Quand Wenminlong Shi, brillant élève en mathématiques, est venu de Wuhan, une ville du centre-est de la Chine, faire ses études à Paris, il comptait devenir ingénieur en télécommunications. Mais après deux années à l'école Télécom ParisTech, le jeune homme de 23 ans a changé d'avis. Peu importe la crise et ce que l'on raconte sur la finance, ce qu'il veut, c'est " être trader ".
" Ce n'est pas seulement pour l'argent mais pour l'art ", ose-t-il : manipuler les algorithmes financiers, créer de nouveaux produits, c'est cela qui le motive... " En tant qu'ingénieur, je travaillerais pour une seule industrie. En devenant trader, j'aurai un regard sur toute l'économie ", résume-t-il.
En 2010, Wenminlong Shi rejoint donc le Master 203 de l'université Paris-Dauphine, l'une des grandes formations des élites financières. Après avoir fermé un an pour cause de crise dans la finance et de pénurie de postes à pourvoir, les cours ont repris en septembre.
Ce samedi matin d'automne, dans la salle E656 du pôle Leonard-de-Vinci, dans le quartier d'affaires de la Défense, ils sont une vingtaine d'élèves âgés de 21 à 23 ans à assister, comme Wenminlong Shi, au cours d'Aymeric Kalife sur les " Futures ". Un nom barbare qui désigne des produits financiers complexes.
Certes, " ils n'ont plus les yeux qui brillent ", comme les générations précédentes, observe le professeur. Mais la crise financière n'a pas entamé leur motivation, pas plus qu'elle n'a entaché l'image qu'ils se font de leur futur métier.
" Les traders ne sont pour rien dans l'origine de la crise, c'est l'explosion d'ingénierie financière liée au crédit qui a provoqué tout ça ! ", argumente Wenminlong Shi.
" Il fallait que quelqu'un porte le chapeau. Etre trader, ce n'est pas seulement faire de la spéculation comme on le raconte ", renchérit Rym Zerroug, une jolie petite brune qui caresse l'idée de rejoindre une salle de marchés à Londres, New York ou Singapour.
Si la jeune fille assume son choix, d'autres ont parfois du mal à se confier à leurs amis. " Mes copains me reprochent de vouloir jouer avec l'argent des autres ", raconte Stéphane Eugiwara. Pour sa défense, il explique que la finance a changé, que ce monde n'est plus aussi bling-bling qu'avant.
Wall Street (1988), le film d'Oliver Stone, avait inspiré leurs aînés, fascinés par la réussite et l'argent facile. La nouvelle génération s'en amuse et renvoie les aînés à leur vacuité : " La vraie vie des traders ne ressemble pas à ça. Il n'y a pas autant de bonus, pas autant d'argent. Un trader, c'est quelqu'un de plus réfléchi, de plus mature ", estime Stéphane Eugiwara. Le mot d'ordre de Gekko, le héros de Wall Street, " greed is good " (" l'avidité est une qualité "), n'est pas, ou plus, leur credo, affirment-ils en choeur.
" C'est une génération plus cartésienne, qui a besoin de comprendre à quoi sert le trading dans l'économie, confirme un autre de leurs professeurs, Laurent Dahan. Leurs grands frères fonctionnaient plus à l'adrénaline, eux raisonnent. Ils sont plus calmes et posés, sûrement parce qu'ils ont vu leurs aînés se faire virer et perdre leur job. "
Tous savent que l'âge d'or des golden boys est révolu. Dans les années 1980, quand le master finance a été créé, les étudiants se faisaient débaucher par les banques avant même d'avoir obtenu leur diplôme. Ce n'est plus le cas.
Aujourd'hui, malgré leur brillant cursus - la plupart sortent des grandes écoles -, les élèves prennent conscience qu'ils ne seront peut-être pas admis dans une salle de marchés. " Il faut avoir les idées larges. On peut faire autre chose que trader, faire de la finance dans une entreprise par exemple ", indique Paul Depardon, un étudiant, décidé à mettre de côté son ego.
Conscients de former la première génération de traders de l'après-crise, ces jeunes admettent qu'il y a eu des excès. Ils se pensent plus sérieux que leurs prédécesseurs. Moins motivés par l'argent. Ils prennent acte des erreurs passées, des risques et des pièges à éviter. " Etre trader, c'est un tempérament ", résume une étudiante.
Ce changement d'ambiance n'est pas pour déplaire à Laurent Dahan, dont la spécialité est la gestion des produits financiers à risques. Signe des temps : cette discipline était une option il y a deux ans, elle est devenue obligatoire cette année et le cours est passé de 12 heures semestrielles à 24 heures.
" Je ne leur enseigne pas que la technique, précise-t-il, mais aussi la prise de conscience des risques et des limites que chaque trader doit respecter pour ne pas faire couler sa banque. Il faut les persuader que le risque n'est pas anti-business ! "" Je leur transmets aussi des valeurs, poursuit M. Dahan. La déontologie a toute sa place ici. "
Le master a été étendu à deux ans au lieu d'un et s'est internationalisé afin de répondre à la demande des recruteurs et d'attirer des étudiants étrangers. Tous les cours se font désormais en anglais. " On sait pertinemment que c'est à Londres, à New York ou en Asie que nos étudiants trouveront leurs premiers jobs ", explique Carole Gresse, directrice du master. Comme les professeurs, Mme Gresse trouve les étudiants plus " raisonnables ". Ils ont compris, dit-elle, que le métier d'opérateur de marchés exige de connaître les phénomènes économiques et ne se résume pas à calculer un prix sur une machine.
La crise a changé la donne. " Mais pour nous, c'est une opportunité. Tout est à recommencer. Nous sommes un peu des pionniers ", conclut Wenminlong Shi.
Claire Gatinois et Anne Michel
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