Après des semaines de suspense, la Réserve fédérale américaine (Fed) devrait lever le voile, mercredi 3 novembre, sur les modalités d'un nouveau " round " d'assouplissement monétaire destiné à soutenir l'économie. Un programme qui consiste, pour la banque centrale, à racheter des obligations d'Etat et qu'elle n'a jusqu'ici expérimenté qu'en période de crise.
Rarement décision de politique monétaire aura suscité tant d'interrogations et de polémiques aux Etats-Unis. Son efficacité, son bien-fondé, les risques qu'elle comporte, divisent profondément les experts. Certains s'alarment de voir la Fed banaliser un instrument souvent comparé à une " arme nucléaire ". Au moment d'en annoncer le détail, la Fed pourrait bien faire valoir qu'elle n'avait tout simplement pas le choix.
Pourquoi la Fed doit-elle agir ?
La reprise, aux Etats-Unis, est plus qu'hésitante. L'immobilier ne se reprend pas. Les Américains rechignent à consommer. Les statistiques officielles publiées vendredi 29 octobre ont révélé que la croissance au troisième trimestre n'a été que de 2 % en rythme annuel. Un niveau insuffisant pour relancer la " job machine ".
A 9,6 %, le taux de chômage reste à des sommets historiques et pourrait même dépasser à nouveau les 10 % si l'activité ne retrouve pas vite du tonus. Or la bonne santé du marché de l'emploi est l'un des mandats de la Fed, au même titre que la stabilité des prix.
Sur ce deuxième front, la banque centrale ne peut non plus se montrer satisfaite : l'inflation croît actuellement au rythme très faible de 0,8 %, bien en deçà de sa cible implicite, fixée entre 1,7 % et 2 %. Le président de la Fed, Ben Bernanke, craint plus que tout de voir s'enclencher une spirale déflationniste où la baisse des prix et des salaires découragerait l'investissement et la consommation.
La Réserve fédérale est également poussée à agir pour des raisons politiques. Une franche victoire des républicains aux élections de mi-mandat, mardi, restreindrait la marge de manoeuvre de Barack Obama. Difficile, dans ces conditions, de compter sur un nouveau plan de relance budgétaire. L'institution monétaire serait donc seule à avoir les coudées franches pour tenter de soutenir la reprise.
Comment va-t-elle s'y prendre ? L'arme du taux directeur est aujourd'hui obsolète : la Fed ne peut tout simplement pas le baisser davantage car celui-ci est déjà quasi nul depuis la mi-décembre 2008. C'est pourquoi elle s'apprête à lancer une nouvelle vague de " quantitative easing ".
Cette politique que les experts ont rebaptisée " QE2 " revient en réalité à créer de la monnaie ex nihilo. Autrement dit, la banque centrale va injecter des centaines de milliards de dollars dans le circuit financier américain en rachetant des bons du Trésor à long terme. L'objectif ? Maintenir les taux d'intérêt à de très bas niveaux et tenter ainsi de relancer le crédit.
La Fed n'en est pas à son coup d'essai. En 2008 et 2009, elle a déjà procédé à de tels achats pour plus de 1 700 milliards de dollars, afin de contrer les effets de la crise financière. Jusqu'où est-elle aujourd'hui prête à aller ?
C'est la question qui obsède les marchés. Plutôt qu''annoncer un montant spectaculaire, il semble acquis que l'institut d'émission optera pour une démarche progressive : un programme susceptible d'être ajusté selon le rythme de la reprise. Sans en être l'esclave, la Réserve fédérale sait qu'elle doit tenir compte des attentes des investisseurs.
Une annonce très inférieure aux chiffres qui circulent risquerait de provoquer un choc sur les marchés. Les estimations évoquent un montant initial de 500 milliards de dollars sur un semestre.
Quels sont les risques ? La perspective de ce " QE2 " est pourtant loin de faire l'unanimité, au sein de la Fed et ailleurs. Les plus orthodoxes soulignent qu'en faisant marcher la planche à billets, la Fed prend le risque d'un emballement incontrôlé des prix. Elle pourrait aussi encourager la formation d'une nouvelle " bulle " du crédit, reproduisant les erreurs qui ont été à l'origine de la crise de 2007. En outre, une telle politique n'est pas indolore sur la valeur du dollar, au risque d'alimenter les tensions sur le marché des changes.
Depuis que la Fed a fait connaître ses intentions, fin septembre, le billet vert a dégringolé face à presque toutes les grandes devises. La Chine dénonce une création monétaire " hors de contrôle ". L'Europe s'inquiète de la remontée brusque de l'euro qui fragilise sa reprise.
Enfin et surtout, le succès de l'opération est loin d'être garanti ! Dans quelle mesure des taux bas inciteront-ils les banques à desserrer les vannes du crédit et les ménages à emprunter ? Il reste une dernière option à la Fed, évoquée dans le compte rendu de ses dernières réunions : se fixer un objectif d'inflation plus explicite et plus élevé.
Une façon de jouer sur les anticipations des ménages et des entreprises pour les inciter à consommer et à investir sans attendre les hausses de prix à venir.
Marie de Vergès
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