Hu Jintao en France : M. Sarkozy veut l'appui de la Chine avant le G20
Le Monde - A la Une, vendredi, 5 novembre 2010, p. 1
Après deux années de brouille, Nicolas Sarkozy attend beaucoup du séjour du président chinois, Hu Jintao, en France, du 4 au 6 novembre : réchauffement des relations diplomatiques, signature d'importants contrats, notamment dans l'aéronautique et le nucléaire. Le président de la République espère surtout trouver en son homologue chinois un allié, avant la présidence française du G20, en 2011.
M. Sarkozy compte faire du G20 sa grande oeuvre et trouver une solution aux déséquilibres monétaires mondiaux, avec, s'il le faut, un front commun franco-chinois contre les Etats-Unis. Mais Hu Jintao n'entend pas accepter un nouvel ordre qui porterait atteinte à la souveraineté chinoise sur le yuan.
Pour assurer le succès de la visite de M. Hu, la France s'est pliée aux demandes de la Chine. Pas de conférence de presse, silence sur les droits de l'homme, longue rencontre à Nice, dans " un cadre calme ", propice à la réconciliation. Cela n'empêche pas Pékin d'entretenir une certaine méfiance envers la France.
La Chine aime bien le G20, cette enceinte hétérogène où elle occupe une place centrale aux côtés des " émergents ", face au G8 dont elle est exclue. Pékin conçoit le G20 " français " comme un amortisseur des chocs qui l'opposent en particulier aux Etats-Unis, sur les questions monétaires. Plutôt que d'aborder ces thèmes de façon frontale, les responsables français veulent se montrer compréhensifs. " Les Chinois n'aiment pas se sentir en situation de pays assiégé ", explique un diplomate. " Ils veulent que les discussions du G20 permettent d'alléger la pression qui s'exerce sur eux ". Il s'agit d'explorer " la façon dont la Chine se voit dans le monde du XXIe siècle ". Pour les Chinois, la nostalgie des années Chirac La visite de M. Hu en France intervient à un moment où Barack Obama, bientôt en tournée en Asie, durcit sa politique à l'égard d'une Chine qui s'est mise à montrer du muscle dans son environnement régional. La France n'est pas directement partie prenante dans ces affaires stratégiques, mais elle peut difficilement faire abstraction du contexte sino-américain, devenu plus heurté. L'Elysée s'est plié à tous les désirs de son hôte chinois. Aucune conférence de presse n'est programmée pour ce premier voyage du président Hu à l'Ouest depuis l'attribution du prix Nobel au dissident chinois Liu Xiaobo. Un dîner d'Etat est prévu jeudi soir à l'Elysée. Le lendemain viendra l'heure des discussions " dans un cadre calme ", à Nice, à la Villa Masséna. Le président Hu passera la nuit sur la Riviera, à l'issue d'un dîner " restreint " avec M. Sarkozy. On semble beaucoup miser, à l'Elysée, sur ce décor méridional et sur " les vertus des heures de conversation " pour lisser une relation qui a connu bien des turbulences depuis 2008. Référence est faite au séjour du président Jiang Zemin, en 1999, au château de Bity, en Corrèze, où il avait dansé avec Bernadette Chirac au son de l'accordéon. Principe de non-ingérence Mais à écouter un spécialiste des dossiers franco-chinois, qui réclame l'anonymat, " la relation est morte " et ne ressuscitera vraiment " qu'après le départ de M. Sarkozy ". Les Chinois ont la nostalgie des années Chirac. Si le président Hu se rend enfin à Paris, après quatre déplacements de M. Sarkozy dans son pays, c'est uniquement, analyse cet expert, parce que la Chine s'intéresse au G20. Ce n'est qu'en septembre, lorsque Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique de M. Sarkozy, a eu à Pékin onze heures d'entretiens avec des officiels chinois, parmi lesquels le puissant conseiller d'Etat Dai Bing Guo, que les Français ont obtenu l'assurance que le président chinois ferait le déplacement à Paris (il se rendra ensuite au Portugal). En octobre, l'Elysée a observé un silence total sur l'attribution du prix Nobel au dissident Liu Xiaobo, toujours emprisonné. C'était là une mise en oeuvre, au pied de la lettre, du " communiqué conjoint " franco-chinois d'avril 2009, où Paris s'engageait à respecter un " principe de non-ingérence ". Dans ce texte, la France semblait passer sous les fourches Caudines chinoises après les tensions suscitées en 2008 par l'affaire du Tibet, le passage de la flamme olympique à Paris, puis la rencontre entre M. Sarkozy et le dalaï-lama. " On n'a rien dit de plus que notre position constante " sur le Tibet ou Taïwan, se défend-on côté français. Le communiqué d'avril 2009 a en tout cas été le point de départ d'une longue phase de convalescence dans la relation bilatérale. De mémoire de sinologue, le coup de froid entre la France et la Chine aura été du " jamais-vu " depuis l'établissement de relations diplomatiques en 1964. Fait sans précédent, la Chine annulait en décembre 2008 un sommet avec l'Union européenne, prévu à Lyon. L'Elysée se lançait alors dans un ballet diplomatique marqué par de multiples envois d'émissaires à Pékin. Jusqu'à ce que, en décembre 2009, François Fillon obtienne enfin le feu vert chinois pour se rendre à Pékin, où il déclara : " C'est folie de penser que c'est de l'extérieur que viendront les éléments de changement " en Chine. L'Elysée joue l'apaisement M. Sarkozy traite maintenant avec une Chine qui, tout en rejetant l'idée d'un " G2 ", entend se placer sur un pied d'égalité avec les Etats-Unis, qu'elle considère comme une puissance en déclin. Bien plus, c'est le poids de l'Europe qui, aux yeux de Pékin, s'est érodé depuis la crise financière. Le dernier sommet UE-Chine, début octobre à Bruxelles, s'est mal passé. Le premier ministre Wen Jiabao s'est vu signifier que le statut d'économie de marché ne serait pas octroyé à son pays sans une meilleure ouverture du marché chinois. En coulisses, selon nos informations, Paris avait pesé pour que ces conditions soient rappelées. Wen Jiabao s'est aussitôt raidi sur la question du yuan. M. Sarkozy peut faire valoir que la France est favorable à une levée de l'embargo européen sur les ventes d'armes à Pékin, imposé après la répression de Tiananmen en 1989. Mais il n'y a pas de consensus entre les Vingt-Sept sur le sujet. Côté contrats, la Chine s'intéresse beaucoup aux transferts de technologie. La coopération avec la France dans le nucléaire civil, soumise à conditions en particulier pour ce qui concerne la livraison d'une usine de retraitement de combustible, reste délicate. L'accent est plutôt mis sur l'aéronautique, autre pilier d'un lien économique toujours très tributaire du politique. L'Elysée mise sur l'apaisement. La Chine " n'est pas dans un état d'esprit de compromis ", observe un diplomate français, " c'est toute la difficulté de présider le G20 ". Natalie Nougayrède Le système monétaire au menu de la visite d'Etat En décembre 2008, Pékin avait très mal pris le souhait de l'Elysée d'aborder le sujet des taux de change lors d'un sommet Europe-Asie, finalement annulé en raison du contentieux sur le Tibet. M. Sarkozy a retenu la leçon et prend soin d'adopter un ton plus conciliant. La Commission européenne réclame-t-elle une revalorisation significative du yuan ? Le président français se garde de relayer ces exhortations et se montre soucieux de laisser la parole à Pékin. " Aujourd'hui, le G7 n'est plus légitime pour parler - des problèmes monétaires - . Pourquoi ? Parce que, par exemple, la Chine n'est pas membre du G7 ", déclarait-il lors du sommet Europe-Asie, début octobre. La question d'une réforme du système monétaire devait être abordée lors de la visite d'Etat de Hu Jintao, du 4 au 6 novembre. Mais la République populaire est-elle prête à jouer le jeu ? Pour l'instant, ses dirigeants observent avec circonspection les manoeuvres du président français. Paris avait annoncé, début septembre, la tenue, notamment en Chine, d'une série de séminaires internationaux sur les affaires monétaires. Ceux-ci devaient réunir des responsables politiques, des banquiers centraux, des banquiers privés et des économistes. Mais Pékin n'est pas franchement enthousiaste et le projet est pour l'instant au point mort. " La patience d'écouter chacun " Dans un entretien au Figaro publié le 28 octobre, la vice-ministre des affaires étrangères chinoises, Fu Ying, s'est montrée fort réservée sur le projet d'un nouvel ordre monétaire. " Nous verrons bien quelles sont les propositions qui pourront aboutir à un consensus, ce qui n'a rien d'évident avec la présence de pays aussi divers - au G20 - ", a-t-elle prévenu, recommandant à la présidence française d'avoir " la patience d'écouter chacun ". Pour la plupart des économistes, Paris, comme Washington, n'a aucune chance d'obtenir quoi que ce soit sur la valeur de la devise chinoise. Mais il n'y a pas que le yuan. Le président français pourrait essayer de s'allier avec Pékin afin d'ouvrir un front contre les Etats-Unis. " Nicolas Sarkozy se dit qu'il y a un terrain d'entente avec les Chinois pour demander aux Américains d'arrêter d'inonder le monde de liquidités. Il est convaincu comme eux que cette création monétaire incontrôlée est un problème majeur ", explique Patrick Artus, directeur de la recherche chez Natixis et coauteur d'un rapport du Conseil d'analyse économique sur les relations Europe-Chine. Marie de Vergès Deux ans après la brouille de 2008, l'image de Nicolas Sarkozy reste ambiguë Le président français était souvent traité, sur Internet, de " xiaochou " (" clown "). Sa position, qui était alors de conditionner sa présence aux Jeux olympiques à un dialogue du gouvernement chinois avec le dalaï-lama, est présentée en Chine comme un soutien direct aux " activités séparatistes " du chef spirituel tibétain en exil. La machine de propagande est lancée, et le président Sarkozy, qui donne pourtant en France l'impression de céder face à la Chine, va personnifier la " traîtrise " de l'Hexagone, autrefois amie loyale. " L'image des chefs d'Etat français, dans l'esprit des Chinois, a toujours été celle de personnalités élégantes, avec de la prestance. Sarkozy a changé ça, il a l'image de quelqu'un de fougueux, d'imprévisible, qui peut apparaître ridicule, ça a donné prise aux critiques ", déclare une journaliste chinoise qui suit les affaires européennes et qui préfère rester anonyme. Paradoxalement, l'émotivité de Nicolas Sarkozy donne prise aux plus âpres critiques, alors qu'elle avait d'abord séduit les Chinois. " Le style de leadership très personnalisé de Sarkozy est déroutant pour les Chinois, estime Gao Zhikai, commentateur des relations internationales à la télévision chinoise. Tous ces éléments de sa vie privée qui sortent en public, ses affaires de coeur, c'est extraordinaire pour les Chinois, car la fonction de président est très neutre en Chine, les gens ne savent rien de la vie privée de leurs dirigeants. " " Dans le même panier " La campagne antifrançaise avait pris de telles proportions que le gouvernement s'est senti obligé de siffler la fin de la récréation. " L'opinion publique chinoise a commencé à ne plus savoir sur quel pied danser, note Renaud de Spens, spécialiste des médias chinois, basé à Pékin. D'un côté, la censure s'est mise à bloquer ce qui était trop antifrançais, tout en ne relayant qu'au compte-gouttes les tentatives d'apaisement de la part de la France " " Quand le président Sarkozy est venu en Chine lors des JO,, ajoute-t-il, certains sur la Toile disaient que la Chine avait triomphé, d'autres qu'il ne fallait pas le laisser venir. Enfin, les internautes prodémocrates considéraient qu'il trahissait leur cause. Son image est devenue ambiguë, illisible. " Deux ans plus tard, et alors que Nicolas Sarkozy est revenu en Chine en visite officielle en mai, l'ambiguïté persiste : " Il avait perdu beaucoup de crédibilité auprès du gouvernement chinois, estime Shi Yinhong, spécialiste des relations internationales à l'université du Peuple à Pékin. Il l'a en partie regagnée. " Le positionnement français vis-à-vis des Etats-Unis est déterminant dans la perception des Chinois, selon le responsable international d'un média chinois, qui requiert l'anonymat. " Ils mettent les Européens dans le même panier. Les Français les intéressent quand ils ont l'impression qu'ils tiennent tête aux Etats-Unis ", dit-il. Brice Pedroletti (Pékin, correspondant) Le PDG d'Alstom intensifie l'offensive contre Eurostar Alstom va mal, son carnet de commandes a fondu. Est-ce seulement imputable à la crise ? Je réfute l'idée qu'Alstom va mal ! Mais le groupe ne vit pas en dehors de ses marchés. Il subit les évolutions conjoncturelles avec retard : quand les marchés baissent, on baisse après les autres, quand ils repartent, on repart après. Tout simplement parce que nous vendons des biens d'équipement, un secteur dont les variations sont amplifiées et décalées. Dans la production d'électricité, la baisse de la consommation a poussé certains groupes d'énergie européens ou américains à différer leurs projets. Je suis incapable de vous dire jusqu'à quand. La demande en nouvelles capacités de production est tombée de 350 gigawatts (GW) en 2008 à 180 GW en 2009 ! L'an dernier, nos ventes étaient en croissance. Nous payons aujourd'hui le prix, prévisible, de la baisse temporaire de commandes. Le carnet de commandes a fondu, certes, mais il représente encore 45 milliards d'euros, soit près de deux ans de chiffre d'affaires. La reprise est lente dans les pays industrialisés, plus rapide dans les pays émergents. Les besoins en infrastructures sont massifs et nous sommes bien placés pour en tirer parti sur le long terme, tant dans la génération et la transmission d'électricité que dans le transport ferroviaire. La Bourse ne semble pas aussi sereine : l'action Alstom a perdu 25 % depuis janvier... Cette baisse traduit une certaine impatience dans l'attente d'un rebond de nos prises de commandes. Je partage cette impatience. D'autres groupes, comme ABB, General Electric et Siemens, vont moins mal. Est-ce votre gestion qui est en cause ? A la différence de ces groupes, plus diversifiés, notre portefeuille est à 100 % dans les infrastructures. A secteurs comparables, nous soutenons la comparaison. Ne jugeons pas les performances sur un trimestre. Nous nous positionnons pour profiter de la reprise dans les pays à forte croissance, les " BRIC " (Brésil, Russie, Inde, Chine) et les autres pays émergents. Au premier semestre de l'exercice en cours, 50 % de nos commandes proviennent de ces pays, où nous sommes bien positionnés. Je rappelle que nous sommes présents en Inde depuis cent ans, au Brésil depuis cinquante ans, en Chine depuis quarante ans. Nous sommes en croissance rapide en Russie. Après la crise traversée par Alstom en 2003-2004, nous avons reconstruit nos positions dans ce pays. Ainsi, nous avons été retenus pour la fourniture de locomotives en Russie et au Kazakhstan. De nouveaux concurrents apparaissent dans l'énergie et les transports. Quelle est l'ampleur de la menace ? Certes, il y a une concurrence asiatique forte, notamment chinoise. C'est un risque et une chance. Un risque, car nos rivaux cherchent à être des acteurs globaux. Mais aussi une chance, car ce sont des marchés considérables que nous connaissons bien et où nous avons une culture de partenariat avec des acteurs locaux. Je ne sous-estime pas cette menace, mais je la mesure à l'aune de nos forces. Un exemple récent : le grand électricien indien NTPC a préféré nos turbines pour centrales au charbon à celles de tous nos concurrents, y compris chinois. Vous ne pâtissez pas de votre refus de transférer de la technologie ? Il faut se méfier des approches simplistes. En Chine, nous avons eu une démarche ciblée. Nous avons fait des transferts en direction de nos partenaires, par exemple sur des locomotives ou l'hydroélectricité. On ne l'a pas fait quand on a jugé que ce n'était pas dans l'intérêt d'Alstom, dans la très grande vitesse notamment. Vous contestez, devant la Haute Cour de Londres, la validité de l'appel d'offres d'Eurostar remporté par Siemens. Seriez-vous mauvais perdant ? Pas du tout ! Nous sommes absolument ouverts à la concurrence. A condition qu'elle soit équilibrée et transparente. Je suis scandalisé par la manière dont cet appel d'offres a été mené et je continuerai à faire valoir les droits d'Alstom devant les tribunaux. Certes, la cour a rejeté notre référé, mais le juge a pointé des carences nombreuses et graves sur le fond. Et c'est sur le fond que nous allons poursuivre nos actions. La situation est invraisemblable : Eurostar choisit un train et se fait fort, ensuite, de faire adapter en conséquence les règles de sécurité. Pour maîtriser les risques d'incendie, ces règles prévoient des trains à motorisation concentrée (motrice à chaque extrémité), alors que le train voulu par Eurostar a une motorisation répartie sur toute la longueur. En clair, Eurostar veut acheter un train dont il ne sait pas s'il pourra rouler un jour dans le tunnel ! Eurostar, filiale à 55 % de la SNCF, a choisi Siemens. Est-ce une prise de distance de la part de votre partenaire historique dans la grande vitesse ? Nous ne revendiquons aucune exclusivité vis-à-vis de la SNCF et je n'ai pas à juger du choix d'Eurostar sur le fond. En revanche, je répète qu'il a été fait à l'issue d'un processus qui me paraît avoir été biaisé. Certains disent que Siemens a mieux travaillé que nous. Peut-être a-t-il eu des informations que nous n'avions pas. Vous estimez-vous victimes d'une entente passée à votre insu ? Je n'ai pas de réponse sur ce point. Je réclame seulement des clarifications. Eurostar s'était engagé auprès de nous à ne pas finaliser son appel d'offres tant que les règles de sécurité n'étaient pas changées; or elles ne l'ont pas été. Les méthodes de l'évaluation de l'offre, inhabituelles, ne nous ont pas été communiquées. Ce procès nous a permis de découvrir des choses étonnantes. On a appris qu'Eurostar avait signé, dès août 2010, un préaccord avec Siemens alors que l'annonce de l'attribution du marché est intervenue le 7 octobre. Enfin, dans le cadre de cet appel d'offres, Eurostar et Siemens semblent avoir eu recours au même consultant technique. Si ce fait était avéré, il jetterait un doute sérieux sur l'impartialité des appels d'offres. Dans cette affaire, le gouvernement français vous a apporté un soutien très appuyé. N'est-ce pas encombrant ? Le gouvernement français a dit quelque chose qui relevait plus du bon sens que de la polémique : tout changement de réglementation dans le tunnel est subordonné à la présentation d'un dossier de sécurité en béton et à des processus d'homologation. Chercher à se prémunir contre les risques d'incendie dans le tunnel sous la Manche - il y en a eu trois dans ce qui est le plus grand ouvrage sous-marin du monde - ne me choque pas. On a présenté cela comme du protectionnisme, de l'" anti-Siemens ", que sais-je encore ! Ce n'est absolument pas le cas. Imagine-t-on une compagnie aérienne ouvrir une ligne avec un avion qui n'ait pas encore été autorisé à voler ? Je veux que cet appel d'offres, qui ne répond pas aux règles élémentaires d'impartialité, soit abandonné et qu'on organise une nouvelle compétition sur des bases transparentes. Propos recueillis par Jean-Michel Bezat et Jean-Michel Normand Airbus, Areva, Total et Alcatel profitent du réchauffement des relations Paris-Pékin Il y a quelques semaines, à Pékin, le patron du pôle minier d'Areva se frottait déjà les mains. " Je vais préparer la signature d'un grand contrat, le plus important jamais conclu pour ma business unit avec la Chine ", glissait Sébastien de Montessus - sans en révéler la teneur. Et la " teneur " est forte en uranium ! Anne Lauvergeon, présidente du directoire d'Areva, et le patron de son partenaire chinois traditionnel, la compagnie d'électricité China Guandong Nuclear Power corp (CGNPC), devaient signer à l'Elysée, jeudi soir, un contrat de 3,5 milliards de dollars (2,5 milliards d'euros) pour la fourniture sur dix ans de 20 000 tonnes d'uranium traité (yellow cake) pour alimenter un parc de centrales nucléaires en forte croissance. Si Pékin a donné la priorité à la technologie américaine en rachetant la licence du réacteur AP 1000 à Westinghouse (passé sous le contrôle de Toshiba en 2006), il souhaite aussi éprouver le savoir-faire français dans la troisième génération. En novembre 2007, lors d'une visite du président Nicolas Sarkozy en Chine, Areva avait signé un accord pour la vente de deux EPR et du combustible pour 8 milliards d'euros. Le plus gros contrat de l'histoire d'Areva. A Taishan, près de Macao (sud), leur construction par EDF avance à grands pas. Beaucoup plus vite, en tout cas, que celle des EPR d'Olkiluoto (Finlande) et de Flamanville (France). Le groupe nucléaire français négocie depuis de longs mois la vente de deux EPR supplémentaires pour le site de Taishan. Mais le dossier ne devrait pas marquer d'avancée à l'occasion de la visite du président Hu Jintao en France, indique-t-on chez Areva, même si ses besoins sont énormes. La Chine n'exploite aujourd'hui que 13 réacteurs d'une puissance installée de 11 gigawatts (GW). Elle prévoit officiellement de disposer de 40 GW dès 2020, mais des experts citent désormais le chiffre de 80 GW à cette date. La majorité des réacteurs en construction sont des CPR 1000, une chaudière de technologie française vendue au milieu des années 1980 et " sinisée " depuis par son acheteur, CGNPC. Mais le contrat nucléaire le plus sensible porte sur la vente à Pékin - à terme - d'une usine de retraitement des combustibles usés, comme celle qui est en exploitation à La Hague (Manche), dont le coût est estimé à plus de 20 milliards d'euros. A la vitesse à laquelle avance le programme électro-nucléaire chinois, les groupes d'électricité seront confrontés, au milieu du siècle prochain, au problème du retraitement et du recyclage d'une grande quantité de combustible usé. La visite du numéro un chinois doit marquer une avancée importante. La China National Nuclear corporation (CNNC), qui exploite des réacteurs tout en conduisant la recherche nucléaire, doit signer un accord avec Areva pour lancer les discussions commerciales, après les accords politiques signés en décembre 2009 lors de la visite du premier ministre, François Fillon, à Pékin. Car dans l'amont (fabrication du combustible) comme dans l'aval (recyclage) du cycle nucléaire se pose la question de la prolifération, même si la Chine détient l'arme atomique. La Chine n'a pas seulement besoin de centrales nucléaires, mais aussi d'avions. Elle devrait passer commande auprès d'Airbus d'une dizaine d'A350, le long courrier de la gamme concurrent du Boeing 787 Dreamliner, d'une vingtaine d'A330 et d'un nombre important d'A320 , indiquaient Les Échos dans leur édition de jeudi. Ces commandes n'ont rien d'étonnant. Randy Tinseth, vice-président de Boeing, indiquait, mardi 2 novembre, que le pays aura besoin de 4 300 appareils supplémentaires d'ici à 2030. Et que près de 5 200 seront alors en service. S'il développe sa propre industrie aéronautique, notamment avec le court-moyen courrier C919 (concurrent de l'A320 et du Boeing 737), Pékin est encore très dépendant des deux géants, Boeing, qui détient 52 % du marché, et Airbus (43 %). Le développement du secteur du charbon, qui permet de produire les trois-quarts de l'électricité chinoise, bénéficiera à Total. Le groupe pétrolier français va passer un accord avec un partenaire chinois pour développer ses techniques de charbon propre, a indiqué l'Elysée. La Chine est devenue, en 2009, le premier émetteur de gaz carbonique de la planète, notamment en raison de l'utilisation intensive de ses ressources en charbon. Quant à l'équipementier en télécommunications franco-américain Alcatel-Lucent, il devrait décrocher trois contrats avec ses opérateurs chinois pour un montant total de 1,1 milliard de dollars. Jean-Michel Bezat Le Figaro, no. 20609 - Le Figaro Économie, jeudi, 4 novembre 2010, p. 23 DIPLOMATIE La France s'apprête à déployer un confortable tapis rouge pour le président chinois, en visite d'État en France, pendant deux jours. Le chef de l'État ira, en personne, attendre le président chinois et son épouse à leur descente d'avion à 13 h 30, aujourd'hui, à Orly, avant de lui accorder les honneurs militaires aux Invalides. Après une cérémonie de signature de contrats, cet après-midi, à l'Élysée, Nicolas Sarkozy accompagnera son homologue chinois, demain, à Nice, destination choisie par Hu Jintao, qui avait exprimé le souhait de visiter la Côte d'Azur. Hu Jintao était déjà venu en visite d'État en France, il y a six ans, en 2004... autant dire une éternité. Depuis, à la faveur de la crise, la Chine est devenue la deuxième puissance économique de la planète, derrière les États-Unis, dépassant le Japon. Et le G20 s'est imposé comme la première instance de concertation sur les questions économiques et financières. « Locomotive de l'économie mondiale, la Chine est redevenue incontournable sur les sujets globaux et rien ne peut se régler sans son concours. » Parmi les problèmes importants à résoudre, Nicolas Sarkozy cite les questions des changes, dont il souhaite que le G20 s'empare, avec la complicité du Fonds monétaire international (FMI). C'est tout l'enjeu de ses discussions avec le président Hu Jintao, qui auront lieu à Nice, à l'occasion d'une réunion de travail, puis d'un dîner en tête à tête. Nicolas Sarkozy entend rallier le numéro un chinois à son ambitieux agenda du G20, centré sur la réforme du système monétaire international, un sujet éminemment sensible pour Pékin. Système trop dépendant du dollar Si les Chinois jugent, comme les Français, le système actuel trop dépendant du dollar, première monnaie de réserve pour les banques centrales, ils veulent rester maîtres de leur politique monétaire et refusent les pressions de la communauté internationale en faveur d'une appréciation du yuan. Jusqu'ici les questions monétaires ont été soigneusement écartées de la table de discussions du G20, surtout lorsqu'elle fut présidée par les Américains. À Toronto, en juin dernier, le président Hu Jintao avait fait supprimer des conclusions du sommet un paragraphe pourtant laudatif sur le retour du yuan à plus de flexibilité, un geste qui s'est traduit par une appréciation de la monnaie chinoise de 2,2 % seulement face au dollar. Malgré des déclarations apaisantes sur la guerre des changes à l'issue de la dernière réunion des ministres des Finances du G20, en Corée, la Chine refuse toujours officiellement de discuter du cours du yuan devant ses pairs. C'est pourtant ce que souhaite obtenir de son invité Nicolas Sarkozy, en employant la méthode « à la française » souligne-t-on à l'Élysée, c'est-à-dire « non par la pression mais par la confiance ». La démarche s'apparente à jeter une pierre dans le jardin des Américains, qui n'ont pas hésité à brandir, via le Congrès la menace de sanctions commerciales contre la Chine. « Sur les questions monétaires, on peut très vite aller à la confrontation et cela ne règle rien », relève-t-on encore dans l'entourage du président de la République. La stratégie française revient aussi à ne pas limiter la question des changes à celle du yuan, en évoquant, avec le numéro un chinois, le rôle souvent déstabilisateur du dollar, qui inonde, les marchés de capitaux des pays émergents. Alain Barluet
Décodage - France-Chine : l'heure de la réconciliation est-elle venue ?
Un séjour à Nice pour réchauffer une relation endolorie ? L'Elysée espère effacer définitivement les traces de la spectaculaire brouille franco-chinoise de 2008, à l'occasion de la visite d'Etat en France du président Hu Jintao, du jeudi 4 au samedi 6 novembre. Les enjeux sont importants pour Nicolas Sarkozy, qui s'est fixé de grands objectifs pour la présidence française du G20 en 2011.
Comment Nicolas Sarkozy a obtenu la présidence du G20 en partie grâce à la Chine
" Tout s'est joué à l'apéritif ", au G20 de Pittsburg (Etats-Unis), en septembre 2009, selon un diplomate français. C'est là que Nicolas Sarkozy a obtenu que la France puisse présider le G20 en 2011, en même temps que le G8. Contrairement au G8, où la présidence est tournante, il n'y a pas de règle pour désigner le pays chargé du G20. En cet automne 2009, il était question qu'un pays émergent prenne la tête du G20 en 2011. La Chine et le Mexique étaient intéressés. Les Occidentaux n'étaient pas convaincus. La France s'est alors positionnée, ralliant d'abord le soutien du premier ministre britannique, Gordon Brown, puis celui de Barack Obama, qui se chargea de convaincre le président mexicain, Felipe Calderon. L'histoire, relatée par ce diplomate français, ne dit pas pourquoi, ce soir-là, le président Hu Jintao a fait ce geste envers Paris. " Nous avons expliqué que, certes, nous avions eu des différends avec la Chine, mais que le président Sarkozy tenait beaucoup à cette présidence ", déclare cette source.
Comme Washington et le reste de l'Europe, la France souhaite voir la Chine réévaluer plus franchement sa devise, le yuan. Mais face à Pékin, Paris privilégie la diplomatie, plutôt que le recours aux menaces et aux pressions. Nicolas Sarkozy veut faire de la résolution des déséquilibres monétaires l'une des priorités du G20, dont il s'apprête, le 12 novembre, à prendre la présidence pour un an. Or, le chef de l'Etat ne l'ignore pas, les admonestations des Occidentaux sont restées jusqu'ici sans grand effet sur les dirigeants chinois.
Affublé d'un chapeau et d'un bandeau de pirate sur l'oeil, le visage de Nicolas Sarkozy, avec en fond, le drapeau français, est encadré par deux colonnes de caractères chinois : " Sarkozy est un vrai bandit. Boycottons fermement les produits français ! ", lit-on. Le montage photo, qui utilise une affiche de la campagne présidentielle de 2007, fait partie des caricatures qui ont circulé en 2008 sur le Web, au plus fort de la brouille franco-chinoise après le passage agité de la torche olympique à Paris.
Alstom traverse une passe difficile : les bénéfices du groupe français, spécialisé dans les équipements pour la production d'énergie et les transports, ont plongé de 29 % au premier semestre. Son PDG, Patrick Kron, 57 ans, explique les raisons de cette baisse de régime.
A la veille de l'arrivée à Paris du président chinois, Hu Jintao, jeudi 4 novembre, l'Elysée se félicitait déjà de la moisson de contrats remportés par de grandes entreprises, notamment Areva dans le nucléaire, Airbus dans l'aéronautique et Total dans le charbon " propre " : " Elle sera, de loin, plus importante que lors des visites précédentes. " La signature de ces contrats - âprement négocié depuis des mois entre les groupes français et leurs clients chinois - doit beaucoup au réchauffement des relations Paris-Pékin.
Le président chinois, Hu Jintao, débute aujourd'hui une visite d'État en France, jugée « stratégique » par l'Élysée.
Yann Le Galès et Arnaud Rodier
La Chine tisse doucement sa toile. Elle a de l'argent et veut « faire un grand effort pour soutenir les pays de la zone euro », rappelait son premier ministre, Wen Jiabao, à Athènes début octobre. Mais, plus prosaïquement, Pékin profite des faiblesses de l'Europe.
En Grèce, les Chinois, qui ont créé un fonds de 3,6 milliards d'euros pour aider les armateurs, se sont engagés à racheter des obligations dès que le pays reviendra sur les marchés financiers. Ils vont faire de même en Espagne et au Portugal. En Irlande, autre pays durement touché par la crise, ils promettent de construire un centre de fabrication de produits locaux, évalué à 48 millions d'euros, dans la ville d'Athlone, qui pourrait créer 8 000 emplois.
Un peu partout sur le Vieux Continent la crise financière ouvre à la Chine, qui dispose de 1 900 milliards d'euros de réserves de change, des perspectives d'investissements inespérées. « La percée africaine était guidée par l'accès aux ressources énergétiques et aux matières premières. Mais la logique qui guide les entreprises chinoises en Europe est une logique de conquête de marchés », analyse Olivier Monange, associé du cabinet français DS Avocats, implanté en Chine depuis 1986.
Hier le président du CCPPC (Comité national de la conférence consultative politique du peuple chinois), Jia Qinglin, a entériné à Varsovie deux grands accords commerciaux, l'un entre le producteur polonais de cuivre KGHM et China Mine Metal, l'autre entre le chimiste Ciech et Sinochem Plastics.
Mais Pékin n'entend pas s'arrêter là. Les Chinois, qui travaillent déjà sur un tronçon de l'autoroute entre Varsovie et Berlin, sont intéressés par tous les chantiers d'infrastructures du pays. Comme ils le sont par les projets destinés à relier l'Allemagne à la Turquie ou à la Macédoine.
Qu'il s'agisse des routes, des voies ferrées, des ports, ils veulent sécuriser les portes d'entrées de leurs entreprises. C'est le cas aussi du terminal cargo qu'ils souhaitent construire à Rome.
Dette portugaise
Au Portugal, où Hu Jintao va se rendre après la France, la Chine, qui a récupéré Macao il y a tout juste onze ans, lorgne les liens économiques très forts qui lient ce pays à l'Afrique et à l'Amérique latine, deux continents riches en matières premières. Lisbonne, qui a adopté un budget d'austérité sans précédent, a levé hier plus de 1 milliard d'euros de bons du Trésor. Le Portugal, comme la Grèce, a un besoin urgent de l'argent chinois.
La Chine, en achetant sans broncher les obligations d'État des pays européens en difficulté, diversifie son portefeuille en même temps qu'elle espère faire baisser la pression des Occidentaux qui veulent qu'elle réévalue au plus vite sa monnaie, le yuan. Elle pense aussi que cela lui permettra de se rapprocher des pays forts de l'Europe, et plus particulièrement de l'Allemagne qui ne ménage pas ses critiques envers les Chinois. Elle y voit encore l'occasion d'avoir une influence accrue sur les politiques économiques de Bruxelles.
Olivier Monange, toutefois, reste sceptique. « Je crois avant tout à la volonté de puissance de la Chine qui accentue sa présence et son pouvoir sur l'ensemble des continents », tranche-t-il.
Ventes d'Airbus, contrat pour Total et accords nucléaires en vue SI L'ÉLYSÉE promet une moisson de contrats avec la Chine bien supérieure à celle récoltée par l'Allemagne, la finalisation des accords fut laborieuse. Les plus belles annonces, comme souvent, concerneront l'aéronautique. Les Chinois devraient commander entre 80 et 150 Airbus, en majorité des appareils monocouloir de la famille A 320, la famille d'Airbus la plus vendue dans le monde, mais aussi entre 30 et 40 A 330, ainsi que des A 350. La Chine est un marché clé pour le constructeur aéronautique européen. Elle va devenir le premier marché mondial de l'aéronautique. Airbus y a déjà vendu 643 appareils. Décidé à dépasser son rival américain Boeing, le groupe européen vise 50 % de part de marché. La Chine est aussi un partenaire industriel important pour Airbus. Il a installé à Tianjin, près de Pékin, sa première usine d'assemblage en dehors d'Europe. Cette usine alimente le marché chinois. Elle a livré son premier A 320 en juin 2009 et doit construire 248 avions d'ici à 2016. Les Chinois pourraient donc lier l'achat de nouveaux Airbus à sa montée en puissance. Dans le secteur de l'énergie, Total devait voir aboutir un beau projet, de l'ordre de deux milliards d'euros. Il s'agit d'une association avec un partenaire chinois pour un site de transformation de charbon, afin qu'il dégage moins de CO2, en Mongolie intérieure. C'est sur le volet nucléaire que les choses sont plus ardues, des bisbilles franco-françaises venant encore compliquer la problématique franco-chinoise. Fourniture d'uranium Des accords resserrant les partenariats, avec EDF et Areva, devraient être signés. Plusieurs dossiers sont sur la table, avec des avancées diverses. Sauf bonne surprise, la signature pour deux EPR supplémentaires - Taishan 3 et 4 - ne devait pas intervenir à Paris. Les Chinois, en effet, ont appuyé sur les freins. Ils ont noté comme tout le monde les nouveaux retards annoncés sur les deux EPR pionniers de Finlande et de Flamanville. Et même si les travaux sur les EPR chinois avancent plus vite, ils attendent de voir ce que tout cela va donner. La fourniture par la France d'une usine de retraitement du combustible, pose de sérieux problèmes de transferts de technologie, et ne semble pas mûre pour aboutir. En revanche, Areva et son partenaire chinois CNNC devraient signer aujourd'hui un protocole d'accord ouvrant la voie à ce projet industriel d'envergure. Un autre dossier, celui de la fourniture d'uranium par Areva à l'électricien CGNPC, son partenaire historique - avec un volume supérieur à 3 milliards d'euros - est sur les rails. Il attend confirmation officielle aujourd'hui. France-Chine : les grands contrats de la réconciliation Les Echos, no. 20798 - Une, jeudi, 4 novembre 2010, p. 1 - Le président chinois Hu Jintao entame une visite d'Etat de 3 jours en France - Areva, Airbus et Total devraient engranger des commandes - A la veille de la présidence française du G20, Paris cherche l'appui de Pékin L'arrivée aujourd'hui à Paris du président chinois, Hu Jintao, devrait être l'occasion pour les entreprises françaises de signer une quantité importante de contrats, une manière de récolter les fruits de la réconciliation entre Pékin et Paris, officielle depuis avril dernier. L'ampleur des contrats signés « sera de loin plus importante que lors des précédentes visites de dirigeants chinois à l'étranger cette année », affirmait-on hier à l'Elysée. Les plus gros contrats sont attendus du côté d'Areva et d'Airbus. Le groupe nucléaire pourrait signer un contrat de livraison d'uranium de l'ordre de 3 milliards de dollars avec l'électricien chinois CGNPC. Areva pourrait aussi annoncer une avancée dans ses négociations avec l'électricien pour la commande de deux réacteurs EPR supplémentaires. Du côté d'Airbus, l'enthousiasme domine à l'idée de la signature d'un autre gros contrat. Aucun A380 ne devrait être acheté par Pékin. Mais une dizaine d'A350, une vingtaine d'A330 et un nombre important d'A320. Sur le plan diplomatique, à la veille de la présidence française du G20, le chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy, cherchera l'appui de Pékin sur ses projets de réforme du système monétaire international. Deux ans après la crise des relations franco-chinoises de 2008, après la rencontre entre Nicolas Sarkozy et le Dalaï-Lama, le souci de Paris est plus que jamais de tourner la page. Pékin a officiellement donné la priorité à la technologie américaine. Mais le groupe français compte sur ses deux EPR en chantier pour inverser la donne. Revenir par la fenêtre quand on a été sorti par la porte. C'est l'objectif d'Areva en Chine. Depuis qu'en 2006, Pékin a officiellement donné la priorité à la technologie américaine de Westinghouse, le champion tricolore du nucléaire cherche à reprendre pied en Chine. Avec aujourd'hui 13 réacteurs en fonctionnement pour une puissance installée de 11 gigawatts, la Chine vise officiellement 40 gigawatts d'ici à 2020, soit une quarantaine de réacteurs. Mais les experts évoquent déjà de 75 à 80 gigawatts en 2020. On parle même, désormais, de 400 réacteurs en 2050_ La partie est loin d'être perdue pour Areva. Car la technologie française a déjà fait ses preuves : jusqu'en 2006, la majorité des réacteurs qui se construisaient en étaient issus. Tout a commencé en 1986, lorsque CGNPC, l'électricien de la province du Guangdong, a fait appel à la France pour construire 2 tranches nucléaires CPR 1000 à Daya Bay. Devant le succès et la rentabilité de l'opération, CGNPC a fait construire 3 nouvelles tranches, en s'appropriant peu à peu la technologie. Puis CGNPC a essaimé sur d'autres parties du territoire. Aujourd'hui, sur les 25 réacteurs en construction en Chine, seuls 4 sont des AP 1000 de Westinghouse. Tout le reste est d'origine française : 16 CPR 1000 construits par la Chine mais auxquels l'industrie française a participé (Areva, mais aussi Alstom_), 3 réacteurs de 600 gigawatts développés à partir du CPR 1000 et 2 EPR que CGNPC a obtenu le droit de faire construire, à titre de dérogation avec la préférence désormais officielle pour Westinghouse. Course de vitesse Areva fonde tous ses espoirs sur ces 2 EPR. Car quand Pékin a choisi Westinghouse, en 2006, c'était une forme de pari : séduisante sur le papier, la technologie américaine de nouvelle génération n'avait pas encore fait ses preuves. Il s'agissait donc surtout, pour Pékin, d'envoyer un message apaisant à Washington, et, surtout, de diversifier son approvisionnement en énergie nucléaire. Aujourd'hui, alors que les chantiers des AP 1000 de Westinghouse rencontreraient des difficultés, Areva n'a qu'un espoir : gagner la course de vitesse. Et retrouver, aux yeux de Pékin, le statut de leader incontesté du nucléaire. Moisson de contrats en vue à l'occasion de la visite d'Etat du président chinois en France
MARIE-CHRISTINE CORBIER
Les atouts d'Areva pour reprendre pied en Chine
GABRIEL GRESILLON
GABRIEL GRESILLON
Après la brouille, la réconciliation. Grâce à son attitude conciliante vis-à-vis d'une Chine devenue l'un des moteurs de la croissance mondiale, la France devrait signer aujourd'hui plusieurs accords commerciaux, notamment dans le nucléaire et l'aéronautique.
Motus et bouche cousue. Dans les milieux d'affaires français en Chine, on semblait s'être passé le mot, ces dernières semaines, pour opposer une fin de non-recevoir aux demandes d'interviews de la presse hexagonale. A chaque fois, la même réponse : pas avant la visite du président chinois en France. De fait, l'arrivée de Hu Jintao, aujourd'hui à Paris, pour une visite d'Etat qui doit le mener demain à Nice, pourrait être l'occasion pour l'industrie tricolore de récolter massivement (lire ci-dessous) les fruits de la réconciliation entre Pékin et Paris. Mais les entreprises françaises marchent sur des oeufs : elles savent qu'avec la Chine, toutes les signatures de gros contrats sont subordonnées au pouvoir politique, et qu'il vaut mieux faire profil bas jusqu'au verdict de Pékin. Lequel peut très bien intervenir à la toute dernière minute.
« Tourner la page »
Dans ce contexte très politique, l'Elysée a également fait preuve, ces derniers temps, d'une remarquable prudence vis-à-vis de la Chine, qui contraste avec la posture de fermeté qui était la sienne jusqu'en 2008. Les conséquences, il y a deux ans, de la rencontre entre Nicolas Sarkozy et le dalaï-lama sont restées dans toutes les mémoires : ulcéré, Pékin avait annulé un sommet en France et gelé la signature de contrats. Depuis, le président de la République s'est rendu à Pékin pour « tourner la page ». Une volonté implicitement confirmée lors de la récente attribution du prix Nobel de la paix au dissident chinois emprisonné Liu Xiaobo : les analystes avaient alors remarqué le caractère minimaliste du communiqué du ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, et, plus encore, le silence éloquent de l'Elysée. Reste à voir quel discours sera tenu sur ce plan au cours des deux jours qui viennent.
Paris a également multiplié les déclarations présentant Pékin comme un partenaire plutôt qu'un obstacle en matière de gouvernance mondiale. Sur la question, notamment, de la sous-évaluation du yuan, Paris développe un argumentaire qui cherche avant tout à ne pas stigmatiser la Chine. En témoignent les déclarations de Jean-Pierre Raffarin dans « le Journal du dimanche », selon lesquelles Paris n'a « pas plus de leçons à donner à la Chine qu'aux Etats-Unis ». Ce faisant, Paris cherche aussi à obtenir le soutien de Pékin dans le cadre de ses projets de refonte de la gouvernance économique mondiale. Alors que la France va prendre la tête du G20 dès le 13 novembre, elle sait que cet appui est crucial, car la Chine a démontré sa capacité à bloquer tout accord international lors de la conférence sur le climat de Copenhague.
« Partenariat d'égal à égal »
Reste à savoir si la volonté de réformes tous azimuts de Nicolas Sarkozy trouvera un écho favorable à Pékin, où l'on a traditionnellement une approche nettement plus prudente et graduelle du changement. La vice-ministre chinoise des Affaires étrangères, Fu Ying, a récemment exhorté la France à la « patience »...
Du côté chinois, les arrière-pensées stratégiques sont également incontestables. Il y a d'abord une volonté de nouer un « partenariat d'égal à égal » avec l'Hexagone, afin notamment de créer des coopérations dans les secteurs industriels les plus avancés, ce qui s'inscrit clairement dans la démarche de montée en gamme industrielle que promeuvent désormais les dirigeants chinois. Mais plus encore, comme le remarque le chercheur François Godement, qui dirige Asia Centre, « ce voyage de Hu Jintao s'inscrit à l'évidence dans le cadre d'une remarquable offensive diplomatique et économique de la Chine en Europe ». Premier partenaire commercial de la Chine, le Vieux Continent représente un potentiel d'investissement que la Chine a eu tendance, jusqu'à présent, à sous-estimer. La crise financière ayant révélé les fragilités de l'économie américaine, les stratèges chinois semblent convaincus de la nécessité de rééquilibrer leurs relations économiques. Pékin a récemment procédé à des investissements massifs dans le port de Naples ou celui d'Athènes, ce qui traduit sa volonté de mettre un pied dans le commerce européen.
Plus fondamentalement, Pékin n'a eu de cesse d'apporter un soutien politique et financier aux pays de la périphérie de l'Europe les plus fragilisés par la crise financière. Après la France, Hu Jintao doit passer deux jours au Portugal. Pékin s'est dit prêt à acheter de la dette portugaise, ce qui serait d'un grand soutien pour le Premier ministre, José Socrates, au moment où il se trouve acculé à une austérité budgétaire de plus en plus délicate sur le plan politique.
La présence en France du président chinois, Hu Jintao, devrait se traduire par l'annonce de beaucoup de gros et petits contrats. Avec Areva et Airbus notamment. L'ampleur des contrats signés « sera de loin plus importante que lors des précédentes visites de dirigeants chinois à l'étranger cette année », promettait-on hier à l'Elysée. Deux cérémonies de signatures sont prévues, l'une ce soir à l'Elysée, l'autre demain matin au Medef. « Toutes les entreprises françaises qui travaillent en Chine ont aujourd'hui des discussions avec leurs interlocuteurs chinois, souligne une source diplomatique française. Celles qui n'en auraient pas devraient se poser des questions. » Une extrême prudence prévaut néanmoins, notamment dans les rangs des entreprises. « On n'exclut pas des modifications de dernière minute, a fortiori avec les Chinois, qui ne sont pas des partenaires qui se laissent forcer la main », glisse-t-on chez l'une des grosses entreprises concernées. Le gros des contrats devrait concerner Areva et Airbus. L'A350, l'Airbus qu'il manquait à la chine Chez Airbus, on se veut enthousiaste à l'idée de la signature, manifestement imminente, d'un gros contrat avec la Chine. Certes, aucun A380 ne devrait être acheté par Pékin. A cela plusieurs raisons, dont la politique tarifaire très agressive de Boeing avec son 747-800 n'est pas la moindre. Mais au fond, explique-t-on chez l'avionneur, Airbus récolte surtout là les fruits qu'il a semés : l'essentiel de l'effort de marketing a été fourni pour l'A350. L'objectif à long terme étant que la Chine possède l'intégralité de la gamme Airbus. Or la compagnie China Southern a déjà commandé cinq A380. Il ne manquait plus que l'A350. Ce devrait être chose faite aujourd'hui, la Chine s'apprêtant à commander une dizaine d'A350 ainsi qu'une vingtaine d'A330. Un contrat qui pourrait faire d'Air China l'une des toutes premières compagnies au monde par la quantité d'A330 qu'elle exploite. Un nombre significatif d'A320 devrait faire partie du contrat. Exit l'idée, retenue un temps, de retarder la signature pour des raisons de diplomatie européenne afin de permettre à la chancelière allemande Angela Merkel d'apposer sa signature au contrat et de partager avec Nicolas Sarkozy les bénéfices politiques des succès chinois d'Airbus. Contrat géant en VUE POUR AREVA Areva devrait signer un contrat de fourniture d'uranium de 3 milliards de dollars avec CGNPC et annoncer une avancée dans ses négociations pour la commande de deux réacteurs EPR (lire « Les Echos » du 2 novembre et ci-contre). le charbon propre dans le viseur de Total Total devrait signer une lettre d'intention avec le partenaire chinois China Power International Development, présent en Mongolie intérieure, en vue d'une coopération en matière de charbon propre. « Aider la Chine à exploiter son charbon sans les émissions massives actuelles de gaz à effet de serre serait un immense progrès », se réjouit-on à l'Elysée.
L'Elysée s'attend à un record de signatures
MARIE-CHRISTINE CORBIER
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire