jeudi 25 novembre 2010

LITTÉRATURE - Les vingt meilleurs livres de l'année 2010


Le Point, no. 1993 - Littérature, jeudi, 25 novembre 2010, p. 130,131,132,133

Notre mission, que nous avons acceptée : désigner, comme chaque année, les meilleurs livres de 2010. Tous genres, tous pays confondus; primés cet automne ou vierges de toute distinction. Une seule restriction, terrible, mais notre déontologie va loin : éliminer, dans la douleur, les livres écrits par les plumes du Point. Le résultat : du très varié, mais rien que du très bon.


« C'est une chose étrange à la fin que le monde » Jean d'Ormesson
Christophe Ono-dit-Biot

L'incarnation vivante de l'esprit français se met dans la peau de Dieu et nous raconte, plein de gaieté et de gratitude, le roman du monde. Idées, sciences, systèmes philosophiques; Copernic, Dante, Mozart... Tout est là, tout pétille et tout nous prouve, comme disait Giraudoux, que « rien n'est plus vieux que le journal du matin et Homère est toujours jeune ».

C'est une chose étrange à la fin que le monde - (Robert Laffont, 324 p., 21 E)


« Sukkwan Island » David Vann
Christophe Ono-dit-Biot

Le huis clos obsédant et toxique d'un père et d'un fils dans une cabane perdue au large de l'Alaska. Dès les premières pages, la tragédie se devine, elle sera implacable. « Sukkwan Island » fut une surprise magnifique, car on n'attendait rien de David Vann, cet explorateur un peu fou devenu en quelques mois un auteur décisif de la littérature américaine.

Sukkwan island - Traduit de l' américain par Laura Derakinski (Gallmeister, 192 p., 21,70 E)


« La carte et le territoire » Michel Houellebecq
Christophe Ono-dit-Biot

L'itinéraire ascétique d'un artiste contemporain ? La réconciliation entre un père et un fils ? La « pernautisation » de l'Hexagone au IIIe millénaire ? Tout cela à la fois dans « La carte et le territoire », prix Goncourt 2010, roman total, magistral, puissant et doux, écrit comme on sculpte un tombeau, celui que Michel Houellebecq offre, en s'y enterrant espièglement, aux années 2000.

La carte et le territoire - (Flammarion, 428 p., 22 E)


« En attendant Babylone » Amanda Boyden
Christophe Ono-dit-Biot

C'est comme un blues, un air de jazz plein de swing et de mélancolie dédié à La Nouvelle - disons plutôt l'ancienne - Orléans, celle d'avant l'ouragan Katrina. On n'avait jamais ressenti le pouls d'une ville de l'autre bout du monde avec tant de précision, depuis notre salon. Dans la famille Boyden, on connaissait Joseph. Il faudra désormais compter avec sa femme, Amanda, nouvelle princesse de la Babylone américaine.

En attendant Babylone - Traduit par Judith Roze et Olivier Colette (Albin Michel, 432 p., 22 E)


« Débutants » Raymond Carver
Christophe Ono-dit-Biot

« Parlez-moi d'amour », le recueil de nouvelles qui fit la gloire de Raymond Carver, était au moins autant l'oeuvre de son éditeur, qui massacra par souci d'efficacité le texte original. En rééditant intégralement ce dernier, sous le titre révélateur de « Débutants », les éditions de l'Olivier révèlent un écrivain majeur bien moins minimaliste que son double génétiquement modifié.

Beginners - Traduit de l'américain par Jacqueline Huet et Jean-Pierre Carasso (L'Olivier, 332 p., 22 E)


« L'insomnie des étoiles » Marc Dugain
Christophe Ono-dit-Biot

Pour Dugain, les étoiles - fussent-elles mortes depuis quelques millions d'années - nous observent comme, jadis, les dieux de l'Olympe. Et ce qu'elles aperçoivent dans le pandémonium terrestre ne facilite pas leur sommeil. Tel est, ici, le point de départ d'une intrigue qui, par cer- cles concentriques et diabo- liques, va s'élargir jusqu'à atteindre la zone innommable des tératolo- gies où le mal plonge ses racines.

L'insomnie des étoiles - (Gallimard, 226 p., 17,50 E)


« Le philosophe nu » Alexandre Jollien
Christophe Ono-dit-Biot

Le récit, sous forme de journal intime, d'une lutte contre les passions qui entravent. Par un jeune philosophe infirme moteur cérébral acharné à la construction de soi. Longtemps il n'avait cru qu'au pouvoir de la raison, mais les émotions demeuraient, qui l'entravaient. Sur le chemin de la joie, un dévoilement troublant, fascinant.

Le philosophe nu - (Seuil, 198 p., 15 E)


« Purge » Sofi Oksanen
Christophe Ono-dit-Biot

Un soir de 1992, une jeune fille affolée surgit dans la cour d'une ferme où une vieille femme estonienne vit terrée. Une photo jaunie, coincée dans son soutiengorge, rouvre les plaies d'une Histoire douloureuse qui balbutie. Accusée principale : l'URSS. Premier livre traduit d'une jeune Estonienne qui vit à Helsinki, cette « Purge » à l'écriture âpre, tourmentée, n'en est pas une. Nouveau territoire, nouvel auteur : une révélation.

Purge - Traduit du finnois par Sébastien Cagnoli (Stock, 400 p., 21,50 E)


« Un léger passage à vide » Nicolas Rey
Christophe Ono-dit-Biot

On l'avait dit « cramé », on avait théorisé sur un auteur trop jeune, trop gâté et qui l'avait enfin payé. Avec « Un léger passage à vide », Nicolas Rey revient et prend sa revanche sur ceux qui l'avaient enterré : 180 pages écrites pour ne pas sombrer par « un alcoolique, en vérité », entre récit cocasse d'une « réhab » et déclaration d'amour à la vie.

Un léger passage à vide - (Au Diable Vauvert, 180 p., 17 E)


« Journal intime » Sophie Tolstoi
Christophe Ono-dit-Biot

Quarante-huit années de vie commune, treize enfants pour elle, une trentaine de livres pour lui, c'est un ménage d'une fécondité écrasante que révèle le « Journal intime » de Sophie Tolstoï, enfin rassemblé en un vo- lume pour le centenaire du décès de l'écrivain. On y lira l'amour, la complicité, la las- situde, l'incompréhension, la haine, l'envie de fuir puis de tuer. La vie.

Journal intime : 1862-1910 - (Albin Michel, 788 p., 22 E)


« Heinrich Himmler » Peter Longerich
Christophe Ono-dit-Biot

En France, il n'avait pas de biographie. C'est chose faite, magistralement. Derrière son apparente fadeur, l'historien allemand Peter Longerich traque les névroses d'un être creux, incapable de communiquer, bardé de mythes et de règles, qui érige l'empire SS. Esprit industriel, inquisiteur et to- qué de nourriture bio, il in- carne de façon radicale l'ère moderne dans sa soif d'effica- cité. Monstrueux.

Heinrich Himmler - Traduit de l'allemand par Raymond Clarinard (Héloïse d'Ormesson, 926 p., 28 E)


« Proies » Mo Hayder
Christophe Ono-dit-Biot

On l'appelle la « reine du hardcore en talons aiguilles ». Belle Anglaise terrorisante, Mo Hayder, depuis « Tokyo », peaufine son sens du récit et sculpte son obses- sion du mal. Défiant son duo d'enquêteurs, le côté obscur, cette fois, se cache derrière un masque de Père Noël ama- teur de petites filles. Et nous délivre un message qui nous concerne tous : tout le monde, oui tout le monde, peut devenir une proie.

Proies - Traduit de l'anglais par JacquesHubert Martinez (Presses de la Cité, 436 p., 21,50 E)


« Pourquoi lire ? » Charles Dantzig
Christophe Ono-dit-Biot

Cinq ans après son « Dictionnaire égoïste de la littérature française », Charles Dantzig explore la face nord du mont Blanc livresque : la lecture. Du « vice impuni » il dresse en 75 microchapitres (« Lire à la plage », « Lire pour se masturber », « Lire pour avoir lu »...) un délicieux portrait à sauts et à gambades. Avec, toujours, ce ton dantzig, ciselé, inspiré, féroce. Plus qu'un livre : une fourrure spirituelle.

Pourquoi lire ? - (Grasset, 256 p., 19 E)


« Le goût des pépins de pommes » Katharina Hagena
Christophe Ono-dit-Biot

Une grand-mère qui meurt, une maison dont on hérite et un mot écrit en rouge, « nazi », qui re- fuse de disparaître sous la peinture blanche du poulailler... Cet étonnant best-seller, en Allemagne puis en France, premier roman d'une spécialiste de Joyce, nous mène d'abord gentiment dans un jardin d'Allemagne, avant de nous faire plonger dans sa psyché et de nous rappeler cruellement, à travers trois générations de femmes, que ce qui soude les familles, c'est d'abord, hélas, l'oubli.

Le goût des pépins de pomme - Traduit de l'allemand par Katharina Kreiss (Anne Carrière, 268 p., 19,50 E)


« Just Kids » Patti Smith
Christophe Ono-dit-Biot

Née à Chicago en 1946, elle forma avec le photographe Robert Mapplethorpe un couple stellaire. C'était la vie de bohème, un début à New York. A l'époque, elle se coupe les cheveux à la Keith Richards. Dali la compare à un corbeau gothique; elle se décrit comme une ballerine beatnik. La poétesse va devenir chanteuse et le peintre photographe. L'ombre de Mapplethorpe, disparu en 1989, flotte sur ce livre articulé, talentueux : une réussite dans l'art difficile de l'autobiographie.

Just Kids - Traduit de l'américain par Héloïse Esquié (Denoël, 330 p., 20 E)


« Une histoire des parents d'écrivains, de Balzac à Marguerite Duras » Anne Boquel et Etienne Kern

Christophe Ono-dit-Biot

On s'intéresse toujours aux écrivains, mais on oublie leurs parents. Les pauvres ! Pas évident d'avoir un enfant qui ne veut pas d'un métier comme tout le monde. Un impertinent, paresseux, déclassé, qui en plus vous lave le linge sale en public. Voyou ! Hooligan ! Hugo, Balzac, Rimbaud, Proust, Sartre... Ils sont tous là, en habits de rejetons. Après « Les haines d'écrivains », un nouvel ouvrage jubilatoire, truffé d'anecdotes, du couple Kern/Boquel.

Une histoire des parents d'écrivains : De Balzac à Marguerite Duras - (Flammarion, 310 p, 19 E)


« Vendetta » R. J. Ellory
Christophe Ono-dit-Biot

La fille du gouverneur de Louisiane a été enlevée. Un vieux tueur à gages mafieux d'origine cubaine s'accuse du rapt. Entre polar et roman de moeurs, la confirmation du talent de Roger Jon Ellory (découvert avec « Seul le silence »), l'Anglais qui parle de l'Amérique comme personne.

Vendetta - Traduit de l'anglais par Fabrice Pointeau (Sonatine, 652 p., 23 E)


« Un océan de pavots » Amitav Ghosh
Christophe Ono-dit-Biot

Inde, 1838. Un raja ruiné, une Française athée, un ex-pirate des mers de Chine et un tycoon du commerce d'es- claves et d'opium se retrouvent dans le même bateau, en partance pour les plantations de l'île Maurice. D'une puissance romanesque irrésistible, tenant de Kipling comme de Tolstoï, le roman d'Amitav Ghosh, prix Médicis étranger 1990 avec « Les feux du Ben- gale », vous colle au papier jusqu'à la dernière page. Et Dieu que vous aimez ça !

Un océan de pavots - Traduit de l'anglais (Inde) par Christiane Besse (Robert Laffont, 588 p., 23 E)


Mention spéciale « Quai d'Orsay »
Christophe Blain et Abel Lanzac

Un ministre des Affaires étrangères survolté et amateur d'Héraclite, un jeune idéaliste fasciné par les ors de la République, des conseillers obséquieux qui cherchent la bénédiction du prince, bienvenue au Quai d'Orsay ! Entre « Loués soient nos seigneurs », de Régis Debray, et « Le promeneur du Champ-de-Mars », de Robert Guédiguian, une satire brillante de la vie ministérielle.

Quai d'Orsay Tome 1 : Le Conseiller - (Dargaud, 98 p., 15,50 E)


« Même le silence a une fin » Ingrid Betancourt
Christophe Ono-dit-Biot

Oublions la femme capricieuse et redécouvrons l'otage qui bouleversa le monde fin 2007. C'est elle qui, au terme d'un vrai travail sur elle-même, signe ce livre captivant sur son interminable détention dans la jungle. Prisonnière et fugitive à la fois, sous la surveillance des FARC traquées par l'armée colombienne, Ingrid Betancourt finit par désarmer la critique par son courage hors norme. Une lionne tient la plume. Chapeau bas.

Même le silence a une fin - (Gallimard, 692 p., 24,90 E)

Le Jury :
Claude Arnaud, Jean-Paul Enthoven, Marc Lambron, Marie-Françoise Leclère, Élisabeth Lévy, François-Guillaume Lorrain, Christophe Ono-dit-Biot, Gilles Pudlowski, Michel Schneider, Albert Sebag et les services du « Point ».

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