mercredi 3 novembre 2010

DOSSIER - Sarkozy et sa cour




L'Express, no. 3096 - COUVERTURE, mercredi, 3 novembre 2010, p. 1

Les courtisans de la Ve République. Pourquoi il doit s'en débarrasser...

Sarkozy et sa cour

CHRISTOPHE BARBIER

Le président profitera-t-il du remaniement pour faire une révolution de palais ? Dans un livre dont L'Express publie des extraits, Dominique de Villepin l'accuse de se tromper de gouvernance. Pendant ce temps, ce sont les villepinistes que le chef de l'Etat courtise...

Nicolas Sarkozy devrait lire Dominique de Villepin. Derrière le combat politique, il y a, dans la pensée de cet adversaire résolu, le vade-mecum pour 2012, ce qu'il lui faut changer en sa gouvernance afin de vraiment présider, mériter d'être réélu et pouvoir continuer à réformer le pays. L'esprit de cour, sous le velours d'une thèse qui balaie les siècles, est d'une violence sans pareille contre le "système Sarkozy", bistouri qui met à nu nerfs et viscères du pouvoir actuel. Il dépasse l'habituelle et sommaire comparaison entre Sarkozy et Bonaparte pour inscrire le chef de l'Etat dans une continuité historique et le peindre en parangon de comportements séculaires.

Un monarque qui s'épuise dans l'art de séduire

Selon Villepin, l'actuel président est parvenu à être à la fois monarque absolu et premier des courtisans auprès d'une reine nouvelle : l'opinion. Le souverain en sa cour "a la peur comme moyen, l'argent comme fin et le spectacle médiatique comme théâtre de sa mise en scène narcissique. La politique n'y est pas perçue comme un levier, encore moins comme un idéal, mais comme un marché où l'on achète et brade les hommes comme les idées en fonction de l'intérêt du moment". Mais, souvent, "Nicolas Sarkozy n'est pas tant le monarque offert aux regards que le premier des courtisans, qui s'épuise dans l'art de séduire l'opinion".

Ce double corps du roi à la manière Sarkozy, absolu avec son entourage, servile face aux sondages, a eu besoin pour s'épanouir de l'hyperprésidence, cette concentration de tous les pouvoirs à l'Elysée. Si le chef de l'Etat se flatte qu'on ne l'appelle plus, sous son mandat, le "château", c'est parce qu'il n'est plus un lieu distant et impressionnant, telles les forteresses de la féodalité ou le Château de Kafka. On entre facilement à l'Elysée parce que tout s'y décide et tout s'y passe : le plein pouvoir est de plain-pied. L'extinction de Matignon et des ministères fait le triomphe des conseillers élyséens, plus puissants que les membres du gouvernement et sans autre existence que la faveur du maître.

Lentement usés, aspirant à d'autres conforts, ayant remisé l'esprit de conquête des années 2004-2007, quand ils avaient la franchise comme glaive et la fidélité comme bouclier, les collaborateurs du président sont devenus son premier ennemi. "Le malheur du sarkozysme, commente Villepin en marge de son ouvrage, c'est que les gens les plus proches de lui ne sont pas capables de lui dire la vérité." La flatterie qui rassure, le "tout va bien" lénifiant trompent Nicolas Sarkozy sur l'état du pays et sur l'humeur du peuple. Son cabinet devrait être l'avocat du pays et le confessionnal des corps intermédiaires, il n'est plus qu'une chambre d'écho pour un grand silence coupable, celui des mensonges par omission.

C'est pourquoi l'essentiel du changement doit advenir à l'Elysée : plus qu'un remaniement, c'est une révolution de palais qui est nécessaire à la France. Il faut modifier l'hyperprésidence, en confiant d'autres tâches à Claude Guéant et en rendant un vrai pouvoir à de vrais ministres. "Il y a intérêt dans le gouvernement à avoir des gens qui existent, recommande Edouard Balladur. Le problème, ce sont les béni-oui-oui." Depuis quatre mois, le remaniement annoncé a porté à incandescence les phénomènes de cour. Les bassesses le disputent aux courbettes, chacun se déploie pour être promu, sauf ceux qui se terrent en espérant qu'on les oubliera tant qu'on omettra de les virer... "Intriguant pour parvenir, conservant pour demeurer" : Maurepas vu par Villepin, c'est aussi la définition du ministre qui pense remaniement plus que réforme.

L'autre changement qui s'impose à Nicolas Sarkozy, c'est l'abolition de la peine de peur. "Le pouvoir et la peur sont les deux piliers de la servilité des élites", note Villepin. Jean-Paul Huchon, qui dirigea le cabinet de Michel Rocard, compare : "La cour sous Mitterrand, c'était le temps de la complaisance ; sous Sarkozy, celui de la terreur." On l'a vu lors des évictions de ministres en juillet, on le voit avec le supplice du remaniement, Nicolas Sarkozy "humilie trop mais ne punit pas assez", selon le mot de la reine Hortense sur son beau-père Napoléon.

Lucide sur l'état de la France, volontaire face aux chantiers à mener, réformateur dans l'âme, Nicolas Sarkozy commet depuis trois ans la même erreur : il croit que le succès est une suite d'habiletés, alors qu'il est une combinaison de courages. Tel est le syndrome de la cour.


Présidents et courtisans

Les hôtes de l'Elysée n'ont pas tous sacrifié à l'"esprit de cour", juge Villepin. Florilège.

Giscard : le début de la fin

Pour rester sur la matrice qui nous occupe, je ne peux que constater à quel point sa présidence - on a envie d'écrire son règne - évoque l'Ancien Régime dans le sens péjoratif du terme. Par son histoire personnelle et familiale, Valéry Giscard d'Estaing incarne la fascination de la grande bourgeoisie pour la noblesse ancienne, fascination à laquelle, comme Jacques Chirac, j'ai toujours été étranger pour ne pas dire hostile. Par son langage, son attitude et sa diction, qui fera la joie des chansonniers, le nouveau président ne manque pas d'étonner quand il n'irrite pas en confondant le fait d'être hautain avec la hauteur et la prestance avec le snobisme. Beaucoup critiqueront son admiration pour la personne et le règne de Louis XV, révélant en creux un narcissisme contraire à la modernité qu'il prétendait incarner.

Sa présidence est également passée à la postérité par son observation sourcilleuse d'un protocole qui l'amenait, par exemple, à se faire servir avant certains de ses hôtes, choquant à juste titre ses visiteurs et nous couvrant, à travers lui, de ridicule. Le constat est d'autant plus accablant que cette mise en scène d'un autre âge voisine avec une volonté criarde de proximité qu'illustrent les "dîners" chez les Français ou l'invitation à petit-déjeuner des éboueurs, sans oublier, bien sûr, les solos d'accordéon. On assiste en réalité au spectacle malsain d'un pouvoir qui croit devenir populaire en "faisant peuple" et tente de compenser par la mise en scène de l'image son déficit d'imaginaire. Valéry Giscard d'Estaing a pu souffrir de l'obsession de sa place dans l'Histoire, au mépris de la prise en compte de la psychologie des hommes. Toujours désireux de tutoyer les sommets, l'homme qui avait côtoyé le général de Gaulle ne mesurait peut-être pas suffisamment combien nous avions changé d'époque, dans un temps où un homme ne pouvait plus à lui seul prétendre faire l'Histoire, sans paraître coupé des réalités.

Chirac ou l'anticour

Pour les élites politiques, économiques, administratives, médiatiques et intellectuelles qui avaient choisi Edouard Balladur, l'élection de Jacques Chirac résonne comme un coup de tonnerre. C'est en cela qu'elle marque une rupture avec la dérive de la Ve République depuis 1965. Pour la première fois, un président de la République est élu contre les avis et les pronostics quasi unanimes du système. Le choc est d'autant plus rude que le nouvel élu n'a jamais respecté les codes. "La courtisanerie, dit-il, c'est comme la mauvaise herbe, elle se fauche." A l'esprit de cour Jacques Chirac avait ses antidotes personnels. Dès qu'il sentait approcher le cynisme, la flatterie ou le jargon de la technocratie, il inventait tantôt un légendaire instituteur de Corrèze qui, prétendait-il, lui avait ouvert les yeux sur des projets fumeux, tantôt un maire d'un petit village au solide bon sens. Ou alors il en appelait aux mânes du père Queuille, incarnation du radicalisme d'une IIIe et d'une IVe République les deux pieds sur terre. Quand je l'entendais invoquer ces figures tutélaires, je savais qu'il resterait campé sur ses convictions. [...].

Ce fut du secrétariat général à la présidence que je découvris le rapport trouble que l'ensemble des élites entretient avec le pouvoir. Il était d'autant plus curieux à observer que Jacques Chirac souffrait d'un excès d'isolement et que j'essayais, avec d'autres, de nous frayer un chemin en cherchant de nouveaux appuis parmi les intellectuels, les politiques, les industriels, et même au sein de l'Etat. Je fus notamment frappé par le fatalisme que je rencontrai chez la plupart de mes interlocuteurs qui prenaient mon impatience pour un dérèglement de la raison et ne tardèrent pas à me faire passer pour une sorte de barde illuminé, dépourvu de sens politique. Ce constat était parfois même relayé au sein de la maison Elysée, où je ne comptais pas que des amis et où ma détermination et ma loyauté envers le président de la République me valurent le surnom de "phalangiste".

Sarkozy : le premier des courtisans

La rupture, c'est une revanche, que traduisent le désir de la transgression et le goût de la surenchère. Il faut que la victoire soit totale, que le vaincu se soumette. Revanche personnelle, mais aussi revanche contre l'histoire de France, contre tout ce qu'elle porte. Rien n'est épargné par ses attaques : le modèle social né de la Libération, l'Etat, qui a construit la nation, les principes républicains. Le sarkozysme représente la France vue d'en haut, du point de vue d'élites qui voudraient refaire la nation à leur image, ou plutôt à l'image de leurs intérêts. C'est ainsi qu'il apparaît dans la campagne de 2007, brillamment orchestrée, en condottiere néoconservateur. Il passe de la théorie à la pratique l'année suivante. Lorsque, à Saint-Jean-de-Latran, il évoque avec la laïcité positive le rôle du curé, plus important que celui de l'instituteur. Lorsque, à Dakar, il moque l'homme africain, qui n'est pas entré dans l'Histoire. Lorsqu'il décide le retour dans le commandement intégré de l'Otan, comme si c'était une façon de nous mettre à l'heure du monde. Lorsqu'il défie les principes de notre droit : proportionnalité des peines, non-rétroactivité, responsabilité individuelle, égalité des citoyens devant la loi.

Mais il y a une seconde dimension, présente dès le départ et révélée aux yeux de tous après la crise économique, qui invalidait en fait toutes les hypothèses de 2007. Désormais, il privilégie l'instrumentalisation des peurs et érige la division en méthode à travers l'activation des clivages idéologiques, la stigmatisation des immigrés ou de l'islam et la recherche de boucs émissaires. Cette vindicte masque une approche utilitaire et opportuniste de la politique, qui, conformément à l'esprit de cour, juge d'une action en fonction de son intérêt immédiat et de son apport tactique. L'ouverture gouvernementale va dans ce sens, de même que les provocations et les formules chocs telles que le "Kärcher" ou la "racaille". Il en va de même pour la récupération de l'Histoire à l'école, avec la lecture annuelle de la lettre de Guy Môquet. Pour la première fois, le pouvoir se confond avec la cour. Mieux, le pouvoir se fait cour. Voilà le paradoxe. Nicolas Sarkozy n'est pas tant le monarque offert aux regards que le premier des courtisans, qui s'épuise dans l'art de séduire l'opinion, qu'il a érigée en nouveau souverain en lieu et place du peuple. Je n'oublie pas la confidence de Nicolas Sarkozy, à Matignon, au matin du second tour, alors qu'il me présentait la composition de son gouvernement. Lui faisant savoir une nouvelle fois ma vive opposition à la création d'un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale, il ne me cacha pas qu'il avait bien pensé y renoncer, mais que ses spécialistes des sondages lui avaient fait valoir qu'il perdrait immédiatement les nombreux points et soutiens qu'il avait gagnés pendant la campagne avec cette promesse. Comme toujours avec le nouveau président, ce comportement traduit une sincérité certaine. L'homme n'a pas de surmoi et veut être aimé pour ce qu'il est. Il s'est forgé une vision de la France qui lui ressemble, c'est-à-dire individualiste, avide de réussite sociale et personnelle, obsédée par les biens matériels et indifférente à l'Histoire. Il déteste la retenue inhérente aux élites traditionnelles, dont il fustige depuis longtemps l'hypocrisie et la ringardise. L'homme martèle qu'il a tout conquis, sans que jamais rien lui fût donné, et pense que derrière chaque Français il y a un entrepreneur qui sommeille. C'est oublier que le pouvoir suprême oblige à la hauteur et à l'exemplarité pour espérer commander le respect. Aux antipodes de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy a d'abord dévalorisé la présidence en la surexposant médiatiquement. Il l'a également rabaissée par ses dérapages verbaux, sur lesquels je ne m'appesantirai pas, pas plus que sur l'étalage de sa vie privée, justement parce qu'elle doit rester privée. [...].

Enfin, l'hyperprésidence a poussé au paroxysme les pratiques de cour. A défaut de réellement réformer, Nicolas Sarkozy s'est replié sur son pouvoir symbolique, croyant que plus une cour est voyante, plus le pouvoir de son prince doit être grand. Il a fait ainsi prospérer une cour invraisemblable de perroquets apeurés distillant en boucle les mêmes éléments de langage, de flatteurs impénitents, de roseaux plus penchés que pensants qui ne vivent qu'à travers le regard du prince. On retient, entre mille autres, les images cruelles de ces querelles de préséances ridicules de tel ou tel ministre pour monter dans un carrosse royal en Angleterre ou pour entrer avec le président à la Maison-Blanche.

Par ailleurs, le pouvoir veut régner par la crainte et faire des exemples pour empêcher des défections éventuelles. Dans cette lignée, il renoue d'abord avec la faveur du prince, en usant et abusant de son pouvoir de nomination. Celle du président de France Télévisions s'inscrit dans cette optique, de même que la valse des préfets qui ont déplu pour ne pas avoir érigé de village Potemkine à ses passages en province, de même encore que les rapports avec les ministres d'ouverture, choisis non pour faire la politique de leurs idées, mais pour défendre les idées de sa politique. On le voit tour à tour élever et disgracier certains de ses ministres, l'une se retrouvant au ban du régime après en avoir été l'étoile, l'autre promu de ministère en ministère, chiffon rouge montré à la gauche qu'il a quittée. Cet autoritarisme ne manque pas, comme toujours, de susciter la peur et de provoquer en retour la servilité de ceux qui espèrent se sauver en multipliant les louanges dans des termes que l'on croyait révolus depuis Napoléon. Signe des régimes en déclin, l'ensemble de ces pratiques installe un climat détestable et l'on assiste dans les allées du pouvoir à la multiplication des coups bas et des règlements de comptes. Combien de hauts fonctionnaires m'ont fait part de leur tristesse et de leur indignation devant un spectacle digne de la cour du roi Pétaud.

Transgression aussi que l'omniprésence du fait du Prince. "Si veut le roi, si fait la loi." Ainsi s'octroie-t-il, à peine arrivé, plus qu'un doublement de sa rémunération à l'heure du pouvoir d'achat en berne. Mais ce n'est rien comparé à l'impression d'apanage héréditaire lorsque son fils est pressenti à la tête de l'établissement public de la Défense dans son ancien fief des Hauts-de-Seine.

Enfin, le goût de la familiarité complète le décor. L'exposition de sa vie privée, la multiplication de saillies intempestives : autant d'éléments qui favorisent l'abaissement de la fonction. Nicolas Sarkozy a innové en inventant une cour à son image. Elle a la peur comme moyen, l'argent comme fin et le spectacle médiatique comme théâtre de sa mise en scène narcissique. La politique n'y est pas perçue comme un levier, encore moins comme un idéal, mais comme un marché où l'on achète et brade les hommes comme les idées en fonction de l'intérêt du moment. L'affaire Bettencourt est à cet égard l'emblème d'une confusion et d'une consanguinité des intérêts publics et privés. Son feuilleton laisse entrevoir un monde caché, avec ses codes, ses hochets et ses secrets, un monde fait de petits arrangements et de renvois d'ascenseur. Elle dévoile, en un mot, une cour clandestine.


Chronique d'une sale guerre

ERIC MANDONNET ET LUDOVIC VIGOGNE

Entre le chef d'Etat et l'ancien Premier ministre, le combat ne connaît jamais de trêve. Rendez-vous à l'élection présidentielle ?

"Tu me fragilises !" A l'autre bout du téléphone, Dominique de Villepin braille dans les oreilles de Georges Tron - longtemps l'un de ses plus fidèles lieutenants. Mais, en ces premiers jours d'août, l'ex-chef du gouvernement est grimpé au rideau après une confidence du secrétaire d'Etat à la Fonction publique rapportée par L'Express. Alors que le premier avait assuré que les députés proches de lui ne voteraient pas en l'état la réforme des retraites, le second avance un autre pronostic : "Cela se terminera par la non-participation au vote de trois ou quatre députés, comme pour la loi sur la burqa." "Tu me fragilises", hurle Dominique de Villepin...

Tron avait vu juste. Le 27 octobre, sur les neuf députés recensés comme des villepinistes, cinq se prononcent en faveur du texte ; quatre s'abstiennent (c'était la position de leur patron). Toute vérité n'est pas bonne à dire. Dans son combat face au chef de l'Etat, Dominique de Villepin ne veut montrer aucun signe de faiblesse : "Ceux qui n'osent pas dire ce qu'ils pensent ont peur. Je n'ai pas peur de Sarkozy. Que voulez-vous qu'il fasse de plus contre moi ? Je pense que la dernière personne qu'il souhaite avoir devant lui en 2012, c'est moi." Pour lui, le président reste une obsession.

La réciproque est vraie - et cela aussi, l'ex-Premier ministre le sait. Le 25 août, Brice Hortefeux est l'invité de RTL. Sur instruction de Nicolas Sarkozy : celui-ci a envoyé son ministre de l'Intérieur répondre à la tribune publiée par Le Monde, une bombe lâchée par l'ancien secrétaire général de l'Elysée du temps de Jacques Chirac, fustigeant les dégâts causés par un été sécuritaire sur l'image du pays par une formule qu'aucun responsable de gauche n'avait osée, "une tache de honte sur notre drapeau".

Les élus locaux UMP sont priés d'éviter de croiser Villepin

L'enfer, ce n'est pas les autres, c'est juste l'autre. Lui. Villepin, le responsable de tant de maux, aux yeux du président. De retour de sa visite à Benoît XVI, le 8 octobre, Nicolas Sarkozy s'emporte contre le peu d'allant dont aurait fait part l'ambassadeur de France au Vatican. Le chef de l'Etat a l'explication : Stanislas de la Boulaye est un ami du diable, dont il fut le condisciple à l'ENA. Il faut donc isoler Villepin, pour réduire sa capacité de nuisance. Lorsque le président de République solidaire effectue un déplacement en province, la consigne élyséenne passée aux élus de la majorité est limpide : mieux vaut, s'ils souhaitent un avenir serein, qu'ils évitent de croiser son chemin.

Ce combat-là échappe aux trêves. Pour porter ses coups, Villepin a choisi l'omniprésence médiatique - au risque de devenir inaudible. Depuis la rentrée, il a été l'invité de huit matinales à la radio ou à la télé, a participé à deux grandes émissions dominicales, s'est assis sur huit autres plateaux. Qui dit mieux ?

Nicolas Sarkozy a opté pour un plus discret exercice de couture politique. Aux députés villepinistes qu'il reçoit en tête en tête, il explique que leur double fidélité ne le gêne nullement et qu'ils peuvent la vivre en toute liberté dans la majorité. A l'un (Jacques Le Guen), l'Elysée commande un rapport (sur les forêts) ; à l'autre (Guy Geoffroy), on certifie que les notes programmatiques qu'il envoie sont très utiles ; devant un troisième (François Goulard), le président esquisse une petite autocritique de son comportement.

Certains s'éloignent, d'autres ne se rapprochent pas

La musique peut aussi être moins sirupeuse. A la rentrée, Olivier Biancarelli, conseiller politique du chef de l'Etat, s'est employé pour qu'un groupe de députés proches de l'ex-Premier ministre ne voie pas le jour à l'Assemblée. Dès que le député Nouveau Centre Nicolas Perruchot a laissé entendre qu'il pourrait le rejoindre, son portable a sonné. Au final, l'opération villepiniste a capoté - même si le principal intéressé espère que le remaniement grossira le camp des déçus du sarkozysme.

L'heure est plutôt au splendide isolement. Car, petit à petit, le venin de l'Elysée s'est diffusé. "Le plus frappant sur Dominique ? A quel point il est seul !" relate l'un de ses fréquents visiteurs. La position de sarko-villepiniste est devenue intenable, parce qu'incompatible. Dominique de Villepin n'a pas revu le très en cour ministre de l'Agriculture, Bruno Le Maire, depuis l'été. Ils se sont simplement entretenus à quelques reprises au téléphone. C'est d'ailleurs l'ex-chef du gouvernement - un signe - qui a appelé, la dernière fois, celui qui dirigea son cabinet à Matignon, pour le remercier de lui avoir envoyé son livre, Sans mémoire, le présent se vide. "La relation personnelle est intacte, mais l'analyse politique diverge", constate, de son côté, le secrétaire d'Etat à la Fonction publique, Georges Tron.

Certains s'éloignent, d'autres ne se rapprochent pas. A deux reprises, il a transmis à Xavier Darcos un message lui indiquant qu'il aimerait le voir. A deux reprises, l'ex-ministre des Affaires sociales, congédié au lendemain des régionales, ne lui a pas répondu. Avant l'été, l'ancien chef du gouvernement a déjeuné avec le possible futur Premier ministre, Jean-Louis Borloo, mais ce fut seulement à titre "amical".

Dans ces conditions, se faire le chantre du rassemblement relève de la rhétorique. Le 4 décembre, à Paris, se tiendra le premier conseil national de République solidaire. La création du parti, en juin, n'a pas eu l'impact escompté. Le discours de Villepin se voulait "fondateur", il n'a pas marqué les esprits. "On le pensait, sur la forme, incapable de mobiliser et, sur le fond, très bien équipé. Ce fut l'inverse", remarquera Jean-Pierre Raffarin. "Il a parlé à des cibles qui ne sont pas les siennes", se réjouit un conseiller élyséen. "Nous sommes le mouvement qui a accueilli le plus de personnes dans un meeting cette année", se défend Villepin.

Sillonnant la France, il se figure un boulevard. "Entre une droite qui se droitise et une gauche qui ne peut faire l'impasse sur la gauche de la gauche, il y a un espace important, calcule-t-il. Rien à voir avec l'équation de François Bayrou en 2007. Ici, il ne s'agit plus de l'organisation du centre, mais d'un mouvement qui va des gaullistes aux démocrates sociaux." Il est un point sur lequel Villepin n'a jamais failli : l'imagination. "Et si Sarkozy tombait au-dessous des 25 % en 2011 ? lance-t-il. Quand vous prenez le toboggan, vous ne pouvez plus vous arrêter."

Du coup, celui qui n'a jamais affronté le suffrage universel voudrait faire croire qu'il sera candidat à la présidentielle. "Il est capable de tout, même de ne pas y aller, estime François Baroin. C'est lourd, une campagne, c'est encore plus lourd quand on est sûr de ne pas la gagner." "Il y a chez lui une telle composante passionnelle ! analyse Alain Juppé. Si Sarkozy avait mis un terme à l'affaire Clearstream, Villepin serait ministre. Parfois la déraison l'emporte..." Parole du plus raisonnable d'entre tous. "En politique, il faut se faire mal. En 2005, j'ai tendu la main à Sarkozy pour qu'il revienne au gouvernement", confie l'ex-Premier ministre. Souhaite-t-il désormais souffrir encore, le temps d'une campagne, ou qu'une main lui soit tendue ? Jusqu'où va la réelle détermination d'un homme capable de reconnaître l'influence de l'affaire Clearstream sur sa situation d'aujourd'hui ? "Sans la perquisition que j'ai subie, je serais dans des responsabilités internationales que j'aurais eu plaisir à exercer et que Sarkozy aurait eu intérêt à me confier."

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