mercredi 24 novembre 2010

Pékin n'a guère d'autre choix que de laisser le yuan s'apprécier

Le Monde - Economie, mercredi, 24 novembre 2010, p. 20

Le danger inflationniste pose un vrai casse-tête à la Chine. Ses dirigeants voudraient augmenter les taux d'intérêt, mais ils craignent de déclencher par la même occasion une vague de défauts de paiement chez les emprunteurs ou d'attirer les spéculateurs. Si, en deux semaines, ils ont relevé par deux fois le seuil de capitalisation exigé des banques et pris de nouvelles mesures pour stabiliser les prix à la consommation, les effets sur la progression des prix resteront très marginaux. Il serait bien plus efficace de laisser les capitaux libres de s'investir en dehors des frontières nationales.

L'inflation chinoise est due à la surabondance de liquidités. Le grand agrégat monétaire qu'est M2 a en gros doublé de volume depuis 2008, pour s'élever aujourd'hui à 10 000 milliards de dollars (7 376 milliards d'euros). L'afflux de capitaux étrangers y est pour quelque chose. La banque centrale a injecté l'équivalent de 1 000 milliards de dollars dans le circuit, rien que pour racheter des devises étrangères à ses citoyens. Le problème est maintenant de faire sortir une partie de cet argent.

L'Etat pourrait par exemple autoriser les investisseurs à acheter davantage d'actifs en dehors de Chine. Il a déjà laissé ses citoyens placer 67 milliards de dollars sur les marchés d'actions étrangers, une somme 2,5 fois plus importante que celle que les étrangers ont la faculté de placer en Chine. Mais voilà : lesdits investisseurs chinois n'en ont guère envie. La moitié des produits financiers assis sur des valeurs étrangères se négocient actuellement en deçà de leur valeur nette.

Le gouvernement pourrait aussi encourager les entreprises à prendre des intérêts à l'étranger. Les Etats-Unis seraient probablement très heureux de recevoir une solide dose d'inflation importée. Des statistiques officielles indiquent que le montant des engagements extérieurs chinois a été multiplié par 18 entre 2003 et 2009, pour atteindre 56 milliards de dollars. Mais les capitaux ont tendance à aller là où les rendements sont les plus élevés. En 2009, les investissements directs que la Chine a accueillis ont été supérieurs de 70 % à ceux qu'elle a réalisés elle-même à l'étranger.

Maîtriser l'inflation

Et si d'aventure le secteur privé devait traîner des pieds, l'Etat pourrait monter au créneau à sa place. Les autorités chinoises dépensent déjà chaque année des milliards de dollars pour souscrire aux emprunts d'Etats étrangers. L'option d'exporter des yuans pour que les autres pays puissent acheter des produits chinois n'a pas non plus fonctionné. Pékin s'est proposé pour prêter des milliards de yuans à d'autres pays, mais la majeure partie des swaps (contrats d'échanges) de devises dont elle dispose n'a pas été utilisée.

Tous ces maux procèdent d'une même origine : la sous-évaluation du yuan. Comme les investisseurs nationaux s'attendent à ce que la monnaie chinoise s'apprécie, ils préfèrent franchement conserver leurs capitaux à l'intérieur du pays. Les positions à terme sur le yuan montrent que le marché a intégré une appréciation de 3 % par rapport au dollar sur l'année. Si la Chine veut maîtriser le risque d'inflation en lâchant de la pression, la première chose à faire est de laisser sa devise s'apprécier.

Wei Gu

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