jeudi 11 novembre 2010

Hong Kong, paradis du shopping chinois - Jiang Peng

Courrier international, no. 1045 - Asie, mercredi, 10 novembre 2010, p. 38

Au poste frontière de Luohu, à Shenzhen, presque tous les voyageurs qui arrivent de Hong Kong sont lourdement chargés : un sac à dos aux épaules, un grand sac plus un petit sac à la main, sans oublier une valise à roulettes. Mlle Luo, qui adore se rendre à Hong Kong pour y faire ses courses, nous explique qu'on a donné le surnom de "sherpas" à ces voyageurs qui croulent sous le poids des bagages ! Alors que naguère les gens de Shenzhen se rendaient à Hong Kong pour acheter essentiellement des produits de luxe, comme des bijoux ou des cosmétiques de marque, ils remplissent désormais leurs sacs et valises de produits de consommation courante (sel, huile, vinaigre, lait pour bébé ou produits ménagers) pour les rapporter chez eux.

Selon des chiffres fournis par l'office du tourisme de Hong Kong, le nombre de visiteurs chinois sur le territoire de la région administrative spéciale a augmenté de 26,9 % sur un an au cours du premier semestre 2010, avec 10,5 millions d'entrées, tous les records ayant été battus au mois de juin. Alors qu'il devient très tendance pour un habitant de Shenzhen d'aller à Hong Kong acheter ses produits de consommation courante, certains commerçants rusés du territoire ont trouvé de nouvelles techniques de promotion des ventes. Ainsi, selon un internaute, un centre commercial hongkongais propose un billet de bus gratuit pour Shenzhen à toute personne réalisant pour au moins 800 dollars hongkongais [75 euros environ] d'achats dans ses boutiques. Pour Mme Li, retraitée, aller à Hong Kong faire ses courses pour acquérir les produits de consommation courante est devenu une vraie occupation et une passion. A 57 ans, elle puise son inlassable motivation dans le fossé qui se creuse de plus en plus entre les prix pratiqués à Shenzhen et Hong Kong.

Le cours du bol de nouilles

En 2007, Mme Li avait suivi pour la première fois ses enfants dans la région administrative spéciale, où elle avait trouvé les prix particulièrement élevés. "Il fallait alors payer 38 yuans [10 yuans = 1 euro] pour un simple bol de nouilles !" se souvient-elle. Son mari et elle s'étaient empressés de rentrer à Shenzhen après s'être contentés, pour tout achat, d'une paire de chaussures chacun... Par la suite, elle est retournée à Hong Kong tous les trois mois pour acheter du lait premier âge pour son petit-fils. Peu à peu, elle a constaté une baisse des prix à Hong Kong, tandis qu'à Shenzhen les prix des fruits se sont envolés et le bol de nouilles est passé à une trentaine de yuans dans les centres commerciaux. Tout cela parce que le yuan s'est fortement apprécié sur le marché des changes, tandis que le cours du dollar hongkongais a plongé.

L'an dernier, Mme Li a découvert un jour qu'un paquet de mouchoirs en papier ne valait que 2 yuans à Hong Kong contre 3,3 yuans à Shenzhen. Du coup, elle en a acheté de quoi remplir un grand sac qu'elle a rapporté à Shenzhen. La nouvelle s'est répandue dans son quartier et ses voisins ont réagi d'une manière étonnante à ses yeux. "Beaucoup ont approuvé mon geste et ont voulu venir avec moi à Hong Kong."

Mme Li a conservé un ticket de caisse en date du 2 avril qui comporte au total 22 articles de parapharmacie, pour un peu plus de 3 200 yuans. Elle a calculé que si elle avait fait ces mêmes achats à Shenzhen, elle en aurait eu pour plus de 4 000 yuans. Pour elle, le voyage vaut désormais la peine. En outre, le trajet aller-retour ne coûte pas cher du tout et, du point de vue de la qualité, les produits achetés à Hong Kong sont plus sûrs.

Mme Li se souvient qu'en l'an 2000, quand les mesures restreignant l'accès au territoire avaient été levées, les prix pratiqués à Hong Kong avaient considérablement refroidi l'enthousiasme des habitants de Shenzhen, tandis que les produits bon marché de Shenzhen avaient provoqué une ruée vers le nord d'acheteurs hongkongais. "A l'époque, on pouvait voir au poste-frontière de Luohu une foule de Hongkongais chargés de paquets et sacs de toutes tailles, qui rentraient chez eux une fois leurs achats à ­Shenzhen terminés", rappelle-t-elle. Des personnes à bas revenus de Hong Kong avaient même décidé de s'installer à Shenzhen.

Retraite à saute-frontière

Au cours des dix dernières années, l'économie chinoise s'est développée à un rythme incroyablement rapide. Les Chinois enrichis ont commencé à affluer à Hong Kong pour y faire du shopping. Cependant, les touristes de Chine populaire n'ont eu d'yeux que pour les produits de luxe relativement bon marché. La presse évoquait de riches Chinois ayant acheté de nombreux sacs Louis Vuitton. Ces dernières années, le pouvoir d'achat des consommateurs de Chine populaire a fortement augmenté grâce à l'appréciation constante du yuan vis-à-vis du dollar américain ; 100 dollars de Hong Kong valent désormais moins de 87 yuans, contre 97 yuans jadis. Mme Liang, une Hongkongaise qui allait souvent à Shenzhen pour faire ses emplettes, a constaté de facto que les prix à Shenzhen avaient augmenté de 10 à 20 % en l'espace de seulement un semestre. Les produits d'usage courant y coûtent désormais presque aussi chers qu'à Hong Kong, voire plus chers pour certains articles. Aussi, certains Hongkongais qui comptaient passer leur retraite à Shenzhen commencent maintenant à changer d'avis.

Jiang Peng

© 2010 Courrier international. Tous droits réservés.

0 commentaires: