mercredi 10 novembre 2010

OPINION - Le supplice chinois - Christine Kerdellant

L'Express, no. 3097 - Chronique, mercredi, 10 novembre 2010, p. 87

Peut-on coopérer avec la Chine ? La question paraît saugrenue, tant la visite de Hu Jintao en France a été l'occasion de multiples annonces et force poignées de main. Pékin a aussi fait preuve de largesse vis-à-vis des maillons faibles européens : après la Grèce, ce pourrait être le tour du Portugal.

Cette lune de miel est un trompe-l'oeil. Pour les groupes qui s'y risquent, l'empire du Milieu n'a jamais été aussi fermé. Ni aussi mauvais joueur : Meetic a vu ses partenaires dans le site eFriendsnet l'abandonner et créer un concurrent ; Michelin a été victime d'un allié qui piratait ses modèles ; Eramet d'un industriel qui dupliquait l'usine commune en construction ; Danone s'est fait doubler par son distributeur Wahaha ; Schneider Electric a même été accusé de contrefaçon par un concurrent qui avait copié son brevet déposé depuis vingt ans... Et les Français ne sont pas les seuls dindons de la farce : Vodafone, Alcoa, BP, Shell ou Exxon ont dû revendre leurs participations dans des groupes chinois auxquels ils avaient apporté capital, expertise et technologie, mais dans lesquels ils n'ont jamais pu monter en puissance. Alstom, opposant obstiné aux transferts de technologie, seul moyen de conquérir des parts de marché à court terme, a laissé Siemens livrer aux Chinois son train rapide pièce par pièce, "cadeau" qui revient aujourd'hui en boomerang : le "TGV" asiatique pourrait nous tailler des croupières en Californie ou au Brésil. Bref, des secteurs entiers demeurent inaccessibles, l'environnement juridique opaque et la propriété intellectuelle régulièrement bafouée.

Et pourtant... La Chine n'est plus seulement l'atelier du monde, elle est désormais son banquier et deviendra inéluctablement son bureau de R & D. La parenthèse glorieuse de l'Occident se referme. L'Angleterre et la France, puis les Etats-Unis ont dominé le concert des nations pendant deux siècles, parce qu'ils possédaient les innovations technologiques, de la machine à vapeur aux logiciels... Mais la technologie se diffuse maintenant à toute vitesse. Internet en est le symbole : son succès même tient au fait qu'il est universel. Pas étonnant si la Chine (1,3 milliard d'habitants) ou l'Inde (1 milliard) font figure de prochains leaders mondiaux : au xxie siècle, la puissance des Etats reposera, à nouveau, sur leur démographie.

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