Le leadership de l'Europe dans les télécommunications s'effrite au profit des Etats-Unis et de la Chine
Le constat est cruel pour les télécommunications européennes. Ces trois dernières années, l'innovation dans le secteur s'est décentrée vers l'ouest, en Californie. " Dans un rayon de 10 kilomètres, entre Cupertino, le siège social d'Apple et Mountain View, celui de Google ", précise Jean-Louis Gassée, ex-dirigeant d'Apple, aujourd'hui investisseur dans la Silicon Valley. Et un peu vers l'est aussi, en Chine, chez des fabricants d'infrastructure comme Huawei ou ZTE.
C'est d'autant plus ennuyeux que cette industrie est considérée comme le point fort de l'Europe dans les technologies de l'information. Un des rares, les Etats-Unis détenant le leadership sur la conception de matériel informatique, l'édition de logiciels, les sociétés Internet.
Cela fait déjà plusieurs années que les puissants fabricants de matériel de réseau, le groupe français Alcatel-Lucent ou le suédois Ericsson, perdent des contrats au profit de Huawei et de ZTE. Pire : ces derniers sont désormais à la pointe en matière technologique.
Pour ce qui est des téléphones proprement dit, le point de retournement date de juin 2007, quand Apple a commencé à commercialiser l'iPhone, premier terminal tout tactile du marché. Un autre jalon essentiel fut le lancement par Google, il y a trois ans, du projet de système d'exploitation pour mobiles Android. A l'époque, les spécialistes doutaient de leur capacité à s'imposer sur un secteur dominé par des géants comme le finlandais Nokia, premier fabricant mondial de téléphones (40 % de parts de marché à l'époque). Et où les opérateurs, particulièrement les Européens, contrôlaient la distribution des terminaux et, grâce au système des subventions, pouvaient pousser ou enterrer un modèle.
Flair californien
Les chiffres publiés, mercredi 10 novembre, par le cabinet Gartner prouvent que les groupes californiens ont gagné leur pari : au troisième trimestre 2010, plus du quart des smartphones vendus dans le monde étaient équipés d'Android, contre 3,5 % un an plus tôt. Et 16,7 % étaient des iPhones.
Apple et Google ont plus que bousculé les hiérarchies côté concepteurs de terminaux; ils ont modifié les rapports de force traditionnels du secteur. Quand un utilisateur télécharge une application parmi les centaines de milliers disponibles sur l'iPhone, c'est Apple qui leur envoie la facture, une brèche dans la relation jusqu'alors exclusive entre l'opérateur et son client...
Selon des rumeurs non confirmées, Apple discuterait avec le français Gemalto, fabricant de cartes à puces, pour qu'il lui conçoive une carte SIM (identifiant d'un terminal sur un réseau), ce qui l'affranchirait un peu plus des opérateurs qui contrôlent ces composants essentiels des téléphones. Google a aussi tenté de les court-circuiter - en vain à ce jour -, en tentant de vendre en direct ses " Google Phones ".
Pourquoi en est-on arrivé là ? Il y a le flair, l'ingéniosité de ces géants américains. Google parie sur un logiciel relativement " ouvert ", que s'approprient les développeurs d'applications. Gratuit, il est plébiscité par les constructeurs de téléphones soucieux de se démarquer d'Apple. Ce dernier exhume, lui, une bonne idée - les applications mobiles -, que les opérateurs n'avaient jusqu'à présent jamais réussi à rendre attractive, et il remporte le jackpot.
Il est aussi un peu logique que l'informatique prenne d'assaut les télécoms. Jusqu'au début des années 2000, les réseaux servaient surtout à transporter de la voix. Mais avec l'arrivée des technologies de troisième génération, ces infrastructures ont pu véhiculer d'autres données, jusqu'à des images animées. Et elles ont commencé à s'interconnecter au réseau Internet. C'est pour cela que les acteurs de l'informatique et du Web ont investi cette arène.
Pour autant, tout n'est pas perdu pour les Européens. Ils commencent à réagir. Pour la première fois de son histoire, Nokia vient de recruter un patron non finlandais, un Nord-Américain, ex-dirigeant de Microsoft, un professionnel du logiciel donc. Stéphane Richard, le directeur général de France Télécom, a réuni début octobre ses homologues européens pour réfléchir à un système d'exploitation pour mobiles que concevraient les opérateurs eux-mêmes.
Côté infrastructures, Alcatel-Lucent et Ericsson multiplient les contrats dans les pays en développement, en pleine phase d'équipement et essayent de se positionner sur la " quatrième génération " de réseaux, qui pourra transporter encore plus de données.
Rien n'est définitif dans un secteur où tous les acteurs sont sur la brèche, même Apple, obligé de sortir un nouvel iPhone tous les ans, et qui vient tout juste d'être dépassé par Android, selon les chiffres du Gartner.
Cécile Ducourtieux
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