lundi 20 décembre 2010

Caviar de Chine : "plusieurs éléments néfastes pour la santé"

Le Monde - Economie, mardi, 21 décembre 2010, p. MDE6

" Au début, les banquiers ne voulaient pas nous suivre "

Sturgeon est le premier producteur français de caviar d'élevage. La société familiale, créée en 1995 sur les fondations d'une entreprise de pisciculture fondée par René Boucher dans les années 1960, se situe même dans les trois premiers mondiaux. Implantée en Aquitaine, elle est aujourd'hui dirigée par Jean et Frédéric Boucher (père et fils) et vend la perle noire, notamment sous sa marque de luxe Sturia.

Comment votre entreprise est-elle née ?

Nous avons délaissé en 1995 nos élevages originels de carpes et de truites, des marchés trop concurrentiels, pour repartir de zéro et créer Sturgeon, une entreprise spécialisée dans la production de caviar d'esturgeon. Nous avons sélectionné en 1995 une espèce qui se prête à l'élevage car elle se reproduit très bien : une race de Sibérie, l'Acipenser baeri.

Novices en la matière, il nous a fallu attendre le début des années 2000 pour avoir un caviar de qualité, dont nous maîtrisons aujourd'hui parfaitement la production. Nous produisons aujourd'hui dix tonnes de caviar par an. Au début, les banques ne voulaient pas nous suivre, nous nous sommes donc appuyés sur un financement familial avec l'aide de notre associé le docteur Alan Jones.

Pourquoi le caviar sauvage a progressivement laissé place au caviar d'élevage ces dernières années ?

Historiquement, le caviar vient d'esturgeons sauvages de la mer Caspienne; la Russie et l'Iran ont ainsi longtemps été les principaux producteurs. Mais les esturgeons ont été surpêchés en mer Caspienne et il n'y en a quasiment plus.

Les instances internationales, notamment la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (Cites), un organisme rattaché à l'ONU chargé de contrôler le commerce international des espèces menacées, a décidé d'en interdire la pêche en 2009. L'aquaculture d'esturgeons s'est ainsi développée. Aujourd'hui, 120 tonnes de caviar d'élevage sont produites chaque année dans le monde.

Quels sont vos principaux clients ?

Nous vendons trois tonnes par an sur le marché français, que ce soit aux restaurateurs, aux épiceries fines, aux particuliers ou à la grande distribution. Nous sommes diffusés par Carrefour, Auchan et Monoprix sous les marques respectives Ikka, Siberia et Sturgeon. Nous vendons nos caviars 850 euros le kilo aux professionnels et environ 1 700 euros aux particuliers (90 % du poids d'un esturgeon est composé de carcasse et 10 % d'oeufs).

Au niveau mondial, notre clientèle est essentiellement composée des compagnies aériennes, principalement d'Asie du Sud-Est, qui nous achètent trois tonnes par an.

Nous traitons également avec des importateurs internationaux spécialisés qui ont une grande connaissance de la perle noire, pour un peu plus de deux tonnes par an. La dernière catégorie de clients sont les négociants, notamment américains, qui nous achètent une tonne par an pour la revendre ensuite sous leur propre marque. Nous espérons diminuer le plus possible cette part car nous voulons maîtriser la distribution de nos produits sous notre marque de prestige, Sturia.

La crise vous a-t-elle durement touchés ?

Oui, et nous ne sommes toujours pas sortis d'affaire ! En effet les compagnies aériennes, nos principaux clients, ont divisé par trois leurs commandes pendant la crise car les premières classes ont été désertées par les entreprises. Etant donné que nous avions enclenché la production au début des années 2000 - une femelle pond en moyenne à partir de l'âge de 8 ans -, nous nous retrouvons en surproduction depuis deux ans. Nous vendions 12 tonnes pour 9 millions de chiffre d'affaires avant la crise, et nous avons vendu 10 tonnes pour 8 millions d'euros en 2009.

D'où l'importance, aujourd'hui, de maîtriser la distribution de nos produits. C'est pour cela que nous promouvons notre marque, renforçons notre présence commerciale et arpentons les routes françaises pour être présents partout au niveau local. La crise nous a imposé une réduction classique de coûts, mais nous n'avons pas réduit nos effectifs pour autant.

Quels sont vos projets ?

Nous voulons toujours progresser dans la qualité de nos produits en améliorant les conditions de vie de nos poissons, nous consacrons plus de 100 000 euros à la recherche, un chiffre qui va croissant.

C'est important car si nous n'avons plus la qualité de l'affinage, nous ne pèserons plus rien face à la Chine. Historiquement, la Chine est en effet un des plus grands pays d'aquaculture au monde. Depuis peu, les Chinois se sont mis au caviar et, comme dans d'autres domaines, ils sont capables de produire moins cher.

Mais la Chine est un pays très pollué, et le caviar y est parfois élevé dans des conditions sanitaires dangereuses. Nous avons mené des études sur la qualité du caviar chinois et nous y avons trouvé plusieurs éléments néfastes pour la santé. Nous avons donc créé en Chine une exploitation piscicole destinée au marché local, en partenariat avec nos clients historiques chinois et en y important nos standards de qualité.

Nous sommes les seuls à y être implantés de cette manière et commencerons à en récolter les fruits dans deux à trois ans. De plus, si le marché demande un prix de plus en plus compétitif à terme, nous pourrons réagir et nous appuyer sur notre production chinoise, ce qui nous permettra d'être présents sur tous les types de caviar, du plus haut au plus bas de gamme.

Nous sommes aussi ambitieux sur les volumes. Si les conditions de distribution et de production sont bonnes, nous devrions vendre 25 tonnes de caviar grâce aux productions que nous avons déjà lancées. C'est un marché dans lequel il faut constamment anticiper.

Propos recueillis Mathias Thépot



L'élevage a été lancé par l'interdiction de la pêche de l'esturgeon

Géniteur des perles noires tant convoitées, l'esturgeon est aujourd'hui une espèce dont le commerce est très contrôlé.

De plus en plus rare dans les milieux sauvages, il a même été interdit à la pêche en 2000, 2001, 2006 et 2009 par la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (Cites), organisme rattaché à l'Organisation des Nations unies (ONU), qui suit depuis 1998 les races d'esturgeon les plus connues comme le béluga, le sévruga ou l'osciètre.

La mise en place de quotas et l'interdiction de la pêche d'esturgeon sauvage inquiète les vendeurs de caviar, comme l'entreprise Petrossian, qui représente 15 % des ventes de caviar mondiales.

Le président de l'entreprise, Armen Petrossian, dénonce la déréglementation du marché dans les années 1990. En effet, la Russie et l'Iran avaient la mainmise sur la pêche de l'esturgeon depuis le début du XXe siècle en mer Caspienne, dont provient la quasi-totalité du caviar sauvage dans le monde.

En l'espace d'une dizaine d'années, la révolution en Iran et l'éclatement de l'URSS ont laissé la mer Caspienne sans régulateur. L'esturgeon a ensuite été pêché jusqu'à épuisement. " En 1994, le caviar se vendait 700 francs le kilo (105 euros) tellement il y en avait ! ", constate Armen Petrossian. Les quantités vendues se sont ensuite écroulées : de 300 tonnes en 1998 à seulement 500 kg aujourd'hui. De fait, " le prix du sauvage s'est multiplié par dix entre 1998 et 2007 ", regrette M. Petrossian.

Si les entreprises du secteur ont réussi à subsister, c'est avant tout grâce au caviar d'élevage, dont la production a augmenté parallèlement au déclin du caviar sauvage. Une aubaine pour les producteurs français qui se sont lancés dans la production de caviar d'élevage, alors qu'ils n'auraient jamais pu s'aventurer sur le marché du sauvage. En effet l'esturgeon européen, le sturio, se reproduit très mal, et il est aujourd'hui en voie d'extinction.

Pionnière des techniques d'élevage au milieu des années 1990, la France fait aujourd'hui partie des quatre plus grands producteurs au monde avec l'Italie, les Etats-Unis et la Chine. La clé du succès réside aussi dans le poisson élevé, l'Acipenser baeri, venant de Sibérie. " Il se reproduit plus facilement que les autres espèces d'esturgeon, notamment le sevruga et le beluga ", explique Juan Vasquez, porte-parole de la Cites.

Malgré tout, seulement 120 à 130 tonnes de caviar d'élevage sont aujourd'hui vendues annuellement, et le caviar reste un marché de niche. " L'instabilité due à la réglementation irrégulière et à la volatilité des prix sur le marché du caviar sauvage n'incite pas les investisseurs privés ou publics à injecter des fonds ", explique Armen Petrossian, qui plaide pour un marché ouvert et contrôlé car il pense que les dérives ne s'arrêteront jamais. La contrebande mondiale représenterait selon lui 15 à 20 tonnes de caviar par an.

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5 commentaires:

Anonyme a dit…

La filière française risque de payer au prix fort son nombrilisme. Certes, elle fut à l'origine de la réhabilitation de l'esturgeon. Hélas depuis... Sait-on que le dossier "appellation origine Aquitaine contrôlée" sommeille dans les bassins de nos...4 producteurs...depuis plus de 5 ans! Faut pas chercher pourquoi les caviars chinois arrivent sur nos étals!

aquitaine a dit…

A prix inférieur, à qualité supérieure, que fait le consommateur rationnel?

Il se présente chez Petrossian...
Il visite le site Aristoff...

Les grandes maisons de caviar ont toutes au moins 40 ans! Curieusement, celles-ci ne font jamais le procès public de leurs concurrents!

Que l'on soit d'accord ou pas, les caviars chinois constituent la révélation de ce début de décennie!

Evidemment quand on n'en produit pas...

aquitaine a dit…

Qui a exporté des oeufs fécondés en chine? STURIA... Ce sont donc les français qui ont armé leurs concurrents chinois.

Anonyme a dit…

Interview d'Armen Pétrossian :«La Chine peut être extraordinaire dans le caviar. Parce que d'abord, ils ont une réelle tradition dans l'esturgeon. Parce qu'il y en a dans le fleuve Amour depuis très très longtemps. Deuxièmement, ils ont une réelle tradition d'élevage puisqu'ils ont commencé au début de la chrétienté l'élevage des carpes. Et puis, ils sont de très bons élèves. Donc, ils ont réussi à faire un très bon produit. Aujourd'hui dans les dégustations aveugles, certains arrivent en premier et c’est très bien».

Anonyme a dit…

Difficile de se positionner sur la qualité de la filière française, chaque producteur se déclarant fournisseur officiel de la royauté X, de la principauté Y, de l'étoilé Z. Chez Sturgeon, comme ailleurs, le prix de la crédibilité a été calculé sur foi d'une reconnaissance de type "testé et apprécié par nous-mêmes".
Question de choix...