vendredi 17 décembre 2010

DOSSIER - Un État palestinien est-il encore possible ?



Marianne, no. 713-714 - Événement, samedi, 18 décembre 2010, p. 16

PAR HERVÉ NATHAN, NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL DANS LES TERRITOIRES PALESTINIENS

Sur le plan diplomatique ou politique, rien n'est moins sûr. Pourtant, la Palestine connaît un développement économique sans précédent, et très surprenant. Enquête.

Les Palestiniens rêvent à la Palestine depuis trop longtemps. Salam Fayyad, Premier ministre de l'Autorité palestinienne, lui, croit à l'Etat palestinien. Il a même la prétention de le présenter au monde, en août 2011 au plus tard, donnant corps au voeu prononcé par Barack Obama en septembre 2010 : " L'an prochain, nous pourrions avoir un nouveau membre des Nations unies, une Palestine indépendante vivant en paix avec Israël. " Pour y parvenir, il travaille dur. Salam Fayyad n'est pas un dirigeant palestinien typique. A 58 ans, il ne présente pas les blessures de guerre du fedayin. Il n'est pas revenu de Tunis dans les bagages de Yasser Arafat en 1994. Il n'a pas non plus connu les prisons israéliennes pour avoir participé aux intifadas. Il n'est même pas membre du Fatah, le parti central de la politique palestinienne. Il n'a pas vécu longtemps à Deir Ghasun, le village près de Tulkarem, en Cisjordanie, où il est né. Salam Fayyad a surtout séjourné au Liban, en Jordanie et aux Etats-Unis tout comme... le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Le jeune Palestinien exilé a fait ses études d'économie à l'université du Texas, puis a travaillé dix ans à la Banque mondiale. C'est comme représentant du Fonds monétaire international (FMI) qu'il débarque à Jérusalem en 1995. Et ce n'est qu'en 2001 qu'il intègre l'Autorité palestinienne.

Ordre public rétabli

Avec un tel cursus, Salam Fayyad inspire confiance aux Occidentaux. Si les Palestiniens reçoivent autant d'aides des pays occidentaux et des Etats du Golfe, ils le lui doivent en grande partie. Un représentant de l'UE à Jérusalem confirme la place centrale du Premier ministre dans l'appréciation des Occidentaux : " No Fayyad ? No money ! " La boutade n'est pas gratuite lorsqu'on sait qu'en décembre 2007 la conférence des pays donateurs a promis 7,7 milliards de dollars d'aide pour la période 2007-2010. La Palestine mérite ainsi toujours sa réputation de " pays le plus aidé au monde ", puisqu'elle reçoit ainsi près de 20 % d'un PIB de 6,2 milliards de dollars.

Avec lui, et l'équipe de gestionnaires qui l'accompagne, il n'est plus question d'une gestion de l'argent à la Yasser Arafat, lorsque le président de l'Autorité palestinienne multipliait les comptes en banque à son seul nom, pour être certain d'être le seul à dispenser les subsides destinés à son peuple. L'une des premières mesures de Fayyad a été de mettre en place un système budgétaire transparent, consultable sur Internet, qui permet de repérer où va le moindre dollar. " Beaucoup de pays en développement n'ont pas cet outil, l'Autorité palestinienne est, pour certains aspects, au même niveau que nous ", constate, admiratif, un haut fonctionnaire français. Fayyad a aussi mis fin aussi au sport national, le non-paiement des factures d'électricité. N'était-il pas patriotique pour les Palestiniens de refuser de remplir les poches de la compagnie nationale d'électricité d'Israël qui fournit le courant ? Désormais, toute demande auprès de l'administration doit être accompagnée d'une quittance. Mieux, le Premier ministre projette d'établir un impôt sur le revenu, une flat tax de 15 %. Et pourquoi pas, dans ce pays où l'on paye indifféremment en dollars, en shekels ou en dinars jordaniens, une monnaie nationale, la livre palestinienne ? Jihad al-Wazir, le patron de l'Autorité monétaire qui fait office de banque centrale, fils d'Abou Jihad, " terroriste " exécuté par Israël à Tunis en 1986, tient le secteur bancaire d'où il a chassé le Hamas. Sans doute est-ce pourquoi il est déjà reconnu comme un égal par Stanley Fischer, le gouverneur de la Banque d'Israël. " Il y a plus d'Etat en Palestine que dans bien des Etats officiellement reconnus ", analyse Pierre Duquesne, ambassadeur chargé des questions économiques de reconstruction et de développement au Quai d'Orsay.

Contrôlant étroitement le circuit de l'argent public, y compris à Gaza, dans un pays où un travailleur sur cinq est rétribué par l'administration, Fayyad a réduit la corruption qui avait fait le lit du Hamas aux élections de janvier 2006. Il a rétabli l'ordre public. Les forces armées concurrentes ont disparu. On ne risque plus de se faire rançonner au coin de la rue. Même le code de la route est désormais respecté, ce qui fait le bonheur des humoristes palestiniens : " La nuit, il vaut mieux se promener à Ramallah qu'à Tel-Aviv, c'est plus sûr, et on s'y amuse autant ! "

Fayyad a beaucoup d'argent à sa disposition. Et il l'utilise. Pas une ville, pas un village qui n'ait son chantier payé par l'Autorité. Mille six cents chantiers sont ouverts. " L'économie, c'est un acte de résistance politique. Il faut que nous occupions le terrain. Il s'agit de faire échouer le projet israélien d'effacer l'identité et la présence palestiniennes sur cette Terre ", explique un proche du Premier ministre. Les vieux sionistes se souviennent que c'est ainsi que le Yichouv, le foyer national juif, avait préparé la naissance de l'Etat israélien. Shimon Peres, président d'Israël, lucide, ose : " Fayyad, c'est le David ben Gourion palestinien. " Existe-t-il éloge plus éloquent que cette comparaison avec le fondateur de l'Etat juif ? Le parallèle est prolongé par l'économiste israélien Jacques Bendelac : " En 1948, Israël était, lui aussi, un petit pays isolé. Mais, comme lui, la future Palestine dispose d'une main-d'oeuvre qualifiée, d'une diaspora riche et de bailleurs de fonds... " Le quotidien Haaretz dit autrement le danger que représente ce leader pour ceux qui voient dans la future Palestine le malheur des juifs : " Fayyad tue Israël avec modération. "?

Il faut construire. Des maisons, des écoles, des routes, des zones industrielles palestiniennes. Comme à Bethléem, où la France subventionne une zone industrielle encore dans les limbes, à Jénine, avec l'Allemagne, ou à Jéricho, avec le Japon. Chaque pierre posée vient concurrencer les colonies israéliennes, qui grignotent le territoire de la Cisjordanie.

Ramallah, 40 000 habitants, où l'Autorité palestinienne a posé ses valises en attendant de s'installer un jour hypothétique à Al-Qods - Jérusalem en arabe -, se couvre de chantiers. Les immeubles poussent comme des champignons. La plupart sont habillés de la même pierre blanche de Judée qui couvre les maisons de Jérusalem, donnant une étrange sensation de continuité entre les deux cités distantes d'à peine une quinzaine de kilomètres.

En novembre, le président Mahmoud Abbas a coupé le ruban inaugural de l'hôtel Möwenpick, palace cinq étoiles qui rivalise avec ses homologues israéliens. La middle class occidentalisée s'amuse dans les bars branchés de la ville, où l'on trouve beaucoup de musique techno et un peu d'alcool, des jeunes filles au foulard savamment noués sous le menton et en jean moulant. A Al-Bireh, le faubourg des affaires, on peut faire ses achats chez les concessionnaires Mercedes et BMW. La prospérité semble avoir gagné la Palestine, même si dans les camps, comme celui de Balata, vers Naplouse, la pauvreté et le chômage restent le lot quotidien de la population.

En Palestine, la bulle immobilière gonfle à vue d'oeil. Ahmed Aweida, directeur général de la Bourse, la dénonce : " A Ramallah, le prix du mètre carré atteint 2 000 dollars. Rapporté au niveau de vie palestinien, cela dépasse les 10 000 € le mètre carré à Paris. C'est ridicule ! Mais le pire, c'est que cela n'a rien à voir avec la spéculation. La population s'accroît quand l'espace disponible se réduit, du fait de la pression que les Israéliens mettent sur le foncier. "

" Paix économique "

Car la souveraineté palestinienne est limitée. Elle ne s'exerce pleinement qu'en zone A (voir la carte ci-dessus). Ailleurs, il faut l'accord d'Israël. A quelques kilomètres, près de Bir Zeit, village célèbre pour abriter une grande université palestinienne, doit naître une ville nouvelle, Rawabi. Les bulldozers sont à l'oeuvre et la commercialisation des 5 000 villas de standing destinées à la nouvelle bourgeoisie palestinienne est lancée. Pour le moment, le seul problème de Rawabi est la route qui la dessert. Elle est toujours sous contrôle de Tsahal. Un check point qui protège la colonie voisine d'Ataret laisse passer largement le trafic. Mais, à la moindre tension, il peut devenir étanche. Que deviendront les habitants de Rawabi dans ce cas ? Au sud, à Bethléem, la zone industrielle encore en gestation est bien en zone A, mais son accès est aussi commandé par un check point... Pour pallier le manque de terrain, les Palestiniens s'habituent donc à construire en hauteur. A l'image de la tour Palestine, où l'on peut déjà manger au restaurant panoramique et tournant, façon Marriott de New York.

La politique immobilière effrénée du Premier ministre se heurte aussi à une opposition politique qui lui reproche d'imiter les colonies israéliennes et, pis encore, de donner un signal politique. " Si nous nous installons ici, c'est que nous renonçons au droit au retour des réfugiés de l'autre côté de la ligne de 1967, une revendication constante depuis 1948 ", accuse un étudiant de Bir Zeit. Un autre enchérit : " Fayyad est prêt à se contenter du minuscule territoire qu'Israël a concédé à l'Autorité palestinienne, la zone A. " Il entrerait ainsi dans le jeu de Benyamin Netanyahou, pour qui " la paix économique " est le moyen de faire durer l'occupation des Territoires.

Décollage en trompe l'oeil

Saeb Bamya, frêle septuagénaire, réfute l'accusation. Il a démissionné de son poste officiel de conseiller économique " pour ne pas avoir à travailler avec le Hamas ", mais il poursuit ses travaux au sein du " groupe d'Aix ", où économistes palestiniens et israéliens, sous la présidence du Français Gilbert Benhayoun, cherchent à établir la feuille de route économique de la Palestine. " Je suis né à Jaffa, près de Tel-Aviv. Ma maison existe toujours, elle a été divisée en appartements. Eh bien, je suis prêt à admettre que Jaffa reste sous la souveraineté d'Israël. Mais jamais je n'accepterai un Etat palestinien sans Jérusalem-Est, Gaza et la vallée du Jourdain. "

Economiquement et politiquement, la future Palestine ne tiendrait que dans l'intégralité, ou presque, des territoires de 1967 : 6 500 km2 et 4,5 millions d'habitants. " La Palestine économiquement viable ne saurait être coupée en trois territoires dont seulement 22 % sous son autorité. Elle ne peut être séparée de la partie la plus riche de sa population, et donc son marché le plus important, qui est situé à Jérusalem-Est. Pas plus que de Gaza, sa partie la plus industrielle et son seul port. "

Salam Fayyad a vu venir le danger et tente de susciter des projets dans les zones B, afin d'éviter que son Etat se réduise à un cinquième des territoires de 1967. Mais, dès qu'il s'agit d'accompagner les Palestiniens sur un terrain de confrontation avec Israël, les soutiens internationaux faiblissent. Et le gouvernement israélien veille à tenir la laisse courte. Lorsque Fayyad annonce son intention d'inaugurer une école à Jérusalem-Est, il en est empêché. " C'est une humiliation, bien sûr. Mais cela signifie surtout que, quoi qu'il en soit, Israël garde le contrôle et peut reprendre à tout moment ce qu'il a accordé ", explique un chef d'entreprise ami de Fayyad, Bassam al-Walheel, qui dirige une minoterie industrielle. Lui aussi raconte les tracasseries de l'armée d'Israël. " Lorsqu'on veut envoyer des marchandises à Gaza depuis Bir Zeit, il faut décharger à la barrière de sécurité, recharger de l'autre côté, et on recommence au check point de Gaza. Les coûts de transport sont prohibitifs. Pour livrer à Jérusalem, à côté, l'attente au check point de Qalandia [entre Jérusalem et Ramallah] dure jusqu'à quatre heures ! Le ciment résiste à la chaleur, mais pas les poules, qui meurent en attendant le passage. " Bassam al-Walheel rappelle : " Les accords d'Oslo devaient permettre les échanges entre Israël et la Palestine. Israël vend ses marchandises ici librement, mais nous avons mille obstacles pour vendre en Israël. " De fait, la balance commerciale est totalement déséquilibrée, l'Etat juif vend 2,5 milliards de dollars de marchandises chaque année, six fois plus qu'il n'achète ! " C'est comme cela qu'ils ont réduit à zéro notre industrie ", conclut le chef d'entreprise.

Bassem Khoury, ancien ministre de l'Economie de l'Autorité et PDG de Pharmacare, raconte comment il passe par la Jordanie puis par la Russie, pour livrer ses médicaments en Allemagne, faute d'un accès correct à l'aéroport de Lod - Ben-Gourion distant d'à peine 60 km ! Un périple qui allonge les délais de plusieurs jours, " mais, sur le check point, le passage dépend de l'humeur du soldat israélien. S'il s'est fâché avec sa copine, nos marchandises doivent attendre... " Une réalité qui jette une lumière crue sur les bulletins optimistes publiés par la Banque mondiale et le FMI. Car les institutions internationales se réjouissent : la Palestine affiche un taux de croissance quasi chinois, avec un PIB en augmentation de 7 % en 2009 et de 9 % cette année. Oui, mais... ce chiffre époustouflant ignore Gaza, où tout est stoppé. Il néglige aussi le fait que les Palestiniens n'ont toujours pas retrouvé le niveau de richesse de 1999, avant la seconde intifada. Et que l'économie palestinienne ne décolle qu'en apparence. " Nous remercions les contribuables américains et européens qui nous fournissent un quart de nos revenus, grince Bassem Khoury, mais les faits sont là, la Palestine qui était industrielle et agricole avant 1994, qui exportait plus de la moitié de sa production, est devenue totalement importatrice. " Bassam Walweel pointe du doigt les dégâts collatéraux de la politique d'intégration à la mondialisation de Salam Fayyad : " Il s'est mis en tête d'adhérer à l'OMC dont nous appliquons les règles. Résultat, moi qui ne peux pas vendre ma farine en Israël, je vois notre marché envahi de produits turcs, moins chers que les nôtres, malgré la distance ! " Les financiers ne disent pas autre chose. Ahmed Aweida, directeur général de la Bourse de Ramallah, dénonce " les 180 000 personnes employées par l'Autorité palestinienne. C'est du chômage caché ! Hors l'immobilier, le secteur privé ne décolle pas vraiment ".

Rendez-vous en août...

La Palestine est un paradis fiscal. " C'est le seul pays de la région où un investisseur ne paye aucun impôt, peut investir sans restriction et rapatrier son argent à tout moment, explique Ahmed Aweida. Mais les Bourses du Golfe ont bien d'autres attraits. Résultat : l'indice des 40 valeurs palestiniennes est désespérément plat. " Malgré une qualité de gestion reconnue internationalement, le grand rêve de faire de la Palestine le Luxembourg du Moyen-Orient ne se réalise pas. A cause, encore, de l'hypothèque israélienne. Samir Hulileh, directeur général de Padico, le plus important fonds d'investissement de Ramallah, explique qu'" il faut prendre en compte le risque politique. Nous avons une zone industrielle à Gaza. Soixante-dix usines sont à l'arrêt. La moitié ne paye plus ses loyers, l'autre stocke l'aide humanitaire. Je souhaite construire un hôtel cinq étoiles là-bas. Le chantier était entamé avant la guerre de Gaza. Mais, lorsque je demande un permis, les Israéliens me conseillent de vendre? "

A 25 km de Ramallah, Naplouse, la grande ville du Nord. L'ex-capitale économique de la Cisjordanie respire enfin. L'armée israélienne a levé les check points qui l'enserraient, permettant au commerce de reprendre vie. Le grand centre commercial de Naplouse en profite. Surtout le samedi, lorsque les " Palestiniens d'Israël ", venant de Galilée, y font leurs emplettes. Les prix moins chers et des produits plus proches des habitudes de consommation que ceux qu'ils trouvent en Israël attirent les chalands. Bachir Chakaa a ouvert Cinema City en 2009. Cela faisait près de vingt-cinq ans qu'aucun film n'avait été projeté en ville. Bachir diffuse des comédies égyptiennes, que les familles arabes de " l'autre côté " ne peuvent regarder chez elles, et des films d'action hollywoodiens, sous-titré en arabe. Pas facile néanmoins d'exploiter une salle. Les copies, en provenance du Caire, peuvent mettre jusqu'à dix jours pour franchir les multiples obstacles que crée l'occupation. Et s'il a pu projeter le Petit Nicolas, c'est que la bobine avait voyagé grâce au centre culturel français...

Au niveau politique, faute du soutien d'un parti important, le Premier ministre Salam Fayyad " ne tient que par la volonté du président Mahmoud Abbas ", reconnaît un de ses amis. Abbas lui-même vit sous la menace d'un coup d'Etat par les militaires et le Fatah. Autant dire que Fayyad est suspendu à une planche vermoulue. A-t-il une chance de perdurer ? " Oui, plaide Ahmed Aweida, parce que les gens commencent à en avoir marre du Fatah et du Hamas. Leurs divisions sont pitoyables, elles ne servent que des intérêts personnels, ceux des partis, voire ceux de pays extérieurs. Vous verrez, Fayyad sera le prochain président de la Palestine. " Même si le vrai héros des Palestiniens s'appelle toujours Marwan Barghouti, membre du Fatah, condamné à la prison à perpétuité par Israël, et dont on peint le portrait sur le mur de séparation comme un défi.

En attendant, Fayyad travaille. Si Netanyahou persiste à refuser l'ouverture de négociations de paix, l'Autorité palestinienne aura la latitude de proclamer unilatéralement la naissance de la Palestine. " Si l'Autorité palestinienne maintient ses efforts, indique la Banque mondiale, elle est bien positionnée pour établir un Etat à n'importe quel moment. " Rendez-vous en août. Inch Allah.


Repères

Cisjordanie

2,345 millions de Palestiniens vivent en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est.

220 000 Israéliens vivent à Jérusalem-Est.

293 000 Israéliens habitent dans les colonies en " Judée-Samarie ".

Gaza

1,4 million de Palestiniens résident dans la bande de Gaza.


La Palestine, une peau de chagrin ?

Le territoire revendiqué par les Palestiniens est actuellement un véritable patchwork. Aux termes des accords d'Oslo en 1993, l'Autorité palestinienne n'est vraiment maîtresse que de 22 % du territoire, la zone A. Elle cogère la zone B avec Israël (en fait le ministre de la Défense, chargé de l'Occupation), et Israël est entièrement responsable de la zone C. Entre les zones, les routes sont coupées par plus de 600 check points de l'armée israélienne, plus ou moins en activité (sur décision du gouvernement Netanyahou, un tiers d'entre eux sont désactivés, mais les bâtiments sont encore présents sur les routes). Les territoires de la zone A sont donc des enclaves, à l'image de Jéricho. Jérusalem-Est est, depuis 1967, annexée à la " capitale éternelle de l'Etat d'Israël ". Ses habitants arabes jouissent d'un statut à part, ni citoyens israéliens ni citoyens palestiniens.

Le " mur de séparation ", construit à l'intérieur de la frontière de 1967 (ligne verte), pénètre profondément en Cisjordanie pour protéger les blocs de colonies israéliennes les plus importants. La bande de Gaza, théoriquement en zone A, est gouvernée par le Hamas, même si les fonctionnaires sont rétribués par Ramallah.

Le boycott : un autre bras de fer

Le boycott des colonies pourrait devenir la prochaine épreuve dans les relations entre l'Autorité palestinienne et Israël. Salam Fayyad en fait une question de principe et d'affirmation de la légitimité palestinienne. " Les colonies juives de Cisjordanie [la Judée-Samarie pour les Israéliens] sont illégales, affirme-t-il. En conséquence, vendre des produits qui en proviennent est illicite, ainsi qu'y travailler. " Le Premier ministre s'est même fait photographier lors d'autodafés de produits des colonies. Pour Israël, le préjudice économique est faible, puisque les implantations les plus importantes sont surtout des banlieues-dortoirs de Jérusalem et Tel-Aviv. Quant à l'interdiction légale de travailler imposée aux Palestiniens, elle pose surtout des problèmes à l'économie palestinienne, confrontée à un taux de chômage de 17 %. Mais, pour Dani Dayan, le président du Conseil des localités juives de Judée-Samarie, la question est politique : pour les colons, il est urgent de décrédibiliser ce Premier ministre qui n'est " pas un partenaire pour la coexistence entre juifs et Arabes en Judée-Samarie, ni entre Israël et la Palestine ".

Au moins le droit de circuler et de travailler !

Martine Gozlan, notre envoyée spéciale à Jérusalem

Rencontre avec le philosophe et pacifiste palestinien Sari Nusseibeh. Ce sage a été de tous les combats, mais il est aujourd'hui fatigué, coincé entre le Hamas et l'intransigeance israélienne.

L'université palestinienne Al Qods (nom arabe de Jérusalem, " la Sacrée ") se trouve à vingt minutes du centre de Jérusalem, mais ici les itinéraires ressemblent à des plans de paix : des labyrinthes où on bute sans cesse sur un obstacle, check point, bulldozers, mur de séparation.

" Pour aller d'un village à l'autre, c'est comme le voyage d'Ulysse ! " nous disait en 2007 Mahmoud Darwich, le poète tant regretté. Inaugurer une simple école à Jérusalem-Est fut même interdit en octobre dernier au Premier ministre palestinien, Salam Fayyad, en personne.

Le long de la route no 1, avant d'arriver à Ramallah, on bifurque vers Beit Hanina, où nous attend Sari Nusseibeh. En face, la colonie juive de Pisgat Ze'ev. Pimpante et bien plus gaie que les chantiers, les nids-de-poule et les dédales de sa voisine palestinienne, Pisgat Ze'ev n'est pas une implantation ultrareligieuse. Du coup, des familles arabes, chrétiennes ou laïques commencent à s'y installer. Vivre une vie normale, le rêve des Palestiniens...

Voici le campus de l'université Al-Qods : des pierres blanches, des pins et, bien sûr, la haute clôture de béton à l'horizon. Beauté et fermeture, un résumé de la Terre promise. La seule solution, disent les Israéliens, pour que les kamikazes ne viennent pas se faire exploser. Pour un peu, le mur coupait l'université en deux. Sari Nusseibeh, le président d'Al Qods, a réussi à le faire reculer de quelques centaines de mètres. En douceur, comme l'exige sa fonction de philosophe diplomate.

Pour un Etat démocratique

Nusseibeh, c'est le Palestinien qui a été le plus loin possible dans le dialogue avec les Israéliens. Débats, déclarations, concessions, il a même lancé une campagne de signatures pour la paix avec Ami Ayalon, l'ex-chef du Shin Beth, les services de sécurité israéliens. Un Arabe qui comprend mieux les juifs que Sari Nusseibeh, ça n'existe pas, reconnaît volontiers l'écrivain Amos Oz, grande figure de la gauche israélienne. Nusseibeh en a payé le prix : jadis, les islamistes l'ont lynché. C'était aussi un ardent patriote palestinien, militant de la première intifada et représentant d'Arafat à Jérusalem : Tsahal l'a donc embastillé.

Aujourd'hui, cet homme de bonne volonté est fatigué. Les négociations israélo-palestiniennes s'enlisent pour la énième fois. Israël adopte une loi qui exige un référendum avant toute restitution de territoire. En riposte, Mahmoud Abbas, le président de l'Autorité palestinienne, appelle l'ONU à proclamer l'Etat palestinien. Cet Etat serait-il viable ? Le maintien des blocs de colonies en Cisjordanie, la guerre civile entre le Fatah et le Hamas maître de Gaza, la fracture politique et l'émiettement territorial ne réduisent-ils pas l'espoir à une peau de chagrin ? Comment Jérusalem ne resterait-elle pas une pomme de discorde ?

" L'Etat palestinien, tout le monde en parle, personne ne le voit, résume le président de l'université Al-Qods, en réalité à chaque étape Palestiniens et Israéliens se retrouvent comme des lutteurs dans des sables mouvants...? Je n'en peux plus, je demande à vivre simplement en citoyen de plein droit, même dans un Etat juif. Que les Israéliens nous donnent le droit de circuler, de travailler, d'étudier ! Le droit de ne pas être chassés, le droit de vivre où nous voulons...? Tous les droits que procure un Etat, sauf le droit de voter et d'être élus puisque cela leur fait peur ! "

Une position de provocateur, faite pour lancer un pavé dans la mare du désespoir, minoritaire chez les Palestiniens. Elle reflète pourtant un désenchantement majoritaire. Sous la crinière blanche, le regard du philosophe est rêveur, presque détaché. Comme si Sari Nusseibeh, 61 ans, voulait s'arracher à l'échec répétitif qui aspire les énergies et ride les enthousiasmes. Héritier d'une des quatre grandes familles de l'aristocratie de Jérusalem - la sienne détenait les clés du Saint-Sépulcre -, Nusseibeh, diplômé d'Oxford et d'Harvard, est une brillante synthèse de la rationalité occidentale et du songe arabe. Politiquement, il ne jure que par Thomas Jefferson, fondateur de la démocratie américaine, et professe, comme son modèle, qu'une nation ne peut se construire sans institutions. Quand Arafat - qu'il a servi - invoquait encore Allah et la révolution, Nusseibeh rêvait de ciseler une constitution. Celle d'un Etat palestinien démocratique et éclairé.

Emotionnellement, il est resté l'amant de Jérusalem. Ce laïc, époux d'une Lucy anglaise à qui il dédie des contes de fées, cultive sa légende familiale : l'arbre généalogique des Nusseibeh remonte à un compagnon du calife Omar qui entra dans la ville en 638, six ans après la mort de Mahomet. Nusseibeh recense les mythes, caresse les pierres au teint beige-rosé, quasi féminin, qui colorent la cité. Il respire le chèvrefeuille qui embaume sur les haies, le soir à Sheikh Jarrah, son quartier d'enfance, ou à Baqa, paradis des bourgeois arabes d'avant 1948, devenu celui des bourgeois bohèmes israéliens. Jérusalem a rythmé toutes les étapes de son espoir et de son désespoir. Jérusalem, beaucoup plus que la Palestine. Car, si Mahmoud Darwich, dans son exil, chantait le peuple et le pays, Nusseibeh, qui n'a jamais voulu vivre très longtemps ailleurs, se définit, lui et le peuple, à travers " la Ville ".

Et c'est là que se trouvent la cassure, le secret de son épuisement : Nusseibeh redoute de voir la cité peu à peu vidée de son âme arabe. Les accords d'Oslo, en 1993, laissent en suspens la question du statut de Jérusalem. Nusseibeh ne réalise pas encore toutes les conséquences de ce vide quand, ivre de joie, il fête la première paix israélo-palestinienne à la maison de l'Orient, gracieux palais ottoman et siège de l'OLP à Jérusalem-Est. Ce lieu symbolique sera fermé par les Israéliens pendant la seconde intifada, en 2001. Il reste encore interdit aujourd'hui malgré les interventions de l'Union européenne. Ce destin n'était-il pas écrit dans les silences du " processus de paix " de 1993, si nébuleux qu'il est devenu en 2000 un processus de guerre ?

" Je savais depuis le départ que les Israéliens cherchaient à détruire Jérusalem en la vidant de ses occupants et des institutions qui définissaient son identité depuis treize siècles ", avoue Nusseibeh. Quand, en 1995, il accepte de ressusciter l'université arabe Al-Qods, sans statut et sans argent, dédaignée autant par Israël que par l'Autorité palestinienne, c'est bel et bien pour " empêcher l'éradication de la civilisation arabe " dans la ville aimée. En sachant qu'il lui faudra lutter contre l'hostilité israélienne, mais aussi contre l'agressivité du Hamas, qui dominait la vie estudiantine. Beau défi pour un homme à qui le fanatisme fait l'effet d'" un roman d'épouvante victorien ".

L'étranglement de Jérusalem

Le philosophe s'engage à former des esprits critiques. Quelle autre université y songe dans le monde arabe ? Du Maghreb au Moyen-Orient, on ne trouve à leur tête que des courtisans ou des bigots. Nusseibeh l'universaliste n'a pas renoncé à faire de la Palestine ce phare que redoutent tant les pays arabes. Pour ces faux amis, les Palestiniens doivent rester des martyrs, non des modèles.

Mais qu'observe-t-il du haut de la colline sur laquelle se dresse l'université ? " L'étranglement de Jérusalem. " Aux attentats qui tuent les Israéliens répondent les barrages et les interdits qui empêchent les Palestiniens de circuler. Plus aucune liberté de mouvement entre le sud et le nord de la Cisjordanie. D'année en année, Jérusalem, " reine et rose des villes " comme la chante la diva libanaise Fairouz sur toutes les ondes du monde arabe, devient de plus en plus inaccessible à ses milliers de sujets grandis dans sa chaleur, son intimité et sa beauté. Un autre peuple les en chasse, qui, lui aussi, aime cette ville avec extase.

Nusseibeh, contrairement à 99 % des Palestiniens, n'a jamais nié la profondeur et le caractère historique du lien juif avec Jérusalem. Tout ce qu'il demande, c'est qu'il n'anéantisse pas le lien arabe. Donc se battre. Par la paix, non par les armes. Prouver à l'adversaire qu'il ne gagnera rien à vous détruire. De Tel-Aviv à Haïfa, du mouvement Shalom Arshav (" La Paix maintenant ") jusqu'au Likoud, Nusseibeh, entre 1995 et 2004, est partout. La certitude que pour négocier et convaincre il faut comprendre l'autre, il la tient de son père. Blessé pendant la guerre de 1948, gouverneur puis député de Jérusalem pendant l'époque jordanienne, très admiré du roi Hussein, il imputait les défaites arabes à l'incapacité de saisir les raisons de la dynamique juive. Ultracritique vis-à-vis de son propre camp, il dénonçait le refus du plan de partage en deux Etats voté en 1947 par l'ONU. Une partie de l'élite palestinienne voulait l'accepter : le grand mufti de Jérusalem, ex-supporteur d'Hitler, s'y était farouchement opposé. Une génération plus tard, Sari Nusseibeh relit sa propre histoire à la lumière sombre des solitudes et des échecs de son père, le pragmatique palestinien.

Deux Etats pour deux nations

Ainsi, toujours l'emporterait la voix de la fureur. Mais aussi, hier comme aujourd'hui, le poids des féodalités. En 1998, à l'heure où l'Autorité palestinienne pouvait encore gagner les coeurs palestiniens euphoriques, Nusseibeh enregistre avec inquiétude les lacunes béantes du système Arafat. " Le président ne parvenait pas à comprendre que la corruption minait son aptitude à gouverner et à fonder un Etat, se souvient le philosophe, il n'établissait pas le lien entre sa mauvaise gestion et le sentiment croissant de désespoir que son peuple éprouvait face aux promesses creuses de libération? " Non qu'Arafat fût corrompu pour lui-même - " Il menait une existence monacale " - mais il agissait en chef de clan, achetant les uns pour se garder des autres. Et la Palestine, tissu bigarré et fragile de tribus politiques et familiales rivales, ne fut jamais unifiée mais maladroitement recousue.

En 2002, alors que la violence de la seconde intifada a tout recouvert, Sari Nusseibeh ne fait plus aucune confiance aux politiciens. Il veut s'adresser aux peuples : sous la cuirasse des slogans qu'on leur impose, les Palestiniens sont en réalité épuisés. En face, un Israélien dresse exactement le même constat en observant les siens. Ami Ayalon - l'ancien chef du Shin Beth dont personne ne peut remettre en cause le patriotisme dans l'Etat hébreu - et Nusseibeh élaborent une déclaration commune. Objectif : faire signer ce programme par des centaines de milliers d'Israéliens et de Palestiniens.

Cette " présentation de principes " tient en une page. Résumons ses grandes lignes : deux Etats pour deux nations, l'Etat palestinien étant démilitarisé ; frontières permanentes sur le tracé de celles de 1967 mais avec une possibilité d'un échange de territoires pour intégrer les blocs auxquels Israël ne peut renoncer ; Jérusalem, capitale des deux Etats avec les quartiers arabes sous souveraineté palestinienne et les quartiers juifs sous souveraineté israélienne ; retour des réfugiés arabes mais uniquement en Palestine ; création d'un fonds international avec la participation d'Israël pour aider les réfugiés palestiniens dans le monde.

Ce plan simplissime fut signé par des centaines de milliers d'hommes et de femmes sur les deux rives exsangues. De Naplouse à Jénine, Sari Nusseibeh sillonne en veste de tweed les bastions de la seconde intifada pour arracher au nihilisme les faucons palestiniens. Même Arafat consent à financer l'association qui organise la campagne. Plus les sondages s'accumulent, plus les Israéliens constatent qu'une majorité de Palestiniens accepte des concessions majeures en échange d'un Etat.

Mais l'espoir va sombrer. La réponse à cette campagne sans précédent ? La construction de la " barrière de sécurité ", du mur de séparation. En barrant les chemins de Jérusalem aux Palestiniens, elle ravive les angoisses de Nusseibeh et pousse cet optimiste vers un scepticisme douloureux. La victoire des islamistes à Gaza, fruit du désengagement unilatéral décidé par Ariel Sharon en 2005, aggravera son constat : " Le Hamas et le mur sont les deux facettes d'une même réalité. L'un et l'autre ferment la porte au dialogue. "

L'éventualité, au- jourd'hui, d'une proclamation unilatérale de l'Etat palestinien ne l'enthousiasme donc pas. Il en redoute les conséquences imprévisibles, le durcissement et la colère d'Israël. Ce qui le hante, c'est le coeur de la question palestinienne, le propre coeur de Nusseibeh : Jérusalem. " Elle est le centre culturel, religieux et géographique de notre identité ", martèle Nusseibeh qui tremble de se voir retirer un jour, comme tant des siens, la carte de résident de la Ville sainte. Cet arrachement redouté l'éloigne du rêve d'Etat - " un fantasme? ", lâche-t-il pour le replonger au plus intime, au plus brûlant de la vérité palestinienne.

" En réalité, réfléchit-il à voix haute, pour nous, Palestiniens, la création d'un Etat n'est pas un projet historique, nous appartenions au monde arabe, nous étions Omeyyades ou Fatimides? Les juifs, eux, voulaient un Etat. C'était leur rêve, leur héritage. Le sionisme était un projet. C'est contre ce projet que nous nous sommes construits. C'est en riposte que nous avons forgé notre identité. Aujourd'hui, si je revenais dans l'arène politique, si j'avais le leadership, je me battrais pour une chose, pour la centralité de l'identité palestinienne : Jérusalem. Jérusalem doit être le prix à payer par Israël en échange de notre renoncement au droit au retour de nos réfugiés. "

La lumière de fin d'automne est d'une grande douceur. Elle nous accompagne sur les chemins sinueux et difficiles de Cisjordanie. Ceux qui ont tous mené l'enfant et l'homme Sari Nusseibeh, vers " Jérusalem, ville pas exclusivement musulmane, juive, chrétienne, mais entièrement divine, féerique ".

*A lire : les Mémoires de Sari Nusseibeh, Il était un pays. Une vie en Palestine, éditions J.-C. Lattès, 2008.


Repères

12 février 1949 : naissance de Sari Nusseibeh à Damas alors que son père est retenu par la guerre à Jérusalem.

24 septembre 2001 : dans un appel intitulé " La voix de la raison ", il se prononce pour deux Etats et le renoncement des réfugiés palestiniens à leur droit au retour.

Janvier 2003 : il lance la pétition " Deux peuples, deux Etats " avec l'Israélien Ami Ayalon.


Dans l'ombre, les bâtisseurs de paix

Alors que tout semble sombrer, sur le terrain des Israéliens et des Palestiniens travaillent ensemble à des projets communs.

Etat palestinien ou pas ? L'Israélien Ron Pundak et le Palestinien Saman Khoury faisaient partie de l'équipe qui a lancé l'initiative de Genève en 2003. Auparavant, Pundak fut en 1993 la cheville ouvrière des accords d'Oslo ; Khoury, chez les Palestiniens de Jérusalem, un partisan inlassable du dialogue. Aujourd'hui, malgré la désintégration des négociations, ces deux hommes préparent l'avenir dans la coulisse. Dans les hôpitaux et les écoles de Palestine à travers un foisonnement de projets communs. Saman Khoury préside le Forum paix et démocratie, qui regroupe tout un panel d'ONG palestiniennes. Ron Pundak dirige en Israël le Centre Shimon Peres pour la paix. Leur philosophie commune est simple : " Quand la solution viendra, il faudra des gens pour l'appliquer sur le terrain. Des Palestiniens qui ne confondent pas chaque Israélien avec un soldat et des Israéliens qui ne confondent pas chaque Palestinien avec un terroriste. " Ces sages audacieux montent donc des projets spectaculaires, dans le domaine de la santé et de l'éducation. Le plus surprenant a mis Gaza au coeur du dispositif. Il s'agit de faire soigner un millier d'enfants palestiniens dans les hôpitaux israéliens. Danger, charité ? Non, objectif solidarité. Il faut partager le savoir et l'efficacité médicale pour le futur. Les petits malades qui ne peuvent être traités à l'hôpital Shifa de Gaza sont acheminés et soignés dans les hôpitaux de Tel-Aviv et Jérusalem. Les équipes médicales palestiniennes sont reliées aux équipes israéliennes ; 65 médecins palestiniens se forment actuellement en Israël sur les cas difficiles pour être capables de les prendre en charge à l'avenir.

Comment le Hamas prend-il cette affaire ? Saman Khoury sourit : " Il y a une société civile, elle souffre, comment le Hamas pourrait-il s'opposer à ce que leurs compatriotes sauvent des enfants avec leurs collègues israéliens ? Ou s'opposer à ce que les familles des petits malades soient à leurs côtés en Israël ? " Quand on lui parle du fameux boycott de l'Etat hébreu, censé manifester à l'étranger la solidarité avec les Palestiniens, Khoury, qui est un ardent nationaliste et s'acharne à construire des institutions arabes indépendantes à Jérusalem, hausse les épaules : " Nous sommes extrêmement fatigués des symboles. Il s'agit de construire pour préparer la voie. La majorité des Israéliens comme des Palestiniens soutiennent la solution à deux Etats. Seulement, ils pensent que ça n'arrivera jamais. Notre but est de créer entre Palestiniens et Israéliens autant de liens qu'il est possible pour préparer la voie à un règlement politique. "

Ainsi, en Cisjordanie, dans un centre spécialisé de Qalqilyia, ville surtout connue dans les médias pour son check point, des agronomes israéliens et palestiniens travaillent ensemble à des projets d'extension de l'agriculture palestinienne. En janvier 2011, à Ramallah se rassembleront les hommes et les femmes de bonne volonté, Israéliens et Palestiniens, qui travaillent avec Ron Pundak et Saman Khoury. " Cela ne suffit pas à faire la paix, mais, sans cela, la paix ne sera jamais applicable... " résument ces deux bâtisseurs de l'ombre.

* A lire : l'ouvrage prémonitoire de David Chemla, responsable en France du mouvement La Paix maintenant sur les initiatives menées dans les deux sociétés, Bâtisseurs de paix, éditions Liana Levi.

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