mardi 30 novembre 2010

REPORTAGE - A Shenzen, " l'atelier du monde " se rêve en Silicon Valley - Harold Thibault


Le Monde - Economie, mardi, 30 novembre 2010, p. MDE5

Elle est réputée pour ses migrants payés au salaire minimum et ses exportations à bas coût. Mais, après trente années en première ligne du " miracle chinois ", Shenzhen rêve d'autre chose. La ville de la province du Guangdong, désignée en 1980 première " zone économique spéciale " par Deng Xiaoping, se verrait plutôt en centre de recherche et développement, abandonnant aux autres les tâches manuelles.

Déjà, certains grands noms chinois de la haute technologie ont franchi le pas. Lenovo, qui a racheté il y a cinq ans la branche ordinateurs portables d'IBM, a installé un laboratoire de recherche au coeur d'un parc réservé aux sociétés de haute technologie, à l'ouest de la ville. " C'est un peu notre Silicon Valley, mais il nous manque encore Stanford ", s'amuse Guo Wanda, vice-président de l'Institut de développement de Chine, un think tank public de Shenzhen. Les meilleures universités sont à Pékin ou à Shanghaï, et il n'est pas simple d'attirer les élites à la fin de leurs études. Pourtant, le constructeur automobile BYD, qui parie sur les véhicules électriques, a établi son siège dans cette ville de plus de 13 millions d'habitants, comme Huawei et ZTE, les deux géants des équipements en télécommunications. Les entreprises étrangères ne suivent pas encore.

" Le low-cost est en recul, se félicite Yang Lixun, professeur à l'Académie des sciences sociales de Shenzhen et membre d'une assemblée politique locale. Nous avons déjà la haute technologie et la finance. " La ville accueille en effet la deuxième place boursière créée en Chine continentale, où a été lancé, à l'automne 2009, l'indice ChiNext, un Nasdaq local consacré aux entreprises de secteurs de pointe.

Mais, reconnaît le professeur Yang, " passer de la production à bas coût aux hautes technologies est un processus lent et douloureux ". Car la recette de son succès se retourne aujourd'hui contre la ville. Si Shenzhen a pu se vanter de taux de croissance annuels de 25 %, elle le doit d'abord aux investisseurs étrangers et à Hongkong. Les hommes d'affaires de l'ancienne colonie britannique voisine lui ont apporté le capital dont elle a eu besoin pendant trente ans. En échange, elle leur offrait un cadre juridique favorable et, surtout, une main-d'oeuvre corvéable à merci, venue de tout le pays dans l'espoir de gagner mieux sa vie.

Grèves

Cet équilibre est remis en question. Une succession de grèves, chez Honda en mai, chez Brothers (imprimantes) en septembre, et Sanyo (électronique) à la mi-novembre, et la série de suicides dans les dortoirs du sous-traitant électronique Foxconn, conduisent la Chine à se demander si le " modèle Shenzhen " en est vraiment un.

Il a fallu augmenter les salaires minimaux dans le pays. A Shenzhen, il est désormais de 1 100 yuans (125 euros) par mois. Le risque est de voir les usines se tourner vers des régions moins coûteuses, l'économie ralentir et le chômage augmenter, au détriment de la paix sociale chère à Pékin.

C'est pourtant l'occasion d'un nouveau départ, préfère souligner Zhong Jian, directeur du centre de recherche sur les zones économiques spéciales de l'université de Shenzhen. " Augmenter les salaires fait fuir l'industrie manufacturière au profit des services. A terme, ce sera bénéfique, analyse M. Zhong. Shenzhen a accueilli dix millions de migrants, elle devrait se contenter à l'avenir de deux ou trois millions de diplômés. "

Selon Guo Wanda, les autorités regardent avec envie Singapour et Hongkong, tout en espérant que les fameuses " usines à sueur " ne disparaissent pas du jour au lendemain, sous peine de crise sociale. " Selon un proverbe chinois, résume M. Guo, il faut savoir laisser sortir l'oiseau de sa cage pour que puisse y entrer un autre. "

Harold Thibault

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