jeudi 25 novembre 2010

RÉCIT - "L'incendie à Shanghai, j'ai tout vu" par Han Han


Courrier international, no. 1047 - Asie, jeudi, 25 novembre 2010, p. 42

Cet après-midi-là, je faisais une séance de prise de vues dans le gymnase des ouvriers du district de Jing'an (à Shanghai) quand j'ai vu de la fumée sortir d'un bâtiment 200 mètres plus loin. En voyant les échafaudages qui entouraient l'immeuble, je me suis dit : ce n'est rien, c'est un feu sur un chantier...

Quelques minutes plus tard, des dé­bris en feu ont commencé à voler dans les airs, attestant de la violence de l'incendie. Peu après, les premières flammes ont fait leur apparition sur le toit du bâtiment. Nous avons laissé notre travail en plan pour nous joindre à la foule des badauds, à 50 mètres du sinistre. C'est alors que j'ai découvert qu'il ne s'agissait pas d'un chantier mais bel et bien d'un immeuble d'habitations dont la façade était en travaux. Au début, on pensait que seuls quelques appartements seraient touchés ; personne n'imaginait que toute la tour allait être la proie des flammes.

Je suis resté sur place de 14 heures à 17 heures, traversé par de nombreux sentiments face à cet incendie, le plus grave qu'ait connu Shanghai au cours de ces dix dernières années. Les pompiers se sont très vite mobilisés pour circonscrire l'incendie, mais ils étaient relativement impuissants face à ce feu qui ravageait un immeuble d'une telle hauteur. Il a fallu une à deux heures pour que la plupart des échelles soient mises en place et que les hélicoptères interviennent.

Je ne me répands pas en louanges ici, car aux infos tout le monde a vu les images du sinistre maîtrisé, des secouristes traités en héros, des familles rassérénées, des hauts dirigeants venus en personne consoler les victimes, des habitants en larmes. Je repense simplement à ces lances à incendie dont la portée ne dépassait pas le sixième étage d'une tour qui, avec ses vingt-sept étages, était somme toute assez banale dans sa forêt des gratte-ciel. De là où j'étais, je n'ai pu apercevoir qu'une grande échelle capable d'atteindre le dix-neuvième étage, les autres ne dépassant pas le niveau du dixième étage ; et les opérations de secours par hélicoptère ont été infructueuses. Certes, cet incendie sortait de l'ordinaire, mais force est de reconnaître que les moyens mis en oeuvre pour le circonscrire étaient insuffisants, même si Shanghai a fait le maximum dans ce domaine.

D'autre part, il s'agissait d'un bel immeuble, qui, vu de l'extérieur, ne paraissait pas du tout en mauvais état. Je ne comprends d'ailleurs pas le but des travaux qu'on y faisait [une mise aux normes de l'isolation thermique]. Les échafaudages et les filets de sécurité qui entouraient l'édifice étaient extrêmement inflammables [c'est une des causes de l'incendie]. Enfin, je remarque que, ces derniers temps, tout grand événement est précédé d'un feu d'artifice et suivi d'un grand incendie... Après les Jeux olympiques, c'est la tour de la chaîne de télévision centrale qui s'est enflammée [à Pékin], et, après l'Exposition universelle, c'est cet immeuble résidentiel qui s'est transformé en brasier. Certains prétendent que, face à de telles catastrophes, il faut concentrer nos forces pour secourir les sinistrés et honorer la mémoire des victimes ; l'heure n'est pas, selon eux, à retourner le couteau dans la plaie et à envenimer les choses en essayant de déterminer les erreurs et de pointer du doigt les fautifs. Mais, si l'on ne recherche pas les coupables, ce genre d'événement risque d'être rangé dans la catégorie des catastrophes naturelles contre lesquelles on ne peut lutter. Les autorités peuvent alors en profiter pour "harmoniser" les médias et s'attribuer certains mérites. C'est devenu une règle d'or lors des catastrophes, grandes et petites, auxquelles nous sommes confrontés. Ce n'est pas parce qu'il n'y a jamais de réponse qu'il faut s'en prendre à ceux qui posent les questions. Alors, quelles questions faudrait-il poser ?

Han Han

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