mardi 30 novembre 2010

Michel Aglietta : "La transformation du modèle économique chinois est en marche"

Le Monde - Economie, mardi, 30 novembre 2010, p. MDE5

" Si le gigantesque plan de relance mis en place en 2009 a permis à la Chine de surmonter la crise, il a aussi accéléré la remise en cause de son modèle de croissance ", affirmait l'économiste Michel Aglietta le 22 septembre, lors d'un colloque sur " L'économie mondiale en 2011 ", organisé à Paris par le Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii).

Pour M. Aglietta en effet, " la transformation du régime de croissance chinois est en marche ". Mais cette transformation ne résultera ni des pressions exercées par l'Occident pour " rééquilibrer " l'économie mondiale ni de la volonté du gouvernement de Pékin d'aboutir à un modèle de croissance plus " harmonieux "; elle sera la conséquence des évolutions structurelles déjà en cours en Chine.

L'énorme surplus de la balance des paiements chinoise camoufle le fait que, au-delà d'un rythme de croissance des exportations " somme toute normale " pour un pays émergent, " ce sont aussi les importations chinoises qui sont en baisse, parce que les entreprises chinoises sont en train de conquérir leur propre marché ". La querelle sur les taux de change nominaux oublie le fait que, " de juillet 2005 à juin 2010, l'appréciation effective réelle du yuan a été de 20 % et, de janvier 2003 à juin 2009, la dépréciation effective réelle du dollar a été de 22 % ". Pourtant, le déficit de la balance courante des Etats-Unis est passé de 3 % à 6 % du produit intérieur brut (PIB).

" Hausse des salaires "

Le rééquilibrage de la balance mondiale des paiements proviendra donc plutôt de changements structurels, comme " la hausse des salaires en Chine, et de l'augmentation de l'épargne des ménages aux Etats-Unis ". La croissance chinoise, très lourde en capital fixe, a en effet eu jusqu'ici pour conséquence des " transferts massifs de revenus au détriment des ménages "; la part de la consommation dans le revenu national est passée de 62 % en 1993 à 49,1 % en 2007. Mais ce phénomène devrait s'inverser pour plusieurs raisons.

La première est démographique : " Depuis 2008, la population des 15-24 ans décroît. La population des moins de 25 ans va baisser d'un tiers dans les douze prochaines années. Dès 2015, il y aura une baisse de la population active et une hausse du taux de dépendance - entre actifs et inactifs - . Ce phénomène se traduira par une tendance à la hausse des salaires, qui contraindra les entreprises et le gouvernement à rechercher un maintien de la compétitivité de l'économie chinoise par une hausse des qualifications. "

Les récents conflits du travail, et les hausses de salaire qui ont suivi, pourraient déboucher sur ce que Michel Aglietta nomme un " syndicalisme à l'américaine ", où les conditions de rémunération et de prévoyance sociale seraient réglées par le rapport de force à l'échelle de chaque entreprise.

Autre mutation en cours, le commerce extérieur chinois se " réoriente vers l'Asie du Sud-Est et les pays émergents, principalement en raison de l'insuffisance de la demande des pays occidentaux, qui va perdurer pendant la prochaine décennie. La reprise récente du commerce mondiale est tirée par les échanges entre pays émergents ", note-t-il.

Cette réorientation entraînera un changement du régime des changes, dans la mesure où le yuan devrait devenir la monnaie de référence de ce commerce intra-asiatique. " La création récente, à Hongkong, d'un marché des titres en yuans séparé des marchés d'actifs du continent, va permettre la convertibilité du yuan pour les non-résidents. Mais le contrôle des changes pour les résidents persistera : on aura ainsi un double marché des changes, comme il y a eu jusqu'en 1987 un marché de l'euro-franc séparé du marché monétaire de Paris. Cela devrait canaliser les tensions actuelles sur le change vers ce marché parallèle. "

Le régime contrôlé sera " probablement basé sur un panier de devises asiatiques, le cours du yuan évoluant dans une bande glissante non limitée et fixée au jour le jour, ce qui permettra à Pékin de décourager la spéculation ". La stabilité sera aussi renforcée par la coopération, déjà importante, entre les banques centrales des pays de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean), du Japon, de la Corée du Sud et de la Chine (Asean +3).

Antoine Reverchon

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