mardi 9 novembre 2010

Pékin préfère le statu quo à un changement de modèle risqué - Harold Thibault

Le Monde - Mercredi, 10 novembre 2010, p. 15

Pour Pékin, les sommets économiques internationaux se suivent et se ressemblent. La Chine est le vilain petit canard accusé de maintenir artificiellement sa monnaie à un niveau trop faible. On lui reproche de soutenir ses exportations au détriment de celles de ses partenaires commerciaux, dont les Etats-Unis, et des emplois qui en dépendent, par l'intervention de sa banque centrale. Et, chaque fois, les dirigeants chinois argumentent ainsi : les causes des maux des industries occidentales sont plutôt à chercher du côté de leur propre manque de compétitivité et le yuan remontera, mais laissons-lui le temps.

Afin de s'assurer de sa stabilité, le cours du yuan sur les marchés de change est adossé à celui du dollar et est maintenu très bas depuis le début du ralentissement économique mondial. La Banque populaire de Chine définit quotidiennement un cours pivot, autour duquel sa monnaie ne peut varier que dans une bande de 0,5 %. Le Fonds monétaire international estime que le change du yuan est bien en dessous de son niveau naturel.

Une semaine avant le sommet du G20 de Toronto, en juin, les banquiers centraux chinois avaient annoncé leur intention de poursuivre la réforme du mécanisme de change du renminbi, autre nom du yuan, et de le laisser s'apprécier, afin peut-être de limiter les critiques. Mais les grands changements se font toujours attendre : le billet rouge ne s'est apprécié que de 2,5 % face au billet vert depuis l'été, donnant un peu plus de grain à moudre aux politiciens américains.

" Guerre des monnaies "

C'est que les choix des dirigeants chinois sont limités, même si les commentateurs et les leaders du Parti communiste ne cessent de répéter que ce modèle a vécu et qu'il faut " rééquilibrer " la deuxième économie de la planète. La solution est bien connue : réorienter l'économie vers la consommation intérieure. Pour cela, laisser le yuan grimper, améliorer les salaires pour permettre aux Chinois de dépenser, et surtout augmenter des taux d'intérêt qui permettaient jusqu'à présent de transférer l'épargne des ménages vers l'endettement des usines exportatrices ou des promoteurs immobiliers.

Mais la remise en cause du modèle de croissance qui fait le succès de l'économie chinoise depuis trois décennies inquiète. " Une partie des politiciens et des conseillers à Pékin appelle de ses voeux la réévaluation du renminbi dans le cadre du rééquilibrage de l'économie, explique Michael Pettis, professeur de finance à l'université de Pékin. Mais d'une part, ils se heurtent à l'opposition des exportateurs et des entreprises publiques et, d'autre part, ils reconnaissent que cela ne peut pas se faire trop vite. " Le risque est d'assister à une baisse des commandes et donc à une hausse du chômage, à une chute de la consommation, et à la montée d'un mécontentement politique.

Maintenir le statu quo est donc tentant, tout en essayant de détourner l'attention. Le vice-ministre des finances, Zhu Guangyao, s'est attaqué, lundi 8 novembre, aux Etats-Unis, accusés de faire tourner la planche à billets. Il a promis que la décision de la Réserve fédérale d'injecter 600 milliards de dollars (433 milliards d'euros) pour revitaliser une " économie léthargique " fera l'objet de " discussions candides " lors du sommet du G20 de Séoul. En parallèle, le quotidien destiné aux lecteurs étrangers, China Daily, fustigeait, mardi, dans un éditorial, la politique monétaire de Washington et ses " conséquences inconnues ".

Les accusations d'utilisation de l'arme monétaire ne sont donc plus l'apanage des Occidentaux. La Chine entend retourner l'argument à bon compte, relève Zhang Jun, directeur du Centre chinois d'études économiques de l'université de Fudan à Shanghaï.

" D'une certaine manière, le débat sur la guerre des monnaies est favorable à la Chine, explique le professeur Zhang, car si chacun reproche à l'autre de déprécier volontairement sa monnaie, elle se sentira un peu moins seule à subir les pressions. "

Harold Thibault (Shanghaï, correspondance)

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