vendredi 26 novembre 2010

OPINION - Péchés et bougeotte constitutionnels - Élie Barnavi

Marianne, no. 710 - Carte blanche, samedi, 27 novembre 2010, p. 44

Les élections de mi-mandat aux Etats-Unis et le psychodrame du remaniement en France invitent à réfléchir à ce qui apparaît comme une sorte d'inadéquation des institutions de ces deux grandes démocraties aux défis du monde contemporain. Les commentateurs s'intéressent aux hommes, aux programmes des partis, aux jeux du pouvoir - toutes choses évidemment importantes, qui font la trame de la politique au jour le jour. Mais on devine que des phénomènes plus profonds sont à l'oeuvre, qui échappent aux radars des journalistes et des politiciens. L'un tient au temps, l'autre, à l'équilibre des pouvoirs ; les deux sont évidemment liés.

Aux Etats-Unis, une constitution rédigée voilà plus de deux siècles dans une Amérique rurale régit toujours une superpuissance globale postindustrielle. Comment s'étonner qu'elle soit désespérément et nécessairement en retard sur le temps de réaction des marchés financiers, de la circulation de l'information, des mouvements d'humeur des opinions ? L'homme-le-plus-puissant-de-la-planète a moins de pouvoir effectif que le moindre dictateur du tiers-monde. Elu pour quatre petites années, le président américain met la première à apprendre son job, dépense la deuxième à affronter les élections au Congrès, et n'a pas de trop de la troisième pour préparer sa réélection. On se demande quand il gouverne, occupation qui exige un tant soit peu de réflexion et de planification à long terme. Encore heureux s'il dispose d'une majorité dans les deux chambres du Congrès, dont l'une - la Chambre des représentants - tient les cordons de la bourse, cependant que l'autre - le Sénat - a la haute main sur les traités internationaux et la nomination des personnages clés dans la haute administration civile et militaire et la justice. D'ailleurs, une coutume absurde veut qu'une majorité simple n'y suffise point. Equilibre des pouvoirs ? Allons donc.

En France, c'est encore pis. De Gaulle, qui savait qu'on ne gouverne que dans la durée, a sagement fixé le mandat présidentiel à sept ans. Mais la Constitution de la Ve République était taillée à sa mesure. Lui parti, les défauts de ce régime étrangement hybride sautaient aux yeux. Pourvu d'une majorité parlementaire, le président est tout-puissant et l'Assemblée nationale, une potiche ; en période de cohabitation, il n'a plus qu'un pouvoir de nuisance. S'il a du temps devant lui, il ne lui sert plus à grand-chose. Dans les deux cas de figure, l'équilibre des pouvoirs est rompu. Et puis, sept ans, c'est bien, quatorze, en démocratie, c'est trop.

On a alors institué le quinquennat. Lourde erreur. Plus l'histoire s'accélère, plus il faut de la durée pour en maîtriser l'emballement. Grave péché contre le temps, on a fait le contraire, alors qu'il eût fallu garder le septennat, mais à un coup. En faisant du président le chef indiscuté de la majorité, désormais quasi automatique, on a ajouté de la confusion dans l'équilibre des pouvoirs. Car la logique présidentielle aurait voulu que l'on supprimât le poste du Premier ministre. La dyarchie a toujours été une forme bâtarde de gouvernement, et cela quel que fût le régime politique. En démocratie, les deux dyarques tirent tous deux leur légitimité du suffrage universel, l'un endossant la responsabilité devant l'Assemblée mais sans bénéficier de l'autorité que cela suppose en régime parlementaire, l'autre exerçant la plénitude du pouvoir mais sans le véritable contrôle parlementaire en vigueur en régime présidentiel.

Aux Etats-Unis, le caractère sacré de la Constitution rend peu probable qu'on ose y toucher. On est moins inhibé en France, où l'on en compte 16 et autant de remaniements de la dernière. Il serait bon que cette audace, ou cette bougeotte constitutionnelle, comme on voudra, servît une fois de plus.

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