mercredi 3 novembre 2010

OPINION - Apprendre à vivre avec cette nouvelle Chine - Jean-Pascal Tricoire


Le Figaro, no. 20608 - Le Figaro, mercredi, 3 novembre 2010, p. 18

Au moment de la visite de Hu Jintao à Paris, le président du Comité France-Chine souligne que la crise a accéléré le retour de cette dernière sur l'échiquier mondial.

L'éveil de la Chine provoque généralement des tremblements dans l'opinion publique française. Le retour de cette grande nation y suscite souvent plus de craintes que d'espérance.

Pourtant, le monde d'après-crise doit beaucoup à la Chine. La reprise actuelle des grands pays européens exportateurs a été très largement alimentée par sa croissance accélérée. Le monde entier a bénéficié de son plan de relance énorme de plus de 400 milliards de dollars. Comme dans les crises financières précédentes, la Chine a aussi mis ses réserves financières considérables à l'oeuvre pour stabiliser un monde financier en pleine tourmente. Sur les cinq ans à venir, la Chine devrait porter 30 % de la croissance et 35 % de l'investissement dans le monde. Elle devrait en cela relayer un monde occidental malade de sa dette et de sa difficulté à se reformer. La crise a accéléré le retour de l'empire du Milieu au centre de l'échiquier mondial.

La France a déjà bénéficié du boom chinois. Pendant la crise, la Chine a joué, par ses commandes, un rôle d'amortisseur. Bon nombre de nos usines ont pu continuer à fonctionner pour alimenter sa croissance et la Chine sera le marché phare des années à venir pour nos entreprises. Au plein coeur de la crise, nous aurons exporté, vers la Chine, environ 9 milliards de dollars. 4 000 entreprises françaises sont aujourd'hui implantées en Chine. Par comparaison, 100 entreprises chinoises font leurs premiers pas dans l'Hexagone et y créent des emplois. La France peut faire mieux car nos activités en Chine se sont souvent cantonnées aux secteurs traditionnels d'excellence (énergie, transport, défense, luxe). Elles doivent aujourd'hui s'étendre à d'autres secteurs d'expertise française : l'économie verte, l'agroalimentaire, les technologies de l'information, la santé et les services.

Sans aucun doute, la décennie à venir sera chinoise, et le réveil en fanfare de 20 % de la population mondiale affectera de près ou de loin tous les pays et tous les habitants de la planète. Le monde, et donc la France, devra s'y adapter et en sortira très différent.

L'éveil de cette grande puissance économique n'est pas sans susciter de nouveaux défis : nombre d'entreprises chinoises, portées par leur immense marché domestique, leurs avantages en coûts, et épaulées souvent par la puissance financière de leur gouvernement, acquièrent désormais une dimension internationale et viennent bousculer les marchés mondiaux. Les entreprises chinoises doivent prendre conscience qu'une rupture brutale des équilibres de marché pourrait déclencher dans le reste du monde des réflexes protectionnistes. La Chine elle-même, désormais premier exportateur mondial, en serait la première victime. Plus la Chine sera intégrée au commerce mondial, plus ses intérêts seront dépendants du reste du monde, et plus elle sera attentive à ces équilibres. De même, les nouvelles exigences sociales exprimées en Chine en début d'année, les coûts sociaux plus élevés qui en résultent, la pression globale sur la protection de l'environnement et sur la disponibilité des matières premières, la convertibilité du yuan, certes à un horizon plus lointain, le développement d'un actionnariat chinois dans nos entreprises contribueront à intégrer la Chine au reste du monde.

L'empire du Milieu comprend graduellement qu'avec sa nouvelle place mondiale, il hérite aussi de devoirs à l'échelle mondiale.

Il nous faut donc apprendre à vivre avec cette nouvelle Chine qui retrouve une place mondiale économique, culturelle et politique cohérente avec la dimension de sa population. Il nous faut comprendre cette culture, imaginer des partenariats d'une nouvelle nature avec les entreprises de ce pays, aller chercher de façon offensive une part de la croissance chinoise, et inclure dans nos raisonnements la concurrence d'entreprises venant de Chine. Il faut avant tout défendre le principe d'un marché ouvert et de l'équité de traitement entre les entreprises françaises et chinoises, que ce soit en Chine ou en France.

Il nous faudra beaucoup dialoguer pour traverser harmonieusement toutes ces transformations. C'est pour cela que la visite du président Hu Jintao, en prélude a un G20 de présidence française, est une étape importante de ce dialogue et de la consolidation d'une relation stratégique franco-chinoise constructive.

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Libération, no. 9168 - Événement, mercredi, 3 novembre 2010, p. 4

PORTRAIT - Tricoire, l'empereur du milieu patronal
Le PDG de Schneider Electric préside le puissant Comité France Chine.

Grégoire Biseau

«Le Chinois». C'est le surnom de Jean-Pascal Tricoire, le patron de Schneider Electric, donné par ses homologues du CAC 40. Discret, inconnu du grand public, ce patron de 47 ans est probablement le meilleur ambassadeur de la Chine en France. Il connaît bien sûr par coeur le marché chinois : son ahurissant potentiel de développement et toutes ses chausse-trapes juridiques comme politiques. L'homme privé est lui passionné par le pays depuis presque vingt ans.

Aujourd'hui président du Comité France Chine, l'association du Medef qui oeuvre aux bonnes relations commerciales entre les deux pays, il est le seul grand patron français à parler couramment le chinois. Il est incollable sur les arcanes du Parti communiste comme sur les ethnies les plus reculées du pays. Cet été encore, il était avec femme et enfants à bourlinguer sac au dos sur les contreforts du Tibet, à visiter cette Chine profonde encore préservée du tourisme de masse. Il est revenu convaincu que la ruée des Chinois de la côte vers l'ouest du pays était la garantie que le miracle d'une croissance à deux chiffres était là pour durer longtemps. Ahuri par exemple de découvrir, dans une ville reculée, que tous les scooters en circulation étaient électriques.

Originaire d'un milieu modeste, diplômé d'une petite école d'ingénieur, Tricoire est un pur produit de la méritocratie d'une multinationale. Adoubé de l'intérieur et ignoré des réseaux parisiens du capitalisme français. Jeune ingénieur à Schneider Electric, il débarque à Pékin en 1993 pour développer une activité commerciale encore embryonnaire. Il y reste cinq ans. Et depuis qu'il est nommé patron, en 2006, il y retourne tous les deux mois. Aujourd'hui, la Chine est devenue le deuxième marché de ce spécialiste du matériel électrique, derrière les Etats-Unis, mais devant la France. 22 000 collaborateurs y travaillent dans 26 usines et trois centres de recherche et développement. Pour Tricoire, la présence industrielle des entreprises françaises en Chine ne se discute pas. Sauf à vouloir se couper de ce qui est en train de devenir la première économie du monde.

Et tant pis s'il faut en passer par les risques de violation de la propriété intellectuelle. En 2007, un concurrent chinois avait attaqué en justice Schneider Electric pour contrefaçon d'un commutateur électrique de disjoncteur. Le comble pour le français, qui avait déposé son brevet vingt ans auparavant. Un accord à l'amiable a fini par être trouvé deux ans plus tard. C'était avant les déboires de Danone, en conflit ouvert avec son partenaire chinois dans une filiale commune, puis ceux d'Alstom, carrément pillé de sa technologie. Le sujet de la propriété intellectuelle sera une fois de plus au coeur des discussions avec les autorités chinoises cette semaine à Paris, pendant la visite du président Hu Jintao. Mais Tricoire plaidera pour donner du temps au temps. «La Chine est en train de devenir le premier dépositaire de brevets. Si elle veut que l'on respecte sa propriété intellectuelle, il faut qu'elle apprenne à respecter la nôtre», dit son entourage.

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