lundi 13 décembre 2010

ENQUÊTE - Philippe de Villiers : Au nom du père et du fils maudit


Marianne, no. 711 - Magazine, samedi, 11 décembre 2010, p. 78

Jacqueline Rémy

Dans la famille de Villiers, il y a le père, Philippe, qui se retire de la politique, après des mois de déchirure. Et il y a le fils cadet, Laurent, qui porte plainte pour viol contre son frère aîné, après des années de silence. Entre ces deux destins croisés, la grandeur et la décadence d'une dynastie vieille France.

C'est l'histoire d'une famille très française. L'une de ces familles vieille France à qui la morale religieuse tient lieu de colonne vertébrale et la notabilité, de visage. Une famille traditionnelle où on a le droit de pécher, à condition de n'en parler qu'à Dieu, et où il convient de laver le linge sale en son sein. Un clan dont les sept enfants ont été élevés dans l'amour de Jésus, la fierté de la lignée et le culte du père, le vicomte Philippe Le Jolis de Villiers de Saintignon, président du Mouvement pour la France (MPF), créateur inspiré du Puy-du-Fou et patron du conseil général de Vendée pendant vingt-deux ans. Le 17 décembre, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Versailles dira s'il y a lieu ou non de renvoyer devant les assises des mineurs l'aîné des fils de Villiers, Guillaume, accusé par son petit frère Laurent de viols répétés qui auraient été commis au milieu des années 90. Une histoire triste comme un inceste, devenue de la dynamite parce qu'on a tenté de l'étouffer sans se soucier de l'avis ni du destin du principal intéressé, celui qui se dit victime.

Si la cour d'appel, qui s'est réunie le 15 octobre, décide le renvoi aux assises, comme l'avait ordonné le juge Jean-Michel Bernès, malgré un avis contraire du parquet, ce sera pour Laurent de Villiers une étape déterminante sur le chemin angoissant qui le mène depuis quatre ans à un procès espéré comme une "délivrance". Pour Philippe de Villiers, qui a bâti son image politique sur la défense des valeurs patriotiques et familiales, ce serait un camouflet terrible. Une épreuve de plus pour un homme politique qui, depuis ses alliances en zigzag et son échec à la présidentielle de 2007 (2,2 % des voix au premier tour), cumule les revers sur le plan national comme dans son fief vendéen : le 30 septembre dernier, il a préféré démissionner de son siège de président du conseil général plutôt que risquer d'être mis en minorité à l'issue des cantonales de mars 2011. L'échec d'un père, surtout, qui, le 21 novembre 2006, quatre jours après la mise en examen de son fils Guillaume, a convoqué une conférence de presse pour clamer qu'il s'agissait d'un "coup bas" politique le visant, lui, personnellement, six mois avant la présidentielle de 2007 à laquelle il était candidat. "Je suis victime d'une manipulation ignominieuse", s'indignait-il alors, assenant que Laurent a été instrumentalisé dans un esprit de vengeance par des "réseaux de barbouzes" roulant pour les islamistes. Philippe de Villiers a publié sept mois plus tôt les Mosquées de Roissy (Albin Michel), et son fils aîné, révélait-il, aurait été l'un de ses informateurs. Brutalement, d'un drame privé, le président du MPF fait une affaire politique. Il insiste, à propos de ses deux fils : "S'ils s'étaient appelés Durant, Dupond, Martin, il n'y aurait pas eu, il n'y aurait pas tout ce tintamarre, et il n'y aurait pas de plainte."

Exilé à Lincoln, dans le Nebraska, où il s'est marié avec une enseignante américaine, Renée, dont il a une petite fille de 2 ans, Laurent de Villiers réprime une moue agacée : "Si je m'étais appelé Durant, Dupond ou Martin, j'aurais beaucoup moins hésité à porter plainte et je n'aurais peut-être pas subi les mêmes pressions." Tous les membres de la famille et ses affidés, à commencer par les curés, se sont relayés pour le convaincre de retirer sa plainte : "Pense à la carrière de ton père !" Comment aurait-il pu ne pas y penser ? Enfant, il adorait ce père si doué, bourré de charme et d'humour, qui maniait l'insolence et les jurons avec virtuosité. Ce père qui lui a fait rencontrer le pape, Soljenitsyne et les héros du Vendée Globe, mais qui n'hésitait pas à jouer au ballon avec lui et qui s'égosillait devant les matchs de foot à la télévision. Il écoutait avec dévotion sa mère, Dominique, née Buor de Villeneuve, encenser ce chevalier blanc qui devait "sauver la France" et qui, en attendant, évitait à la famille, grâce à son règne sur la Vendée, de subir le désagrément constitué par "l'abolition des privilèges". Il se souvient d'avoir défendu cette femme pieuse au beau sourire, corsetée de principes, qui élevait ses enfants à la dure et qui a fini par s'attacher à une nonne américaine, soeur Régina. Mais c'était la voix de Philippe de Villiers qui dominait. Le week-end, quand il rentrait de Paris et les aînés, de leurs pensionnats respectifs, autour de la table familiale le silence tombait, et l'on écoutait religieusement le président du Mouvement pour la France se lancer dans l'un de ses monologues rituels : "Ecoutez-moi bien, les enfants, la République, c'est de la merde ! Laissez-moi vous expliquer pourquoi..."

Assis dans son rocking-chair, dans le salon de son appartement, au rez-de-chaussée d'un immeuble bas du sud de Lincoln, Laurent esquisse un sourire narquois : "Cela vous étonne ?" Il a bien conscience de risquer d'ébrécher l'image lissée du leader souverainiste et celle, parfaite, de la famille nombreuse et souriante hier figée par les photographes dans le jardin de la maison des Aubretières, aux Herbiers. "Je veux simplement que la vérité soit dite sur les faits, qu'on reconnaisse que j'en suis la victime et non le coupable, explique-t-il calmement. Et qu'on n'invoque pas le respect de la vie privée pour me faire taire. Le viol est un crime..."

Quand, à 22 ans, à l'automne 2006, Laurent de Villiers vient s'effondrer à la brigade des mineurs, il tient à la main un long mail que lui a envoyé, le 2 septembre, son frère Guillaume, de près de sept ans son aîné, pour lui demander miséricorde. "J'ai toujours senti que tu n'étais pas parvenu à pardonner, écrit ce père de trois enfants. Et je ne me permettrais pas de t'en vouloir pour cela. Nul ne sait comment il réagit en victime quand il connaît le sort du bourreau. Ce que tu as subi par moi est grave." Il ajoute : "Lorsqu'un jour les parents ont su, j'étais réduit [...] à l'acceptation totale de l'humiliation absolue. Comme toi, mais le criminel conscient doit regarder son visage avec un oeil plus lourd que la victime flétrie." Et, nostalgique de l'homme qu'il aurait pu devenir, il admet, mélancolique, sa "plus dure pénitence" : "Savoir que jamais je ne ressemblerai aux modèles qui avaient bercé mes mythes adolescents. Bayard, Du Guesclin, Charette [...]. Imagine Chrétien de Troyes avec un héros incestueux et obscène." Pour se défendre de ce mail, Guillaume expliquera par la suite qu'il a fait semblant d'entrer dans le jeu de Laurent. Ainsi faut-il agir avec les gens perturbés psychiquement, pour les calmer...

Quelques semaines plus tard, juste avant Noël, Dominique, l'épouse de Philippe de Villiers, téléphone dans le Nebraska à Brenda C., la future belle-mère de Laurent. La famille ne voit pas d'un bon oeil la mésalliance de ce garçon avec une "mangeuse de hamburgers" et on soupçonne Renée d'avoir poussé son fiancé à porter plainte. "En réalité, soupire la jeune femme, c'est le contraire. Au début, je l'ai incité à faire la paix, mais j'avais tort." La mère de Laurent fait appel au "coeur de mère" de Brenda. Elle lui raconte que son fils est un malade mental, atteint de mythomanie, qu'il est fou depuis tout petit, qu'elle aurait dû le placer à l'asile, mais qu'elle a manqué de courage. Elle ajoute que son fils n'a jamais été fidèle, qu'il trompe Renée, et elle propose de lui communiquer le numéro de téléphone de l'une de ses conquêtes, qui le lui confirmera. Bouleversée, Brenda téléphone en pleurant à sa fille qui, en France, dîne ce soir-là avec Laurent et des amis : "Come home, Renée. Please, come home."

Aujourd'hui, Laurent de Villiers est totalement isolé des siens. A l'exception d'une cousine de son père, Anne de Kervanoael, dite "Nanou", tous les Villiers et leurs affidés lui ont tourné le dos. Il n'en a revu aucun depuis le nouvel an 2008. Son frère Nicolas, le dauphin de Philippe de Villiers au Puy-du-Fou, s'est invité dans le Nebraska pour la Saint-Sylvestre, résolu à convaincre Laurent d'envoyer au juge une nouvelle lettre confirmant qu'il retirait sa plainte. Il en reste une voix, enregistrée à son insu. Une voix qui s'adresse à Laurent et à Renée, mais aussi aux parents de celle-ci. Une voix sèche et tendue dont Marianne peut révéler les propos : "Ce qu'on veut obtenir par l'écrit et par l'oral, c'est que le juge ne soit plus en mesure de traiter un problème qui, désormais, nous regarde. [...] C'est une affaire réelle, qui s'est vraiment passée. On la prend des mains du juge et on la ramène dans notre famille." Il explique longuement : "Nous ne croyons pas en la justice des hommes. Nous croyons en la justice de Dieu et nous pensons que, si quelqu'un est coupable, il doit expier ses fautes devant Dieu. [...] Mes parents ne croient pas en la justice du système républicain." A un autre moment, Nicolas de Villiers insiste : "On peut comprendre que la justice agisse contre le crime. OK, il y a eu crime. Mais ce n'est pas ça ! C'est politique. [...] Ils ne veulent pas la vérité des faits. Ils veulent mettre Dad à genoux." Nicolas croit-il à ce qu'il dit ? Se rend-il compte que cette thèse "politique" fait passer son frère pour un pantin actionné par d'autres ? Laurent confirme sa plainte.

En famille, Philippe de Villiers a réussi à réaliser l'union sacrée contre ce fils qu'il considère peu ou prou comme un traître. En Vendée, où il vit une histoire politique étrangement parallèle, il a failli y parvenir aussi, mais il a perdu. Le sénateur Bruno Retailleau, qu'il a longtemps considéré comme son fils politique, vient de prendre sa place à la tête du département, le 30 novembre, à l'issue d'une guerre sans merci déclarée par le clan Villiers. Il avait été le bras droit du président au conseil général, comme au MPF et au Puy-du-Fou. En décembre 2009, brusquement discrédité, Retailleau est rayé des instances dirigeantes du Puy-du-Fou, où il a débuté à 16 ans comme cavalier. Comme des protestations sourdent, Philippe de Villiers menace, s'il n'obtient pas un vote à l'unanimité, de démissionner de même que son fils Nicolas - actuel patron des lieux - et de retirer tous ses scénarios et les textes de ses créations qu'il a, précise-t-il, déposés chez le notaire. La mort du Puy-du-Fou ? L'assemblée se résigne au sacrifice de Retailleau.

Un an plus tard, rebelote, cette fois à l'hôtel du département. Comprenant, à la rentrée dernière, que son ex-dauphin se prépare à le défier en mars, après le renouvellement de la moitié des sièges, il prévient ses proches qu'il va démissionner si une majorité de conseillers généraux ne s'engagent pas à rester à ses côtés. Cette majorité, jusqu'alors, il l'avait, de façon écrasante : 27 conseillers sur 31. Las, lors d'un week-end bruissant de cancans, ses amis ne réunissent que 10 signatures. Le 30 septembre, le président du conseil général tire sa révérence dans une "Lettre aux Vendéens" vibrante : "La Vendée est grande. La Vendée nous grandit. Elle grandit nos fonctions. Elle grandit nos silences. Elle nous élève à l'altitude mentale où l'on trouve sérénité, élégance et panache. [...] Je m'efface." Est-il déprimé par l'affaire familiale, et ce cancer de l'oeil, diagnostiqué à la fin de 2009, qu'il déclare guéri ? Il invoque "la réforme territoriale, la fin de l'autonomie fiscale, l'esprit de l'époque, les impatiences". En Vendée, on ne retient que ce dernier mot, "impatiences". C'est Retailleau qui est visé, cet homme de 50 ans publiquement humilié qui, désormais, tient sa revanche.

Pour tout le monde, ici, Bruno Retailleau n'est qu'un symptôme. Sur cette Vendée, "à qui il a redonné sa fierté", selon l'expression consacrée, Philippe de Villiers a pris un pouvoir d'amoureux autocrate. C'est le leitmotiv : "Si l'on n'est pas 100 % d?accord avec lui, on est contre lui." En 2005, après le succès du non au référendum européen que le MPF considère comme le sien, Retailleau, souverainiste convaincu, supporte mal la prise de pouvoir idéologique au sein du mouvement d'une bande venue du Front national. Philippe de Villiers l'envoie balader et, à la présidentielle de 2007, bétonne sur des thématiques voisines de celles du FN. Ecarté, Bruno Retailleau reste fidèle, mais en retrait.

François Fillon l'aime bien. Ils ont siégé ensemble au conseil régional des Pays de la Loire. En janvier 2009, le Figaro annonce que le sénateur est pressenti pour entrer au gouvernement comme secrétaire d'Etat à l'Economie numérique. "Ça prouve qu'ils ont très peur de moi", cabotine Philippe de Villiers dans les colonnes du quotidien. En réalité vexé, furieux - "Retailleau me doit tout, c'est moi qui l'ai fait" -, le président du MPF tambourine à la porte de Matignon pour que ça ne se fasse pas et finit par interdire à son ex-protégé d'y aller. Il a besoin de lui, prétend-il, pour les élections européennes qui arrivent. En fait, il offrira la tête de liste à Antoine Chéreau.

En juin 2009, on reparle de Bruno Retailleau pour le nouveau remaniement. Nouvelle crise de Philippe de Villiers, qui en appelle à Nicolas Sarkozy. Retailleau n'ira pas au gouvernement. En revanche, Philippe de Villiers replie ses slogans et rejoint la majorité présidentielle par le biais de son "comité de liaison" - "Un troc", chuchote l'entourage. En avril 2010, Bruno Retailleau quitte le MPF.

Jusqu'alors, l'incroyable énergie de Philippe de Villiers sidérait tant qu'on lui passait ses défauts. Il avait créé le Puy-du-Fou et Radio Alouette. On lui pardonnait sa façon de "récupérer" tout ce qu'il advient de bien en Vendée. "Les Vendéopôles, ce n'est pas lui qui les a inventés, mais les intercommunalités des maires, souligne le socialiste Pierre Regnault, le maire de La Roche-sur-Yon, qui fut l'un de ses rares opposants au conseil général. Le Vendée Globe, c'est Jeanteau et le Crédit agricole." Au Puy-du-Fou aussi, certains supportent mal le climat de chasse aux sorcières entretenu par les Villiers. "C'est devenu une secte", soupire William Cherbonnier, un ex-inconditionnel, las d'être envoyé en "mission" sur des coups tordus, comme prendre la place d'un autre ou "infiltrer le Puyfolais", le journal de l'association.

Le président du MPF n'écoute pas les mises en garde. Pendant des mois, il n'a cessé de prédire à ses amis qu'il serait du remaniement de l'automne 2010. La mortification est triple. Il n'a pas de portefeuille. Une fois élus, 25 conseillers généraux sur les 27 de sa majorité se sont ralliés au nouvel homme fort. Et il a même vu son propre canton, Montaigu, où il régnait en maître, bouder le successeur qu'il s'était choisi, Antoine Chéreau. Ironie de l'histoire, il reste à ce vieil adversaire de cette Europe-là son mandat de député européen - qu'il honore d'un absentéisme remarqué - et le Puy-du-Fou, où tout a commencé.

Le Puy-du-Fou, c'est son bébé, son combat, son aventure, l'oeuvre de sa vie. Une ruine achetée en 1977 par le conseil général, dont son père est alors vice-président, et qu'il rêve d'illuminer de ses fantasmagories. Officier en retraite, Jacques de Villiers, ancien résistant, ex-OAS, parraine son fils en politique. Celui-ci avait monté à Coëtquidan, pendant son service militaire, un spectacle son et lumière très apprécié. Enarque peu conformiste au verbe lyrique, il convainc le conseil général de parier sur lui. La première représentation a lieu le 16 juin 1978. Treize communes sont mobilisées au nom de leurs ancêtres. Des centaines de bénévoles sont enrôlés pour faire vivre l'histoire de Jacques Maupillier et de ses descendants à travers le temps : c'est un hymne à la révolte des blancs contre les bleus, un hymne à la France et à la croix, un hymne au "pardon vendéen", selon Philippe de Villiers, qui tous les 14 juillet emmène sa famille pique-niquer pour fuir une fête nationale abhorrée.

Le spectacle du Puy-du-Fou est une "proclamation identitaire", observent le sociologue Charles Suaud et l'historien Jean-Clément Martin qui lui ont consacré une étude. La Vendée exaltée ces soirs-là est une société traditionnelle modèle, qui s'est construite contre l'extérieur, fière d'avoir toujours su dire non. L'acte de foi d'un homme charismatique qui s'identifie tant à cette Vendée qu'il a fini par croire être le seul à l'incarner. Les participants sont moins choisis pour leurs talents que pour leur adhésion à la cause. Ils seront un jour jusqu'à 3 200 bénévoles. Philippe de Villiers, cracheur de feu le week-end, se retrouve sous-préfet de Vendôme, en terre giscardienne. A l'arrivée au pouvoir des socialistes en 1981, comme la Vendée, il dit non. Pas question de servir la gauche. Il démissionne du service public. C'est la première de ses fracassantes ruptures qui, ponctuées de coups de dague verbaux, ont scandé sa vie politique. Profitant de l'autorisation des radios libres par Mitterrand, il fonde Radio Alouette, première pierre d'un groupe aujourd'hui détenu par son frère Bertrand. Le Puy-du-Fou a tant prospéré qu'en 1984 les auteurs de l'émission "Vive la crise", sur Antenne 2, le prennent pour parangon de l'inventivité nécessaire à la relance de l'économie. En 1986, il est nommé secrétaire d'Etat à la Culture auprès de François Léotard qu'il quitte aigrement un an plus tard pour devenir député de la Vendée. Le mieux élu des députés de France, avec près de 75 % des voix.

Cataclysme familial

S'ouvre alors, pour Philippe de Villiers, une période grisante qui culmine avec son élection en 1988 à la présidence du conseil général, la création du MPF en 1994 et le score de 12,34 % des voix décroché avec Charles Pasqua aux européennes de 1995. La maison des Aubretières tourne sans lui. A cette époque, son fils Guillaume, qui a presque 18 ans, se charge d'exercer l'autorité en son absence. Depuis des années, ce dernier est entré dans une relation d'amour-haine avec son petit frère. "Etait-il jaloux ? Je ne sais pas, s'interroge Laurent. J'étais le chouchou des parents. Facile à vivre, je crois, drôle. Sportif, maigrichon, et passionné de Jésus. A 8 ans, j'ai proposé de servir la messe comme enfant de choeur. Je voulais devenir curé, je voulais être un saint. C'est à cet âge que Guillaume a commencé à jouer au docteur avec moi. Dans ces moments d'intimité, au début, j'étais content. J'avais l'impression d'être son préféré." Au fil des mois, les jeux se précisent. "A partir de mes 10 ans, raconte Laurent (PHOTO), cela dégénère en viol, régulièrement, les samedis après-midi en général, en dix minutes dans la chambre de mon frère qui y emporte mes jouets pour donner le change. Ce n'est plus un jeu. Mon frère a l'air méchant, pris d'une pulsion irrépressible. Quand je dis non, il me répond que c'est trop tard, qu'il ne fallait pas dire oui au départ, que si maman l'apprend elle me détestera autant que lui." Et s'il s'insurge vraiment, accuse-t-il, Guillaume le frappe et le menace. Affolé de déplaire, malheureux de plaire, longtemps après, comme toutes les victimes d'abus sexuels, Laurent se reproche sa soumission. "Il me tapait entre les viols, pour un oui ou pour un non. Je jouais du violon trop fort, je regardais un dessin animé à la télévision, j'étais en retard pour le dîner. Tout était prétexte."

Après le bac, Guillaume part pour Angers où il entame ses études supérieures et revient le week-end. Les deux garçons se retrouvent chez les scouts d'Europe, dont l'aîné est le chef de troupe. "Il était tout le temps sur mon dos, comme s'il voulait vérifier que j'allais bien, que je ne risquais pas de m'épancher." Laurent ne lui en veut pas. "Je l'adorais, et j'avais peur de lui." Mais il n'est plus dans le moule. Au début, nul ne s'en aperçoit. Son père rêve à haute voix que son troisième fils prenne sa succession au conseil général de Vendée. Sa mère contemple toujours avec espoir cette photo datant de 1994, où l'on voit son petit Laurent poser en compagnie du pape Jean Paul II qui, lorsque l'enfant lui a avoué à la stupeur de ses parents qu'il ne voulait plus être curé mais acteur, a répliqué que lui aussi, dans le temps, avait été comédien.

En 1995, Philippe de Villiers se présente pour la première fois à l'élection présidentielle sur le thème de "l'amour de la France" : pour l'autorité de l'Etat et la responsabilité personnelle, contre la sécurité, la drogue, la corruption, il dénonce "l'ivresse de la démagogie". Il obtient 4,7 % des voix, pas suffisamment pour être remboursé de ses dépenses électorales. De quoi le ruiner. Dans la famille, c'est un cataclysme.

Un fils décevant

Laurent a 12 ans. Il rejoint Guillaume en pension. Il veut toujours devenir comédien. Mal dans sa peau, il a envie d'en changer. Il travaille moins bien, ne se tient pas comme les autres au carré. Dans cette famille où chacun a son directeur de conscience, et où deux des quatre filles ont pris le voile, son mal-être d'adolescent choque. "T'es un cas, toi, t'es le fils du facteur !" plaisantent ses soeurs. Un week-end, il est convoqué dans le bureau paternel où, raconte-t-il aujourd'hui, ses parents le traitent de "hooligan" pour avoir écrit une carte postale où il déclare "je t'aime" à une amie. Il est en cinquième. "Une femme, ça se respecte, s'entend-il dire. Tu n'as pas besoin d'avoir une copine avant le mariage." Ses parents auront d'autres occasions de se fâcher quand parfois il fumera des joints, piquera l'un des mobiles de son père ou conduira un soir la voiture de sa mère sans autorisation ni permis. Des transgressions dont l'avocat de Guillaume de Villiers, Me Alexandre Varaut, s'est servi pour démontrer le caractère peu fiable, aux yeux de la famille, de ce fils décevant.

Ses frères le tapent pour le punir, éventuellement devant tout le monde, comme en témoigne Benoît Fayol, son camarade de classe, avec qui il s'apprête à ouvrir une crêperie à Lincoln. "La douleur n'est qu'une information", a l'habitude de lancer Guillaume. En 2000, Laurent affirme avoir reçu une lettre que ce dernier lui aurait remise six mois avant son mariage, et dans laquelle son grand frère dit tenir à se "libérer la conscience" et à lui demander pardon. Laurent a 16 ans et demi. Il éprouve le besoin de se confier à une amie. Sa réaction scandalisée le soulage. "Je me sentais si coupable."

A 18 ans, enfin, au cours d'une dispute, sa mère lui lâche qu'elle sait. Elle a vu la lettre. "Il faut que tu te confesses, plaidera-t-elle plus tard. Que tu purifies ton âme. Le bon Dieu voit tout." Elle lui demande de partir en retraite ? "pour ta vocation". Elle insiste : "Tu es malade. Il faut que tu te soignes. J'ai trouvé un curé à qui tu peux parler." Laurent de Villiers accepte. "On m'a traité comme si j'étais contaminé, sale, déséquilibré. Un délinquant. Jamais comme une victime." En cinq ans, Laurent de Villiers partira 20 fois en retraite. Un jour, au lieu de se rendre à l'abbaye de Solesmes, avec l'argent du billet, il rejoint une copine à Paris. Drame. Comme il ne paraît pas se ranger, sa mère finit par l'envoyer, en septembre 2005, pour une année dans le Bronx, dans une communauté franciscaine qui s'occupe des pauvres et des toxicos. Il y rencontre Renée.

Au milieu de cette année, il s'envole pour le Québec. Sa mère l'a inscrit à un stage d'"agapéthérapie", la thérapie par le pardon. Chaque jour, on écrit ce qu'on a sur le coeur, et on brûle les papiers le soir en proclamant : "Je te pardonne." A son retour en juin 2006, Laurent n'a pas pardonné. Mais il est heureux à l'idée de présenter Renée à sa famille. Il doit retourner la chercher en août, pour leurs fiançailles. "La veille de notre arrivée à Paris, ma mère m'annonce par téléphone que nos fiançailles sont annulées. Elle a réfléchi, regardé mes relevés de compte. Je suis immature, me reproche-t-elle, je n'ai pas changé. Pas question de me marier, pas question d'entrer à l'école de théâtre." A l'aéroport, personne ne les attend. "J'ai trop souffert, se dit-il, maintenant, ça suffit." Il décide de tout raconter dans un livre.

Guy Birenbaum, le premier éditeur qui s'intéresse vraiment à son projet, lui demande s'il a porté plainte. "Laurent croyait que c'était prescrit, précise-t-il. Je lui ai dit que ça ne l'était pas, et je l'ai mis en contact avec un avocat, Jean-Marc Fédida." Le camp Villiers distille que, motivé par l'argent, Laurent est téléguidé pour des raisons plus ou moins politiques par Guy Birenbaum qui dirige alors Privé, maison dépendant du groupe Michel Lafon. En réalité, l'éditeur sort d'un procès avec le président du MPF pour avoir évoqué sa vie privée plus dissipée que ses idées. Et Laurent n'a touché que 10 000 e d'avance sur les droits d'auteur, pour la rédaction d'un livre qui doit sortir après la présidentielle. Entre les deux tours, au moment où le leader souverainiste se résout à appeler à voter Sarkozy, le patron des éditions Michel Lafon arrête brusquement le livre à l'imprimerie, puis se sépare de Birenbaum. Le frère de Philippe de Villiers, Bertrand, rembourse par la suite à l'éditeur l'à-valoir versé. Contacté, Michel Lafon n'a pas répondu à nos demandes d'explication.

Laurent se sent piégé. Le 31 mai 2007, son père, qui lui a donné rendez-vous, le reçoit en pleurant, tombe à genoux, évoque sa santé, et propose une réconciliation : "Je m'occupe de toi, j'arrête la politique." Ebranlé, Laurent pose ses conditions. Il demande la réhabilitation de la cousine Nanou et de ses amis Benoît et Bob, diabolisés pour l'avoir soutenu. "Je veux que vous reconnaissiez tous que je n'ai pas menti sur les faits." Son père lui promet de l'aider financièrement à s'installer aux Etats-Unis, de se consacrer désormais exclusivement à sa famille, de faire soigner son frère et d'organiser un procès familial afin que tout le monde sache la vérité. A la fin de l'entretien, Laurent recopie et signe une lettre au juge par laquelle il retire sa plainte et renonce à se constituer partie civile.

Pressions familiales

Le 2 juin, la 607 se gare dans la cour carrée des Aubretières. "Ma soeur Caroline, mon frère Nicolas, ma mère et mon père arborent un sourire crispé, entre le soulagement et la crainte, comme si j'étais un animal sauvage." Terriblement amaigri, Guillaume arrive en larmes et s'effondre à genoux sur le sol. "Pardon, dit-il, pardon." Tout le monde pleure. "Mon frère m'a fait pitié." Laurent parle en particulier avec chacun des membres de la famille. Il se sent entendu, pour la première fois. "Je pense alors qu'ils ont compris que je n'étais pas le jouet des islamistes ni des francs-maçons."

Philippe de Villiers déclarera que cette scène du pardon à la Festen n'a jamais eu lieu. Dans sa grande maison du côté de Cholet, Anne de Kervanoael montre du doigt le tapis du salon : "Non seulement il m'en a parlé, mais il est venu se mettre à genoux ici, en pleurant, pour me demander pardon de m'avoir insultée, menacée, et me confirmer que l'histoire de Laurent était vraie." Le président du MPF invite aussi à dîner les deux fidèles copains de son fils, Benoît et Bob, qui ont lâché leurs études pour l'entourer. "Vous avez sauvé la vie de mon fils", les remercie-t-il. "Il nous a proposé de nous aider, affirme Benoît Fayol, et il a tenu parole en me trouvant un boulot d'assistant parlementaire et en inscrivant Bob à l'université." La promesse faite à Laurent est tenue. La lettre, envoyée.

Mais la machine judiciaire est lancée. Les deux juges d'instruction qui se succèdent à Versailles veulent comprendre. Parti vivre à Lincoln, Laurent envoie deux nouvelles lettres de désistement, "dictées", affirme-t-il. Il est tout de même convoqué au palais de justice. Il appelle Philippe de Villiers pour lui demander conseil. "Il faut que tu ailles voir le juge, ordonne celui-ci, et que tu lui dises que tu as inventé cette histoire pour nuire à la carrière de ton père." Retirer la plainte est une chose. Passer pour une ordure en est une autre. Bouleversé, Laurent refuse. "J'ai eu le sentiment d'avoir été berné." Malgré les pressions, le 16 février 2008, il écrit au juge qu'il se constitue de nouveau partie civile.

Guillaume de Villiers, présumé innocent, et - fait rarissime dans ce genre de cas - le procureur Michel Desplan ont fait appel de l'ordonnance de renvoi aux assises des mineurs. Ils s'appuient sur les volte-face de Laurent de Villiers et sur ses lettres de désistement, tandis que l'aîné, lui, n'a pas varié dans ses dénégations. La personnalité de Guillaume, heureusement marié, consultant en développement international, expert en intelligence économique, et les nombreux témoignages qui font son éloge plaident pour lui. L'expert psychiatre qui l'a examiné l'a trouvé rigide, dominateur, mais pas pervers, tandis qu'il relevait chez Laurent un stress et un sentiment de honte "évocateur d'abus sexuel". Comme souvent, dans ce genre d'affaires, aucun témoin direct ne pourra jamais être cité à la barre. C'est la parole de l'un contre la parole de l'autre. Sollicités par Marianne, ni Guillaume de Villiers, ni son père, ni son avocat n'ont souhaité s'exprimer. "C'est comme l'affaire Baudis, un jour, ça se retournera", s'est contenté de dire Philippe de Villiers.

Y aura-t-il procès ou non ? Si, le 17 décembre, la réponse est négative, si le silence judiciaire épaissit le silence familial, Laurent de Villiers se l'est juré : il changera de nom de famille. J.R.

© 2010 Marianne. Tous droits réservés.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

hé bien ,vous n'avez rien d'autre affaire que de vous occuper des affaires des autres ...

Anonyme a dit…

dans chaque famille il y'a des fantômes dans le placard... balsaran@hotmail.com et croyez moi j'en sais quelques choses!!!

heptanes fraxion a dit…

inceste,religion,politique:la vie, quoi !

Anonyme a dit…

Bravo garçon, il t'a fallu bien du courage.
Comme à l'habitude l'extrême droite de la Rance, les ultras s'cathos et les politiques qui ont siégé à la culture font croire que la pedocriminalité est normale.