jeudi 25 novembre 2010

LE MOT CHINOIS - "Weiguan" : Faire le badaud


Courrier international, no. 1047 - Asie, jeudi, 25 novembre 2010, p. 42

Weiguan désigne l'attitude des passants curieux et indifférents devant les accidents ou les malheurs subis par autrui. Lu Xun, l'écrivain le plus respecté du XXe siècle, se révoltait contre cette insensibilité. Il en fit une cause. C'est ce qui lui avait fait abandonner ses études de médecine pour devenir écrivain, et tenter de sauver l'âme chinoise plutôt que son corps.

Pour beaucoup, l'état d'esprit des curieux est synonyme d'ignorance, de résignation. Durant tout un siècle, Lu Xun et tant d'autres ont essayé de réveiller ce badaud passif. Mais aujourd'hui, après deux révolutions sanglantes (prise de pouvoir par les communistes en 1949, révolution culturelle en 1966), le résultat semble décevant : selon les médias, ce phénomène prendrait même de l'ampleur. De plus en plus nombreux seraient les spectateurs passifs d'accidents de la route, de brutalités envers les faibles, de viols collectifs, de suicides, etc. Face à ce constat d'échec, le pessimisme est de mise.

Pourtant, la propagation d'Internet en Chine semble changer la donne : les badauds de jadis se transforment en observateurs actifs. Ils sont présents sur tous les fronts : accidents dans les mines, incidents écologiques, conflits sociaux, incendies bizarres... Ils sont à la fois présents physiquement et connectés aux réseaux nationaux et mondiaux. Témoins oculaires, ils livrent leur version des faits et en informent le monde. Ils analysent les événements, et même y participent en défendant les victimes et en dénonçant les défauts des constructions ou les injustices infligées aux laissés-pour-compte. Internet leur a fourni le moyen d'agir efficacement sans risque immédiat. Leur nombre les rend de plus en plus influents. Tels sont les badauds de l'époque d'Internet.

Chen Yan

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