Le pays le plus peuplé du monde devient aussi l'un de ses principaux laboratoires, assure un rapport de l'Unesco
La Chine paraît bien être désormais le pays qui compte le plus de chercheurs au monde. C'est «pratiquement certain», estime Luc Soete, professeur d'économie internationale à l'université de Maastricht et rédacteur du premier chapitre du «Rapport de l'Unesco sur la science 2010». Et c'est là le point le plus marquant du document par rapport à sa précédente édition, en 2005.
Le rapport s'appuie sur des statistiques datant de 2007. La Chine comptait 1,423 million de chercheurs - soit 19,7% du total mondial. Elle talonnait, en termes de capital humain consacré à la recherche et développement (R & D), les Etats-Unis et l'Europe. «Mais la crise de 2008-2009 a conduit les pays développés à un ralentissement que n'a pas connu la Chine dans les recrutements de chercheurs», estime Luc Soete. Les statistiques chinoises évoquent 1,592 million de chercheurs, en 2008.
Ces chiffres ne font pas pour autant de la Chine le leader mondial de la recherche. En nombre de chercheurs par million d'habitant (1070), elle se situe dans la moyenne mondiale, loin derrière le Japon (5573), l'Amérique du Nord (4624) ou l'Union européenne (2936).
Si l'on prend maintenant en compte les investissements, le champion incontesté reste les Etats-Unis, qui totalisaient, en 2007, près d'un tiers des dépenses intérieures brutes en recherche et développement (DIRD), devant l'Union européenne (23,1%). Mais la Chine, avec 8,9%, revient sur le Japon (12,9%). Et elle distance les principaux pays européens comme l'Allemagne (6,3%) et la France (3,7%).
La Chine consacrait, en 2008, 1,54% de sa richesse à la recherche et développement, soit moins que la moyenne mondiale (1,7%) et bien moins que la Corée du Sud (3,37%). Mais elle a progressé de 50% depuis 2002.
La comparaison avec 2002 est éclairante: pour les pays que l'Unesco assemble sous la dénomination «triade» (Etats-Unis, Union européenne, Japon), la période écoulée a vu leur part mondiale dans la DIRD diminuer suivant la même pente que leur part dans le produit intérieur brut mondial. A l'inverse, la Chine et, dans une moindre mesure, d'autres émergents comme l'Inde, le Brésil et la Turquie ont vu cette part progresser. Au total, l'Asie est passée de 27 à 32% des DIRD mondiales entre 2002 et 2007.
Outre le capital humain et l'investissement, plusieurs critères permettent d'apprécier le phénomène. La répartition des publications scientifiques est révélatrice: la part de la Chine a doublé sur la période, passant à 10,6% du total mondial, tandis que le Brésil tirait la performance de l'Amérique latine. En revanche, la part des pays développés s'érode, de 84%, en 2002 à 75% en 2008.
Cet indicateur mérite d'être affiné: le taux de citations, qui indique l'intérêt remporté par un article auprès de la communauté scientifique internationale et constitue un repère qualitatif, reste beaucoup plus faible en Chine que dans la «triade».
Mais la récente irruption du pays dans le top 10 des supercalculateurs et ses investissements massifs en génomique, par exemple, prouvent qu'il est en mesure de chambouler les hiérarchies tant dans les sciences fondamentales que dans les sciences appliquées - au-delà de ses succès dans ce secteur stratégique qu'est le spatial.
Cette coupure avec les modes de production de connaissance et de richesse prévalant au XXe siècle tient à plusieurs phénomènes, dont le plus saillant est l'avènement de l'Internet à haut débit, qui a fortement progressé dans les pays en développement.
L'autre moteur, c'est l'intégration des nouveaux acteurs dans la mondialisation en général. L'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce, fin 2001, lui a ainsi donné accès à des transferts de technologies et à plus d'investissements étrangers.
Les entreprises des pays émergents, et de la Chine en particulier, ont aussi profité de la crise pour réduire leur retard par rapport à leurs concurrentes des pays développés. Alors que les dépenses des entreprises en recherche et développement ont globalement baissé de 1,9% dans le monde, en 2009, selon le cabinet de conseil en stratégie Booz & Company et la Commission européenne, la dépense de recherche privée chinoise a augmenté de 40%. Celle-ci reste néanmoins faible en valeur absolue. Elle représenterait moins de 1% de la recherche privée mondiale.
Ce qui explique que seules 21 entreprises chinoises figurent au palmarès des 1400 entreprises dépensant le plus en recherche et développement, établi par la Commission européenne. Mais elles n'étaient que quinze un an avant.
Un tiers des entreprises chinoises «championnes» appartiennent au secteur des technologies de l'information et de la communication: des composants aux équipements de télécommunications. En revanche, on ne note aucune entreprise pharmaceutique dans ce classement, alors que la pharmacie est le secteur le plus dépensier en matière de recherche, au sein de l'Union européenne.
«L'Asie a compris que le développement passe désormais par l'enseignement supérieur et la recherche, témoigne Christian Koenig, directeur du campus singapourien de l'école de commerce Essec. Singapour ou la Chine investissent massivement. Ils n'ont pas encore obtenu de Nobel, mais la croissance de la production scientifique est forte.» Arnould de Meyer, président de la Singapour Management University, fait le même constat: «Il y a désormais en Chine, en Inde et à Singapour une très grande demande de la classe moyenne pour les formations de haut niveau.» Et si possible au pays.
Philippe Jacqué, Annie Kahn et Hervé Morin
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