Pouvez-vous s'il vous plaît redevenir une superpuissance musclée ? » Alors que l'ombre gigantesque du président chinois obscurcit l'horizon, les dirigeants coréen, japonais, indien et indonésien implorent un Barack Obama doux et passif. Cette caricature publiée la semaine dernière dans un grand journal anglo-saxon vaut tous les commentaires. Alors que les Américains viennent d'exprimer un vote de défiance à l'égard de leur président, le continent asiatique se tourne vers l'Amérique comme vers un contrepoids face à la Chine. Les Japonais ou les Coréens du Sud ne sont plus les seuls à être préoccupés par la montée en puissance de leur voisin. Même les Singapouriens, qui ont servi de modèle à Pékin, s'inquiètent désormais des ambitions de leur élève.
Grâce à l'ombre portée de la Chine, le périple asiatique du président américain s'est transformé en un référendum positif sur le rôle international de son pays. L'Inde elle-même, pourtant presque nostalgique de l'ère Bush, a trouvé en Barack Obama un partenaire privilégié qui soutient avec force la légitimité de sa candidature à un siège permanent au Conseil de sécurité de l'ONU. L'Indonésie n'a pas seulement accueilli le président qui, petit garçon, a été élevé dans ses écoles, mais l'homme qui reconnaît son nouveau statut de puissance émergente, symbolisant au même titre que la Turquie la réconciliation possible entre islam et modernité, tolérance religieuse et progrès économique.
La Chine serait-elle en train de devenir pour le continent asiatique ce que l'URSS a été hier pour le continent ouest-européen, le ciment de son unité derrière l'Amérique ? La comparaison est sans doute excessive et pour le moins prématurée. Mais la Chine, en abandonnant le profil bas qui était jusqu'alors le sien, est en train de consolider le statut de l'Amérique comme puissance asiatique, de même que Moscou avait fait hier des Etats-Unis une puissance européenne.
La Chine, comme l'Allemagne au lendemain de son unification, a-t-elle besoin de l'influence modératrice d'un Bismarck, d'un homme d'Etat qui sache imposer des limites à l'hubris d'une nation qui, humiliée depuis près de deux siècles, cède à la tentation du nationalisme et accélère le rythme de ses ambitions ? « La Chine malheureuse », le titre d'un pamphlet ultranationaliste paru en 2009, engageait les Chinois à sortir de leur réserve et à adopter un comportement « héroïque », à ne pas reculer devant le risque d'une confrontation avec l'Occident. Les tenants de ce nationalisme « revanchard » seraient-ils représentatifs d'une réalité chinoise en pleine évolution ? La mer de Chine est-elle en train de devenir, comme le Tibet et Taiwan, une question non négociable pour Pékin ? La guerre des monnaies entre le dollar et le renminbi n'aura sans doute pas lieu. Mais la nécessité d'équilibrer la Chine est en train de se transformer pour l'Asie, sinon pourle monde, en un objectif stratégique prioritaire, avec pour conséquence première la reconsolidation du rôle international de l'Amérique.
Hier, l'Amérique s'était embarquée dans le projet fou d'exporter la démocratie au Moyen et au Proche-Orient ; une impasse stratégique qui accéléra l'irrésistible montée en puissance de la Chine. Aujourd'hui, c'est l'inverse qui se produit : la Chine ramène l'Amérique sur le devant de la scène mondiale.
Au moment où Pékin fait la démonstration éclatante que le capitalisme peut prospérer sans la démocratie, le caractère toujours plus musclé de son comportement diplomatique met en évidence l'autoritarisme du régime et souligne les dangers pour un pays de l'absence de contrepoids démocratiques.
Face à cette Chine qui n'obéit plus aux conseils de prudence de Deng Xiaoping, une attitude de fermeté sans provocation s'impose. Tous les ambassadeurs de l'Union européenne sans exception devraient être présents à Oslo début décembre pour la remise du prix Nobel de la paix à Liu Xiaobo, une présence qui traduit simplement le respect dans lequel nous tenons nos valeurs.
L'Amérique n'est certes plus ce qu'elle était, mais la Chine est en train, par son comportement, de lui rendre, en Asie au moins, son statut de « puissance indispensable » et incontournable.
Dominique Moïsi est conseiller spécial à l'Ifri
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