François Godement, 61 ans, sinologue, est fondateur de l'Asia Centre à l'Institut de sciences politiques de Paris.
La Chine est-elle sensible à la critique internationale ?
Sur le plan économique, c'est évident à la longue. Mais sur le plan politique, elle cherche surtout à s'affirmer comme une grande puissance, et semble même frappée de surdité aux critiques, comme on le voit avec le prix Nobel. Il y a vingt ans, la situation était moins bloquée, car la Chine était moins forte; aujourd'hui, le gouvernement est plus sûr de lui. Et, surtout depuis la crise, il est convaincu de la faiblesse des démocraties occidentales.
Les Chinois sont-ils en train d'imposer un nouvel ordre économique mondial, avec leurs propres valeurs ?
Plutôt qu'imposer un nouvel ordre, ils veulent s'insérer dans l'ordre existant, en profitant de tous ses avantages sans en subir les inconvénients. Depuis leur entrée à l'OMC en 2001, ce sont les grands gagnants de la globalisation. Ils ont gardé leur statut de pays en voie de développement alors qu'aujourd'hui, ils sont la deuxième puissance mondiale, un pays riche avec beaucoup de pauvres. C'est très important pour eux, ce statut : il leur permet de garder de façon légale leurs propres leviers économiques, qui ne sont pas ceux des pays développés. Cela durera ce que cela durera, jusqu'à ce que les partenaires se rebiffent.
Quels sont les pays capables de résister à la Chine ?
Ses voisins, avec qui elle est capable de déclencher des conflits frontaliers pour s'imposer dans sa zone comme une superpuissance : même alliés, la Corée du Nord et le Vietnam lui résistent. Le Japon est plus ambigu, car là-bas, l'attraction économique de la Chine est très forte. Mais les véritables rivaux de la Chine sont les Etats-Unis. Eux seuls peuvent lui résister, à condition de s'appuyer sur des alliés asiatiques, comme l'Australie, le Japon ou l'Inde.
Et l'Europe ?
Depuis les JO, le Tibet, et la montée d'opinions défavorables en Europe, la Chine a compris qu'il fallait renouer avec une diplomatie européenne plus souple. De façon bilatérale, pays par pays, des gestes sont faits, du moins en apparence. L'interview du président Hu Jintao au Figaro est en soi assez exceptionnelle, c'est un message à la France après deux ans de brouille. Un message positif en terme d'intérêts économiques, et, en même temps, rien de ce qui fâche n'est abordé. Tout est dans l'affichage de la nouvelle entente. Cela dit, la grande affaire stratégique des Européens, celle sur laquelle ils doivent réagir, c'est la prolifération iranienne. La Chine a une influence majeure sur l'Iran, il sera intéressant de voir si elle accepte le dialogue.
Le prix Nobel de la paix décerné à Liu Xiaobo peut-il faire évoluer la Chine ?
Même s'il n'y a pas d'impact immédiat, cela va faire son chemin dans la société chinoise urbaine et éduquée. Liu Xiaobo est un modéré, qui ne met pas en péril le régime. La Chine a beaucoup de mal à justifier son maintien en détention et à le faire passer pour un danger pour la nation. L'important est de continuer à demander sa libération et de maintenir une pression sur le gouvernement chinois. A terme, cela sera payant. Car les dirigeants chinois apprécient la franchise. Même s'ils ne la pratiquent pas eux-mêmes, ils ont une certaine considération pour ceux qui en font preuve.
Nicolas Sarkozy est passé de l'opposition frontale à la soumission apparente avec la Chine. Il faut renoncer à ses valeurs pour faire des affaires avec Pékin ?
Il s'agit plutôt d'un aller-retour. Fin 2007, Nicolas Sarkozy a fait à Pékin un voyage de contrats. Puis il y a eu l'affaire du Tibet, qui a dépassé tout le monde, y compris les Chinois. Aujourd'hui, il est très discret, en témoigne le vague communiqué du Quai d'Orsay sur le prix Nobel de la paix attribué à Liu Xiaobo, où la Chine n'est même pas mentionnée... Certains pays européens, comme l'Allemagne, qui entretient pourtant aussi une diplomatie économique avec la Chine, ont été plus nets. Avec la France, Pékin a repris sa politique, ou plutôt sa diplomatie, de gros contrats. Le président Sarkozy justifiera sûrement cela par la crise, etc. Mais on espère que la France ne perdra pas de vue ses autres intérêts, comme le maintien de sa position sur les droits de l'homme ou sa capacité à affirmer qu'elle reçoit qui elle veut où bon lui semble.
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