Le gouvernement chinois se résout à mettre ses champions à contribution. A partir de 2011, il demandera à 1 631 entreprises dont l'Etat est actionnaire majoritaire de lui payer des dividendes. Par cette décision, prise lors d'une réunion du Conseil d'Etat, mercredi 3 novembre, il leur imposera de participer au financement de ses dépenses croissantes, à l'heure où la Chine s'interroge sur son modèle social.
Ce plan est l'élargissement d'une mesure d'essai déjà imposée à 123 grands groupes, tels que le géant des télécommunications China Mobile ou celui de l'énergie PetroChina, dont la gestion est supervisée par une commission du gouvernement central. L'Etat n'a pas encore dévoilé le ratio de dividendes qu'il imposera, mais il pourrait s'inspirer de celui établi pour ces grandes entreprises : elles lui reversent au maximum 10 % de leurs bénéfices sous forme de dividendes dans des secteurs tels que l'énergie, les télécommunications ou le tabac, et 5 % pour les secteurs moins rentables, dont les transports et la métallurgie.
La Chine compterait environ 110 000 entreprises détenues par le gouvernement central et ses multiples branches ou par les collectivités locales. Héritées du système socialiste, nombre d'entre elles étaient dans le rouge jusqu'aux années 2000. Restructurées, elles ont trouvé le chemin de la rentabilité, mais Pékin a préféré les laisser se remplumer, sous la pression d'un lobbying efficace, et n'a pas exigé d'elles un partage des gains.
Ces sociétés ont donc pu engranger 966 milliards de yuans (107,2 milliards d'euros) de bénéfices en 2009, mais n'en reverser que 99 milliards à l'Etat, et gagner 1 264 milliards de yuans au cours des seuls huit premiers mois de l'année 2010. A cet avantage s'ajoutent des barrières réglementaires empêchant l'entrée de concurrents potentiels sur le marché.
Les acteurs sociaux estiment la situation injuste, car ces entités appartiennent à la communauté et prospèrent grâce au consommateur chinois, mais reversent peu à l'Etat, dans un pays qui peine pourtant à mettre en place des systèmes de santé et de retraites accessibles à tous. " Les grandes entreprises ne contribuent pas assez. Elles engrangent désormais des profits supérieurs à 1 000 milliards de yuans par an, mais n'en reversent qu'une infime partie à la sécurité sociale ", s'agace Liu Kaiming, spécialiste de la responsabilité sociale des entreprises et fondateur de l'Institut d'observation contemporaine.
A la place, elles peuvent réinvestir dans leurs capacités productives. Certaines ont même placé leur argent dans l'immobilier, très rentable, ce qui leur a valu les réprimandes d'un gouvernement qui n'arrive pas à enrayer la hausse des prix des logements.
Pékin devra trouver un équilibre pour ne pas porter atteinte à leur développement, alors qu'elles ont été maintenues sous couveuse, ce qui justifiera des ratios de dividendes faibles, qui ne devraient pas excéder 30 % de leurs bénéfices à terme. " Si le gouvernement décidait de leur faire payer le vrai prix, je doute de leur rentabilité, même si elle semble spectaculaire à l'heure actuelle ", explique Zhang Jun, professeur d'économie à l'université Fudan, à Shanghaï.
Comme dans beaucoup de pays, ces dividendes abonderont directement les comptes publics. " Cette mesure était attendue et nécessaire. Ce sera un coussin d'argent conséquent pour l'Etat, qui devra ensuite décider en interne à quoi il le consacre ", explique Jean-François Huchet, économiste et directeur du Centre français d'études sur la Chine contemporaine à Hongkong.
Demande intérieure
Les observateurs sont tentés de lire, dans cette mise à contribution des grands groupes publics au budget de l'Etat, un avant-goût de la tendance du douzième plan quinquennal, qui guidera les pas de la deuxième puissance économique mondiale jusqu'en 2016. Son annonce est prévue pour le début de 2011, mais ses rédacteurs évoquent déjà son fil conducteur dans la presse chinoise : réorienter l'économie vers la demande intérieure plutôt que de se focaliser sur les exportations à bas coût et, surtout, s'assurer que la croissance est " inclusive ", pour répondre à un certain mécontentement des citoyens. En clair, s'assurer que le développement économique soit mis au service du progrès social.
Harold Thibault
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