jeudi 25 novembre 2010

INTERVIEW - Valérie Niquet : « Pékin veut préserver le régime nord-coréen »


Libération, no. 9187 - Monde, jeudi, 25 novembre 2010, p. 8

Valérie Niquet, chercheuse sur l'Asie, analyse le contexte de l'attaque contre la Corée du Sud. Les Etats-Unis ont affiché hier leur soutien sans faille à la Corée du Sud et décidé des manoeuvres militaires communes en réponse au bombardement par la Corée du Nord de l'île de Yeonpyeong, à l'ouest de la péninsule. Responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique, Valérie Niquet explique les enjeux de cette crise.

Comment expliquez-vous la fermeté unanime des capitales étrangères ?

La fermeté répond à la gravité des faits. Les risques de dérapage et d'escalade ne sont pas à négliger. Cette attaque coïncide avec la visite à Pékin de l'envoyé spécial américain sur la Corée du Nord, Stephen Bosworth, et intervient deux jours après les révélations du scientifique Siegfried Hecker sur l'usine de centrifugeuses nord-coréennes. Le régime de Pyongyang choisit à nouveau la stratégie de la tension pour exister. Et cette tension est perceptible au niveau régional depuis le torpillage de la corvette sud-coréenne Cheonan en mars. Hier, la Chine s'est montrée très mesurée. C'est d'autant plus inquiétant que Pékin a opéré un revirement en adoptant des positions plus fermes. Depuis plusieurs mois, la Chine a multiplié les actes de tension contre la présence américaine en Asie, contre le Japon, et a critiqué les grandes manoeuvres militaires auxquelles se sont livrés Washington et Séoul en juillet, etc. Elle veut garder la mainmise sur la Corée du Nord et préserver le régime nord-coréen.

Vous liez la tension nord-coréenne et la fermeté chinoise ?

L'agressivité du discours chinois témoigne d'un enfermement et d'une volonté de lutter contre la puissance américaine. Sur le théâtre stratégique asiatique, les chinois veulent élargir leurs intérêts vitaux. Ce jeu de Pékin encourage probablement les Nord-Coréens à se lancer dans une stratégie de provocation. La Corée du Nord peut se sentir «autorisée» à agir comme elle l'a fait hier.

Comment interpréter les propos du ministre sud-coréen de la Défense suggérant que son pays doit à nouveau accueillir des armes nucléaires américaines ?

Avec ce regain de tension depuis plusieurs mois, il existe effectivement dans l'ensemble de l'Asie un désir d'Amérique, une volonté de resserrer les liens avec Washington pour peser face au couple constitué par la Chine et la Corée du Nord. C'est pourquoi le tabou nucléaire peut tomber.

Les Occidentaux ne font-ils pas preuve de naïveté face à la Corée du Nord ?

Il y a une volonté d'apaisement et l'espoir de pouvoir infléchir les positions de Pyongyang. Après la crise financière, personne ne souhaite une crise majeure dans cette région leader de la croissance mondiale. En fait, nous sommes face à deux espaces-temps différents. Il y a d'une part le monde occidental au sens large, y compris les démocraties d'Asie, intervenant dans le cadre du multilatéralisme, et des puissances qui sont dans un schéma de relations internationales très conflictuelles, frontales. Il est aujourd'hui très difficile de croire que la Chine soit prête à jouer un rôle multilatéral.

Faut-il avoir peur de la Corée du Nord ?

Avec un régime qui n'est que relativement rationnel, lancé dans une stratégie de survie, les risques de dérapages existent, surtout en période de transition.

Recueilli par Arnaud Vaulerin

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