Libération, no. 9168 - Événement, mercredi, 3 novembre 2010, p. 2
Durant la tournée du chef d'Etat chinois, Paris va parler business et tenter de faire oublier la crise tibétaine.
Un tapis rouge, les honneurs militaires et de gros contrats en perspective, rien n'est de trop pour enterrer deux années de froid entre Paris et Pékin. A partir de demain, Nicolas Sarkozy accueille son homologue chinois, Hu Jintao, pour une visite d'Etat de trois jours à Paris et Nice.
Certes, cette visite comporte un volet économique important. La France espère vendre à la Chine une centaine d'Airbus et obtenir la construction des tranches 3 et 4 de la centrale nucléaire de Taishan, dans le sud du pays. Selon Les Echos, Areva devrait officialiser la signature d'un contrat de 3 milliards de dollars avec l'électricien chinois CGNPC pour la livraison de 20 000 tonnes d'uranium sur dix ans. Paris, qui prendra les rênes du G20 le 12 novembre, entend aussi évoquer une réforme du système monétaire international au moment où Pékin est accusé de maintenir son yuan à un niveau sous-évalué.
Tibet. De son côté, la Chine veut «renforcer sa coopération stratégique avec la France».
Dans un entretien au Figaro Hier, Hu Jintao a plaidé pour le développement «à pas assurés» de la coopération économique entre les deux pays. Il souhaite l'élargir à l'environnement, les économies d'énergie et les technologies de l'information.
Mais cette visite vise d'abord à faire oublier la crise née au printemps 2008 autour de la question du Tibet. Quand Sarkozy appelait alors Pékin à la «fin des violences» à Lhassa et menaçait de boycotter la cérémonie d'ouverture des JO en l'absence de pourparlers entre Chinois et Tibétains. Pis, après des mois de tergiversations et de renoncements, il serrait en catimini la main du dalaï-lama en Pologne. Au grand dam des Chinois qui entamaient des mesures de rétorsion.
Depuis, histoire de bien tourner la page, la France a envoyé missi dominici et élus pour réchauffer une relation distendue. En avril, pour la quatrième fois en trois ans, Sarkozy s'est lancé dans une opération séduction envers les «amis chinois». En retour, suprême honneur, son épouse a eu droit à une reprise de deux de ses chansons par la fanfare de l'armée populaire. Pékin avait vraisemblablement oublié que Carla Bruni-Sarkozy avait reçu des mains du dalaï-lama l'écharpe blanche de la félicité tibétaine.
Muet. Surtout, l'Elysée a évité tous les sujets qui fâchent. Le Château est même devenu muet. A la différence de Barack Obama et d'Angela Merkel, Nicolas Sarkozy est resté totalement silencieux après l'attribution du prix Nobel de la paix au dissident chinois emprisonné Liu Xiaobo. «La diplomatie française à l'Elysée et au Quai d'Orsay reste sinophile, telle qu'elle a été établie depuis quarante ans par les gaullistes», analyse le sinologue Jean-Luc Domenach.
Le chef de l'Etat semble être revenu à une approche pragmatique avec la Chine. C'est en fait un retour à novembre 2007, quand le Président fraîchement élu et rentré de Pékin trompettait avoir signé pour 20 milliards de contrats. Rendez-vous samedi pour un bilan sonnant et trébuchant des retrouvailles sino-françaises.
Aux petits oignons avec le géant chinois - Arnaud Vaulerin
Depuis deux ans, lobbyistes, hommes politiques et patrons français «amis de Pékin» se démènent pour réchauffer les relations entre Paris et le géant asiatique. En s'appliquant à faire taire les critiques sur les droits de l'homme. Ils n'auront pas ménagé leurs efforts. Dans la classe politique et les milieux économiques français, nombreux sont ceux qui vont pousser un ouf de soulagement avec la venue de Hu Jintao en France. Depuis 2008, ces amis de la Chine veulent faire oublier le passage calamiteux de la flamme olympique à Paris et la discrète poignée de main de Sarkozy avec le dalaï-lama en Pologne qui ont tant chahuté les relations diplomatiques et parasité le business. «La page des hésitations est définitivement tournée», assurait dimanche Jean-Pierre Raffarin dans le JDD. L'ancien Premier ministre est le grand ami de Pékin et le monsieur bons offices de la politique française en Chine. Avec ses trente ans d'activisme, le casque bleu Raffarin a toujours eu l'oreille des autorités ces derniers mois, pourtant fâchées par Nicolas Sarkozy, jugé «imprévisible». Les Chinois n'ont pas oublié la visite officielle de Raffarin en 2003, en pleine épidémie du Sras. Lui ne rate jamais l'occasion de fanfaronner à ce sujet. Au pire de la crise tibétaine, au printemps 2008, le sénateur du Poitou s'était rendu à Pékin, porteur d'une lettre de Nicolas Sarkozy et d'un courrier de Jacques Chirac, l'autre grand ami de l'Empire du milieu. A son retour, en partisan de la «non-violence», il se laissait aller sur RTL : «La Chine a quitté la route de la dictature.» En toute logique, il a milité pour que Sarkozy assiste à la cérémonie des JO de Pékin en août 2008. «Raffarin, c'est la clé de voûte du lobby prochinois en France, analyse une sinologue. Il est devenu apolitique, il accompagne la signature des contrats.» Pacificateur. L'ancien Premier ministre se rend en Chine quatre fois par an. Multiplie les rapports, les échanges avec le ban et l'arrière-ban des autorités chinoises, joue les médiateurs, les pacificateurs. En février 2009, à l'occasion du 45e anniversaire des relations diplomatiques franco-chinoises, il débarque à Pékin avec une quinzaine de parlementaires et de personnalités de la société civile. Via sa Fondation Prospective et Innovation, il entend ainsi mettre en oeuvre un programme «Young leaders» destiné à mieux faire connaître la Chine à de jeunes dirigeants politiques français. A leur retour, les élus signent une tribune dans Le Figaro : «La Chine considère que la France, pays "ami", a manifesté une forme d'ingérence dans ses affaires intérieures», écrivent ces huit parlementaires, qui reprennent à leur compte le discours chinois. Ils appellent à «prendre au sérieux, et avec une certaine gravité, les deux avertissements récents donnés par les autorités chinoises» : le report du sommet Europe-Chine qui devait se tenir en décembre 2008 à Lyon et le boycott de la France par Pékin quand, en janvier 2009, le Premier ministre Wen Jiabao a soigneusement évité Paris lors de voyages d'affaires en Europe. Les autorités françaises ont compris qu'elles risquaient gros à ce moment-là. Les délégations vont alors se multiplier. Les amis de la Chine ouvrent tous les canaux de dialogue possible. En avril 2009, le président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer, est dépêché en mission diplomatique, porteur d'une lettre d'invitation de Sarkozy à Hu Jintao. Six mois plus tard, la ministre de l'Economie, Christine Lagarde, accompagnée des PDG de Danone, EADS et Carrefour, passe trois jours très actifs à Pékin. La ministre est l'une des chevilles ouvrières des retrouvailles avec Pékin. Sa secrétaire d'Etat au Commerce extérieure, Anne-Marie Idrac, qui se rend tous les six mois en Chine, n'est pas en reste. François Fillon prend le même soin à éviter les sujets qui fâchent et à amadouer les Chinois. Même Xavier Bertrand, patron de l'UMP, fait le voyage pour signer un improbable accord avec le Parti communiste chinois qui a fait tousser dans la majorité. Mais la sinophilie transcende les courants partisans. Jean Besson, sénateur PS de la Drôme, se souvient des «milliards et des contrats perdus» en 2009. Président du groupe interparlementaire France-Chine qui fédère 120 sénateurs de tous horizons, il se campe en «sinoréaliste» : «Il n'est pas possible de faire l'impasse sur la future première puissance économique du monde», dit cet ami de Pékin qui se rend en Chine deux fois par an et qui, par le passé, a multiplié les échanges entre sa région Rhône-Alpes et Shanghai. Il cite Jaurès - «il faut aller à l'idéal et comprendre le réel» - avant d'affirmer que «Nicolas Sarkozy a eu raison de ne rien dire après l'attribution du prix Nobel à Liu Xiaobo. Ça aurait eu des conséquences financières et économiques». Ce discours est de mise depuis des mois dans les milieux économiques. Le Comité France Chine est l'étage supérieur de la coopération commerciale entre les deux pays. Alstom, Areva, LVMH, Renault, Total... toutes les grandes entreprises adhèrent à cette structure associative qui dépend du Medef. Depuis trente ans, c'est la vitrine du monde des affaires français. Présidé par le PDG de Schneider Electric, Jean-Pascal Tricoire, le comité met en relation les responsables économiques et politiques des deux pays, organise les visites des délégations chinoises en France - comme celle de Hu Jintao - et, tout au long de l'année, prépare des tables rondes entre maires, experts, chefs d'entreprises. On y croise la fine fleur du patronat français, des ministres, un ancien président de la République. «Tout va bien». A la tête d'un autre organisme, le Cercle franco-chinois, créé sur les conseils de Deng Xiaoping et d'Alain Peyrefitte, Jacques Van Miden s'active pour que les entreprises françaises investissent sur un «marché de 1,3 milliard d'habitants qui, eux, travaillent plus que 35 heures». Expert étranger auprès des autorités de Pékin, il conseille surtout des PME et des PMI et tente de les «introduire dans les instances nationales ou locales». Plus chinois que les Chinois, Van Miden estime qu'«il faut arrêter de tirer sur les ambulances à propos des droits de l'homme. Ils font ce qu'ils peuvent. Ce n'est pas la peine de demander la libération du Prix Nobel, ce sera non».Pour lui, «tout va bien». Il en veut pour preuve les accords de coopération qui se nouent entre collectivités locales françaises et territoires chinois. Comme pour la région Paca, dont le président PS Michel Vauzelle rentre de mission à Canton et à Shanghai. En Paca précisément où Hu Jintao achèvera samedi sa visite d'Etat.
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