mardi 30 novembre 2010

DOSSIER - Consommateur chinois, es-tu là ? - Brice Pedroletti


Le Monde - Economie, mardi, 30 novembre 2010, p. MDE1

La confrontation sino-américaine sur les monnaies n'a certes pas été résolue au sommet du G20 de Séoul, les 11 et 12 novembre, mais l'idée que la croissance chinoise devra se rééquilibrer a gagné du terrain. Son modèle économique d'atelier du monde amène en effet la Chine à dépendre excessivement de la demande mondiale, ce que la crise a révélé.

Et une partie de la jeunesse ne se contente plus de bas salaires et d'une vie en dortoir. Alors que plus de 50 % de la population chinoise est encore rurale, et que le revenu moyen dans les campagnes équivaut à moins du tiers du revenu moyen urbain, la question de la hausse du niveau de vie des ruraux et de leur urbanisation est un casse-tête pour les autorités. Enfin, la relance massive, dopée à l'investissement et destinée à amortir les effets immédiats de la crise, génère aujourd'hui de l'inflation et un surendettement caché.

" Engagée dans des changements de nature vraiment prométhéenne, la Chine est confrontée à d'immenses difficultés ", peut-on lire dans une version - provisoire et confidentielle - d'un rapport sur " l'émergence de la Chine " du Conseil d'analyse économique (CAE) auprès du premier ministre, daté du 26 octobre, dont " Le Monde Economie " a eu connaissance. " La principale est celle du "rééquilibrage de la croissance", lit-on : un objectif affirmé depuis plusieurs années déjà, dont on voit les premiers fruits. Mais c'est une entreprise immense, qui exige une transformation des structures de consommation et de production, une modification des mécanismes du marché du travail et de la distribution des revenus, des changements dans les comportements des agents économiques et dans la structure sociale. "

Certes, la Chine a déjà glissé vers un modèle économique à multiples facettes. Elle est moins le " sweatshop " (usine à sueur) du monde qu'une sorte de " zone industrielle high-tech " de la planète, et déjà, dans certains domaines comme les tests cliniques, " le laboratoire de recherche & développement du monde ".

Mais en montant en gamme, la Chine réplique partiellement son modèle initial de croissance orienté vers les exportations, tout en bénéficiant des avantages d'une devise faible. Et c'est dans le pays même que le modèle productiviste chinois fait le plus de dégâts : le méga-plan de relance de 2009 a encore davantage déséquilibré la structure économique en faveur de l'investissement.

Le risque de cette croissance aux stéroïdes est qu'elle se termine par une crise. " En mettant l'accent sur le volet monétaire de son plan de relance, et en s'appuyant sur les acteurs publics, l'Etat chinois a en fait différé son intervention budgétaire de plusieurs années ", estime le rapport du CAE. Car le rythme d'expansion du crédit " déclenchera inévitablement un nouveau cycle de prêts non performants dont l'ampleur est difficile à déterminer en raison de la double opacité des canaux de financement ". Les banques créancières et les collectivités locales ont en effet eu " massivement recours à des opérations hors bilan " pour augmenter leurs prêts et gonfler leurs actifs, contournant l'incapacité juridique faite aux collectivités de s'endetter.

" Approche quantitative "

" En dépit des engagements pris dans le onzième plan quinquennal (2006), la Chine ne s'est toujours pas départie d'une approche essentiellement quantitative du développement économique ", ajoute le texte. L'attitude des autorités, qui plaident pour une croissance " de meilleure qualité ", est jugée " ambiguë ". Le plan de relance a montré l'efficacité du Parti communiste chinois, " qui irrigue non seulement l'administration mais aussi les entreprises, le monde éducatif, etc. Or l'évaluation, à l'intérieur du Parti, des cadres reste essentiellement fondée sur leurs performances en termes de croissance du PIB - produit intérieur brut - , ce qui incite les gouvernements locaux et les entreprises publiques à privilégier l'investissement par rapport à la consommation; les banques, à augmenter leur volume de crédits; et tous, à embellir leurs performances en manipulant les chiffres ".

Le rapport estime aussi que la réforme financière a été " indiscutablement retardée par le plan de relance ", et conclut à " la pérennité du mécanisme de "répression financière" exercée sur les ménages ", qui permet d'abaisser le coût du capital à leur détriment. " Dès lors que la priorité est donnée à la profitabilité des banques, les ménages sont régulièrement désavantagés par des taux d'intérêt réels négatifs. "

De plus, les ménages chinois supportent, comme contribuables, la charge de restructuration des mauvaises créances. " Le plan de relance chinois s'inscrit pleinement dans ce schéma, qui ralentit la progression du revenu par habitant, et donc le rééquilibrage de la croissance au profit de la consommation domestique. "

Enfin, la thèse défendue par l'économiste américain Barry Eichengreen dans son ouvrage Globalizing Capital (2008), selon laquelle l'évolution des régimes de change et du système monétaire international est étroitement liée au développement de la démocratie et des forces sociales, semble trouver une " extension nouvelle " en Chine, selon le rapport : " Le maintien forcé d'un coût faible du capital (taux d'intérêt, taux de change) se fait au détriment d'une population qui n'a aucune influence institutionnalisée sur la conduite des affaires de son pays. Cela conduit à penser que le rééquilibrage de l'économie de la Chine ne peut se concevoir qu'en parallèle à une évolution de son système politique. "

Brice Pedroletti (Pékin, correspondant) et Adrien de Tricornot


1 - Dans quels secteurs la Chine est-elle déjà devenue le " marché du monde " ?

Elle l'est d'abord pour les équipements, comme l'attestent les contrats que les Etats occidentaux s'efforcent de signer à chaque visite en Chine, dans le transport, les écotechnologies ou l'énergie. Il s'agit de fournir l'atelier du monde en machines et en technologies, mais pas seulement : la consommation des ménages enregistre une croissance de 8 % ou 9 % par an, l'une des plus élevées d'Asie, et des bonds spectaculaires pour certains secteurs comme l'automobile. Les grands groupes de luxe ont fait de la Chine une priorité. Toutes les enseignes occidentales s'y pressent : les Galeries Lafayette ouvriront à Pékin en 2013 leur deuxième plus grand magasin après celui du boulevard Haussmann à Paris.

2 - Quel est l'état d'esprit des consommateurs ?

" La Chine bénéficie du meilleur niveau de confiance des consommateurs au monde, un taux comparable à celui d'avant la crise ", indique une étude récente du Boston Consulting Group (BCG) réalisée auprès de 7 000 consommateurs chinois dans 28 villes. " Au printemps, 22 % des consommateurs chinois interrogés par le BCG prévoyaient d'augmenter leurs dépenses discrétionnaires, contre seulement 9 % en Europe et 13 % aux Etats-Unis. La croissance continue de la Chine s'accompagne d'un essor des classes moyennes et aisées chinoises et de leur pouvoir d'achat, avec près de 250 millions de consommateurs supplémentaires d'ici dix ans ", dit l'étude, qui estime que 800 villes chinoises, en 2020, " disposeront d'un revenu disponible par habitant supérieur à celui de Shanghaï aujourd'hui ".

3 - Quelle est l'importance de la recherche & développement (R & D) en Chine ?

Les investissements en R & D, qui ont représenté 1,52 % du produit intérieur brut (PIB) en 2008, devront atteindre 2,2 % par an d'ici à 2015. Le thème de l'" upgrade ", la montée en gamme, est au coeur des efforts de reconversion des villes chinoises côtières, comme Shenzhen. Concomitamment, le mouvement de migration des industries à plus faible valeur ajoutée vers les villes de l'intérieur du pays y a impulsé une nouvelle croissance. La création ex nihilo d'un réseau de trains à grande vitesse crée des gains de productivité.


Contradictions

Malgré le boom de la croissance, la part des salaires dans le produit intérieur brut (PIB) ne s'est pas redressée jusqu'en 2010 en Chine. Conjuguée à un fort taux d'épargne des ménages, cette tendance a pesé sur la consommation, dont la part dans le PIB est tombée autour de 35 %, contre environ 60 % dans les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les ménages sont confrontés en outre à la flambée des prix de l'immobilier, alimentée par la politique de relance du crédit.

D'autre part, les prix à la consommation ont crû de 4,4 % en rythme annuel, en octobre, sous l'effet de la hausse des prix alimentaires, qui représentent 32,4 % du panier de la ménagère. Cette remontée de l'inflation n'est " pas inquiétante " pour Laurent Berrebi, directeur des études économiques de Groupama AM, car " la hausse des prix agroalimentaires, principale cause de l'inflation, est favorable à la redistribution de la richesse des ménages urbains vers les ménages ruraux ". Pour encourager les ménages à moins épargner, les autorités ont accéléré le déploiement d'un système de couverture des besoins en soins de santé.

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