lundi 6 décembre 2010

Les éco-cités chinoises ont du mal à voir le jour


La Croix, no. 38835 - Lundi, 6 décembre 2010, p. 4

Malgré un net effort pour promouvoir l'urbanisme vert, le pays ne parvient pas à surmonter ses difficultés environnementales.

Depuis quelques années, des dizaines d'ambitieux projets d'éco-cités sont annoncés aux quatre coins de la Chine. Pourtant, ces villes conçues pour réduire les émissions nocives, assurer le recyclage de l'eau et des déchets et garantir un environnement sain tardent à voir le jour. Certains grands projets ont même été abandonnés, comme celui de la ville nouvelle de Dongtan, qui aurait dû se situer sur une île au large de Shanghaï. Les autorités avaient déployé une couverture médiatique exceptionnelle pour décrire ce qui devait devenir la ville la plus verte du monde, où les habitants auraient consommé des légumes bio et circulé en tout électrique, où les bâtiments auraient consommé 70 % d'énergie en moins. Aujourd'hui, seuls quelques pavillons et une poignée d'éoliennes sont sortis de terre à quelques encablures des marécages. Le rêve s'est interrompu lorsque le principal porteur du projet, Chen Liangyu, ancien numéro un du Parti communiste à Shanghaï, a été emprisonné pour corruption, entraînant une suspension des investissements.

C'est désormais la municipalité de Tianjin qui relève le défi de construire une ville durable : l'éco-cité sino-singapourienne. À écouter Tian Xian, du bureau de l'environnement, l'agglomération, qui devrait accueillir 350 000 habitants sur 30 km², aura un impact environnemental quasiment neutre. Par exemple, « tous les bâtiments de la ville seront 100 % verts », assure-t-elle. En réalité, ce qualificatif signifie seulement qu'ils devront intégrer au moins une caractéristique écologique lors de leur construction. La nuance est de taille. Et la plupart des exigences de durabilité accusent la même altération. Selon Eero Paloheimo, l'initiateur suédois de ce projet à l'origine très ambitieux, « Tianjin est désormais un compromis entre une réelle éco-cité et une ville conventionnelle. Les bâtiments ressemblent à ceux qu'on trouve dans n'importe quelle ville. » Selon lui, « le problème principal est l'argent, avec sans doute en arrière-plan quelques hommes d'affaires avides de faire de gros bénéfices et qui poussent aux compromis sur les aspects les plus écologiques. »

L'appauvrissement environnemental des cités vertes chinoises s'explique aussi par d'autres raisons. Antoine Daval, chargé de développement durable Chine pour la société française Artelia, rappelle « qu'en termes de parc immobilier, la Chine construit la France tous les 18 mois, ce qui implique une cadence effrénée et un temps de réflexion réduit ». Cette contrainte est aggravée par le manque patent de techniciens intermédiaires qualifiés. « Les Chinois sont, par exemple, les premiers producteurs d'éoliennes au monde, mais ont encore du mal à les raccorder au réseau », explique-t-il. S'ajoute à cela une certaine inadéquation entre les plans imaginés et les réalités locales. Souvent les autorités chinoises en appellent à l'expertise étrangère pour dessiner les projets et la Chine est devenue un terrain d'expérimentation grandeur nature pour les cabinets occidentaux. L'exemple du village de Huangbaiyu, dans le Liaoning, conçu par des Américains, est éloquent : malgré sa réussite technologique, les paysans n'ont jamais pu y habiter car les coûts de construction élevés avaient rendu les loyers inabordables.

Le gouvernement central est néanmoins décidé à pousser dans cette direction, alors que le nombre de citadins passera de 650 millions à un milliard à l'horizon 2030. Mais cet enthousiasme provoque un effet d'aubaine. Car en l'absence d'un cahier des charges unique établissant des contraintes de construction explicites, le concept d'éco-cité reste imprécis et les promoteurs peu regardants s'engouffrent dans le flou juridique. « Aujourd'hui, tout le monde et personne fait des éco-cités en Chine », souligne Eero Paloheimo. À tel point qu'on évoque parfois la fourchette de 10 à 200 projets d'éco-cités dans le pays. « Le terme d'éco-cité est un concept récupéré à des fins commerciales. Son sens originel s'en trouve parfois travesti », estime-t-il, jusqu'à devenir une étiquette marketing permettant de mobiliser des fonds privés.

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