, les autres ne se présenteront pas contre lui." Une règle que Laurent Fabius n'entend pas enfreindre. "Sa volonté, c'est que le PS gagne en 2012, assure Henri Weber, un de ses proches. Nous sommes très conscients que, si le PS perd la présidentielle pour la quatrième fois, on va vers une crise profonde et la gauche sera écartée du pouvoir pendant très longtemps." Loyauté donc. Mais l'ex-locataire de Matignon ne peut s'empêcher de se dire qu'en cas de forfait de ses deux amis il pourrait bien faire l'affaire. "Tous les socialistes conviennent que notre candidat devra être de gauche, crédible et avoir envie. Fabius, c'est le trois-en-un, martèle son bras droit, Guillaume Bachelay. Si les socialistes arrêtaient de se faire des noeuds dans la tête, il pourrait être un règlement au problème présidentiel du parti."
22 % de bonnes opinions
Selon ses fans, le député de Seine-Maritime dispose de solides atouts. "Il a une position centrale aujourd'hui au PS, idéologiquement et politiquement, poursuit Bachelay. Il incarne le sérieux de gauche et il a amené la majorité des socialistes sur ses thématiques comme la sociale-écologie, la question républicaine de la laïcité et la nécessaire réorientation des politiques européennes." En plus d'avoir gagné la bataille des idées, les fabiusiens auraient gagné celle des places. Ils squattent, en effet, les bons tabourets de l'organigramme du PS. Outre Guillaume Bachelay, Alexis Daleme, Alain Vidalis, Pascale Boistard, Laurence Rossignol, André Laignel font tourner la boutique. "De façon loyale mais très efficace, s'empresse d'ajouter le député européen Henri Weber. Nous avons eu un rôle déterminant dans le redressement du PS." Laurent Fabius peut également s'appuyer sur de solides réseaux, des amitiés indéfectibles qui vont du philosophe Bernard-Henri Lévy - qui a, le premier, cité son nom comme un présidentiable possible dans les dîners en ville, au cas où DSK, son favori, n'y allait pas - à l'ancien PDG de Renault Louis Schweitzer. Lorsqu'en 2008 Laurent Fabius a racheté la maison de vente aux enchères Piasa à François Pinault, il a pu compter sur l'aide de ses amis de gauche fortunés comme Jérôme Clément, président d'Arte, Charles-Henri Filippi, ancien patron d'HSBC, Serge Weinberg, ancien directeur général de PPR, ou Christian Blanckaert, ancien directeur général d'Hermès. Commentaire d'un de ses proches : "Il a un ascendant durable et total sur sa bande, il est un des rares hommes aussi bas dans les sondages à avoir de telles fidélités." Les sondages ! C'est en effet le point faible de Laurent Fabius. Les Français ne l'apprécient guère. Selon la dernière étude TNS Sofres pour le Figaro Magazine, il voit sa cote augmenter de cinq points... pour atteindre péniblement 22 % de bonnes opinions quand DSK est à 47, Aubry, à 41, Hollande, à 32. "Les gens ne l'aiment pas, concède un de ses amis. Il n'a pas la fibre populaire, il n'y arrive pas, même s'il prend sur lui." Pour Bernard-Henri Lévy, qui est persuadé, depuis qu'il l'a rencontré à l'école normale qu'il sera un jour président de la République : "Nous sommes dans une période populiste qui est défavorable à des personnalités comme Fabius. Ce qui marche, c'est Mélenchon." Mais le philosophe de nuancer : "On peut être élu sans être aimé, Giscard et Mitterrand en sont deux exemples." Guillaume Bachelay ne dit pas autre chose : "C'est un faux problème cette histoire de popularité sondagière. C'est la candidature qui fait la popularité. En 1980, Mitterrand n'était pas favori des sondages, il a finalement été élu." Il suffit d'y croire.
Et de ne pas être pris au dépourvu, si les "circonstances" deviennent favorables. L'ancien Premier ministre s'entraîne pour rester à son plus haut niveau. En 2007, il confiait vouloir être un "sage actif", il est plutôt aujourd'hui un "actif sage". Très actif même. Tournées en province dans les fédérations PS, voyages à l'étranger, il s'est vu, en outre, confier l'organisation de la convention internationale du parti et le débat sur les collectivités territoriales. "C'est un champion olympique, commente Henri Weber. Il se maintient au mieux de sa forme sur les affaires du monde. Quand il a besoin de s'informer ou d'affiner sa position sur les relations internationales, l'Europe ou les retraites, il organise une réunion avec les meilleurs spécialistes. Il se tient prêt pour toute éventualité." Et si l'opportunité ne se présente pas, Laurent Fabius s'en remettra, lui qui s'est déjà relevé de tant de choses. "Je ne suis pas obsédé par ça, dit-il dans un grand sourire. On peut très bien vivre sans être président de la République."
PS N'oubliez pas le programme !
Philippe Cohen
Europe, protection sociale, insécurité, immigration : autant de domaines où on attend en vain des idées crédibles. Inventaire des lacunes socialistes.
C'est entendu : la bataille contre la réélection de Nicolas Sarkozy dépendra de la personnalité de celui ou celle qui l'affrontera. Mais la gauche, ou, plus largement, l'opposition, doit-elle se concentrer sur un problème de casting ? L'antisarkozysme n'est pas une politique. Pour gagner, le challenger du président doit être porté par des idées et un projet crédible. Or, sur ce plan, non seulement la gauche ne séduit toujours pas, mais elle part au combat avec un handicap.
On pouvait croire qu'en réhabilitant l'Etat, la crise redonnerait des couleurs à la gauche. Dans un dialogue roboratif, Marcel Gauchet et Jacques Julliard constatent avec raison qu'il n'en a rien été (1). Pessimiste mais lumineux, le philosophe italien Raffaele Simone (2) dresse un inventaire des problèmes qui ont échappé à deux générations de dirigeants de gauche, de la mondialisation à la catastrophe écologique, en passant par l'immigration de masse et l'islam radical, etc.
La situation du Parti socialiste s'explique largement par ce constat de carence, lui dont les responsables hésitent entre deux postures également dommageables : le remords de la social-démocratie d'avant et celui de la troisième voie blairiste, deux voies politiques aujourd'hui frappées d'incurie. Le modèle social-démocrate est en panne, même s'il a encore de beaux restes en Europe du Nord, où il bénéficie d'économies organisées autour des richesses naturelles et de spécialités industrielles à l'oeuvre dans des petits pays. Et chacun peut constater les piètres performances économiques du modèle blairiste en Grande-Bretagne, en Irlande ou même en Allemagne, où la croissance reste anémiée et le pouvoir d'achat, déclinant.
La "panne d'imagination réformiste" crainte par Marcel Gauchet prend au PS la forme d'un catalogue de mesures qui, sans être toujours idiotes, lui évitent d'examiner deux choix politiques déterminants : que peut faire la France dans la mondialisation ? Comment imposer en Europe une alternative politique au modèle allemand qui est en train d'emmener l'Union européenne dans le mur ?
A défaut de définir une stratégie cohérente pour desserrer l'étau de la dette et du déficit extérieur, la gauche s'expose à une critique classique de la droite, relayée par François Hollande, Pierre Moscovici ou Manuel Valls : avec quoi allez-vous raser gratis ?
Poursuivons à présent l'inventaire des angles morts du projet socialiste.
Europe
Le PS dénonce la Commission qui "dérégule les marchés au lieu de mettre en place les instruments de régulation". Il envisage de "se réapproprier des tarifs extérieurs communs en cas de non-réciprocité". Mais comme ce mot est intraduisible en chinois, et que l'Allemagne, qui mise sur les exportations au détriment de sa consommation intérieure, y est cardinalement opposée - comme d'ailleurs DSK -, on ne voit guère comment pourrait advenir le règne du "juste échange" espéré par Hamon ou Montebourg (4). Les socialistes préviennent donc qu'"il faudra beaucoup de temps et d'énergie". Mais la patience est-elle un programme pour les dizaines de millions de Français qui subissent la mondialisation ? Et pourquoi ne pas remettre en question la gestion de l'euro, qui ponctionne le pouvoir d'achat des Européens ? Pourquoi prôner un Fonds monétaire européen sans le dégager des marchés financiers en proposant aux Européens d'épargner eux-mêmes pour l'avenir du continent ? Pourquoi ne pas imaginer, comme le fait Montebourg, une dose d'inflation pour soulager l'endettement des pays européens ?
Industrie
En principe, le PS est aujourd'hui persuadé, comme l'UMP ou le MoDem, qu'"il n'y a pas d'économie forte sans industrie forte". Mais on ne voit guère comment ils entendent mettre fin aux délocalisations ; l'expert PS André Gauron (5) continue de prêcher dans le désert. Là encore, les socialistes s'en remettent à la bonne volonté, chimérique, d'une politique industrielle européenne. Un bon point cependant : ils semblent enfin avoir intégré que notre économie ne dépendait plus de la santé des groupes du CAC 40, qui ne paient que 8 % d'impôt sur les sociétés grâce à Jean-François Copé, mais du réseau des PME et des TPE.
Retraite et protection sociale
S'il revient au pouvoir, le PS rétablira la retraite à 60 ans, ce qui coûtera entre 25 et 45 milliards d'euros par an entre 2010 et 2025. Possible, à condition de faire reculer le chômage, point sur lequel le programme de la gauche n'est qu'à peine plus crédible que celui de la droite. Mais le risque est alors grand de choisir la retraite contre le reste de la protection sociale : l'indemnisation du chômage, la santé, deux secteurs dans lesquels le déficit risque de croître.
Territoires
Formidable idée que d'en finir avec la brisure entre "un archipel métropolitain aspiré par le turbocapitalisme et un arrière-pays rural condamné à la marginalité sociale" (6). Formidable aussi l'idée de "bouclier rural" qui garantit aux citoyens la même qualité d'électricité ou d'accès au numérique. Sauf que, dans sa pratique quotidienne ou le profil de ses représentants, le PS tourne le dos à ces 12 millions de Français qui n'habitent ni la ville ni la banlieue. Cette France muette des petits agriculteurs, des employés, retraités modestes et petits cadres, reléguée à la grande périphérie des villes, qui peine à boucler un budget avec 1 800 ou 2 000 €, reste considérée comme le résidu du pays d'avant, alors qu'elle héberge les premières victimes de la mondialisation, comme l'a bien démontré Christophe Guilly (7).
Insécurité
La montée de l'insécurité est désormais reconnue par le PS dans son ensemble. Mais le texte adopté lors de sa récente convention sur le sujet est tout entier traversé par l'obsession de ne pas coller à ce qui est supposé être "l'atmosphère sécuritaire", et se contente d'intentions et de mesures très générales, fondées sur un optimisme déconcertant sur la prévention et la réinsertion des délinquants. Tandis que les policiers, eux, doivent se préparer à un "contrôle des contrôles d'identité" (8).
Logement
Le simple constat - objectif - de la pénurie et de la spéculation ne suffit pas pour sortir d'une situation inextricable qui voit les ménages modestes consacrer 50 % de leurs revenus au logement. Et, s'il est légitime de combler le retard de construction en mobilisant les fonds prévus à cet effet, la fin de la pénurie n'entraînera pas la fin de la spéculation ni l'inflation des loyers, pour la bonne raison que les deux phénomènes ne concernent pas les mêmes territoires : la spéculation se concentre dans les villes où les loyers augmentent tandis que l'on ne peut construire qu'à la grande périphérie des métropoles.
Ecole
Plus de moyens (surtout dans le primaire), plus d'éducateurs, plus de pédagogie, telles sont les trois priorités du texte de Benoît Hamon - et du programme d'Hollande. Voilà peut-être un moyen de regagner la clientèle électorale enseignante. Et encore : Chevènement et Bayrou, plus critiques, ont été populaires lors des deux derniers scrutins présidentiels. L'approche réitère l'erreur du tandem jospinien Allègre-Meirieu qui voulait mettre l'enfant "au coeur du projet éducatif". Bref, le plus sûr moyen d'accroître la coupure, qui devient abyssale, entre des parents qui veulent de l'apprentissage et de la discipline et une génération de pedagos qui cherchent à s'en affranchir.
Résultat : la privatisation rampante de l'éducation, les parents allant chercher à l'extérieur de l'école, via le soutien, le coaching ou même le privé, les performances que l'école n'est plus capable de leur promettre.
Immigration
En ce domaine, la doctrine socialiste n'est que vertueuse. On proclame toujours que "l'immigration est une chance pour la France" sans évaluer les limites des capacités d'intégration du pays. On soutient les sans-papiers sans dénoncer la rude concurrence sur le marché du travail et le niveau des salaires que fait peser l'arrivée annuelle de près de 200 000 personnes.
Des droits pour tout le monde
C'est l'un des aspects dominants du nouveau PS : le droit non plus acquis mais "à acquérir" se décline auprès des femmes, homosexuels, handicapés, minorités visibles, banlieusards, chômeurs, jeunes, etc. L'adoption est ainsi promise à "tout couple présentant un projet parental cohérent" (!). A défaut de s'occuper des droits des travailleurs, le PS se concentre sur les droits sociétaux. Et, comme l'UMP, le PS veut la diversité partout. A la télé, à l'école, dans l'enseignement de l'histoire, etc.
Laïcité
Le mot ne figure même pas dans le texte proposé par Benoît Hamon. P.C.
(1) "Face à la crise : Sarkozy et les forces politiques françaises." Le Débat n° 161.
(2) "Pourquoi l'Occident ne va pas à gauche." Le Débat n° 160.
(3) "Convention égalité réelle", p. 26.
(4) Des idées et des rêves, Flammarion, 2010.
(5) "L'industrie a-t-elle encore un avenir en France ?" Note du Laboratoire social d'actions et d'innovations de réflexions et d'échanges.
(6) "Convention égalité réelle", p. 31.
(7) Fractures sociales, Bourin, 2010.
(8) Convention nationale sur le nouveau modèle économique, social et écologique.
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