lundi 13 décembre 2010

Les ratés de Delanoë et Co : les dossiers qui fâchent - Patrick Bonazza






Le Point, no. 1995 - France, jeudi, 9 décembre 2010, p. 42,43,44,46

Le spleen de Bertrand Delanoë

Michel Revol avec Xavier-Paul Le Pelletier

Série noire. Pourquoi le maire de Paris est contesté... et démotivé.

A un moment ou à un autre, Bertrand Delanoë a sans doute ruminé la sentence de son prédécesseur, Jacques Chirac : « Les merdes, ça vole en escadrille. » Depuis la fin de l'été, c'est même un escadron entier qui s'abat sur l'hôtel de ville de Paris. Le pilonnage commence en août.Le Canard enchaîné révèle que Delanoë négocie avec l'UMP pour solder l'affaire des emplois fictifs sous Chirac. Chez certains fidèles du maire, on s'étrangle. La série se poursuit avec l'expo «Larry Clark». Delanoë, choqué par la photo d'une jeune parturiente avec une seringue dans le bras, l'interdit aux mineurs. La polémique éclate. La série rebondit avec un rapport de la chambre régionale des comptes qui stigmatise primes et salaires des hauts fonctionnaires et s'accélère avec les hausses vertigineuses des impôts locaux (Delanoë avait annoncé plus 10 % maximum, elles atteignent souvent plus 30 %). Il y a même des accrocs qui en temps normal seraient passés inaperçus. Mais, en cet automne calamiteux, ils font presque rire. Dans les premiers jours de l'exposition « Basquiat », au musée d'Art moderne de la Ville de Paris, on remarque de fines stries sur une oeuvre. La presse s'en émeut, pointant la surveillance du musée. La ville n'y est pourtant pour rien, puisque les rayures figuraient sur le tableau avant son arrivée à Paris... Quelques jours plus tard, nouveau couac : on vend des billets pour l'exposition un jour où elle est fermée ! Les visiteurs se cassent le nez devant une porte close. Quand rien ne va...

La séquence n'a pas fait rire Bertrand Delanoë. Les accusations d'impéritie, surtout, l'ont mis hors de lui.« J'ai nettoyé les écuries et on m'assimile à Chirac et Tiberi ! » lance-t-il, pris d'une colère froide, à un ami. Le maire de Paris est attaqué sur sa marque de fabrique, la rectitude morale. Sa gestion serait dispendieuse, alors qu'un ami se souvient de l'avoir vu, lors d'un séjour new-yorkais payé par la ville, régler de sa poche un paquet de cigarettes à l'hôtel. Il serait un gestionnaire désinvolte, alors qu'il a exigé, comme toujours, qu'on rembourse les avances inutilisées lors de son voyage à Mexico, il y a quinze jours : 17, 92 euros ! Il nommerait des fonctionnaires amis, comme l'attaque l'UMP, lui qui a maintenu en poste la secrétaire de son directeur de cabinet, pourtant encartée au RPR (c'était en 2001). Non, vraiment, Bertrand Delanoë ne comprend pas.

Blessé. Il ne peut pourtant s'en prendre qu'à lui-même. A l'hôtel de ville, beaucoup d'élus jugent que le tapage automnal aurait pu être étouffé. Delanoë n'a pas su le faire. Il n'a pas, comme Jean-Paul Huchon, président de la région Ile-de-France, contre-attaqué avec un argumentaire lorsque la Cour des comptes, dans un autre rapport sur les transports, a mis en cause l'Ile-de-France. A Paris, lorsque éclate l'affaire des salaires et des primes, la parade est tardive. L'entourage de Delanoë savait pourtant qu'une charge accablante allait sortir.« Bertrand a perdu la main. La mairie l'ennuie », tranche un de ses adjoints.Quand on vise l'Elysée, la mairie de Paris paraît un peu terne, surtout lors d'un second mandat. En 2008, Delanoë est sur un nuage. Chouchou des sondages, il se voit déjà premier secrétaire du PS, puis candidat à l'Elysée. Son scénario est prêt. D'abord, lors des municipales, il annonce qu'il brigue son dernier mandat. Il gagne haut la main la mairie mais, au congrès de Reims, c'est l'échec. Son plan s'écroule. Quelque temps après le congrès, il réunit ses camarades. Le moral est au plus bas.« Une défaite politique comme celle-là, on met dix ans à s'en remettre », leur confie Delanoë. L'échec est cruel parce que tout le monde, de DSK à Aubry en passant par Fabius, s'est ligué contre lui. Laurent Fabius lui a avoué il y a peu : « A Reims, plus que Ségolène, c'est toi qu'on voulait écarter. » Aujourd'hui encore, la douleur semble vive : « Reims n'a pas été pour moi une surprise, mais une blessure formatrice sur la nature des rapports humains. »

Depuis, au PS, Delanoë assure le service minimum. Il vient avec une régularité jospinienne au bureau national, chaque mardi. Toujours ponctuel, il s'assied près de la porte, intervient chaque fois avec solennité et repart au bout d'une petite heure. Une fois par an, il réunit ses troupes pour une journée de réflexion. La dernière s'est déroulée fin novembre, dans un amphi de l'université Paris-Descartes. En début de matinée, le spectacle est tristounet : les bancs couverts de graffitis sont dégarnis et l'auditoire accuse le poids des ans. Si Delanoë voulait faire une démonstration de force, c'est loupé. Le maire n'est d'ailleurs plus trop influent dans sa propre fédération. Lors du congrès de Reims, les militants parisiens ne lui ont accordé que 36 % des suffrages. Depuis, ses troupes s'effilochent.

A Paris, le maire tente de montrer de l'entrain. Conscient que l'essoufflement menace, il crée la surprise lors de la cérémonie des voeux, en janvier 2010 : il annonce avec fracas le projet des voies sur berges, une vaste esplanade qui, au coeur de la capitale, descendra jusqu'à la Seine.« Je suis aussi motivé que pendant ma première mandature, justement parce que c'est ma dernière : je ne veux pas rater mes trois dernières années. Je n'ai pas besoin d'être piqué ! » assure Delanoë. Selon lui, l'impression de « trou d'air » serait due au calendrier : la ferveur du début de mandat est retombée, mais les projets ne sont pas encore sortis de terre. Alors, il maintient le cap.« Il n'y a jamais eu autant d'investissements qu'aujourd'hui », assure Bruno Julliard, l'un de ses adjoints.

Tous les jours, depuis dix ans, Bertrand Delanoë entame la journée à 7 heures, pour la finir vers 22 heures. A l'étranger, où il s'est rendu cinq fois depuis septembre, le rythme est le même. Dès potron-minet, il se fait livrer sa revue de presse et passe une heure au téléphone avec son directeur de cabinet. Seul changement : il ne fume plus que quatre ou cinq cigarettes par jour... Voilà pour les apparences. La réalité est différente. Démobilisé, dit-on dans son entourage, Bertrand Delanoë s'implique moins dans la machine municipale, ses 50 000 salariés, ses 7,4 milliards de budget annuel.« Il vit dans une bulle et ne voit personne », déplore un adjoint. Delanoë fonctionne pour l'essentiel par notes et, selon son opposant UMP Jean-François Lamour, reste moins de deux heures dans l'hémicyle du Conseil de Paris, qui dure pourtant une journée.

Isolé. Désormais, le maire s'appuie surtout sur deux ou trois collaborateurs. C'est sa façon d'éviter les réunions sans fin, ces pensums que l'on est capable d'affronter lorsqu'on a le feu sacré. Cette équipe est composée de Nicolas Revel (fils de l'ancien journaliste), directeur du cabinet, Véronique Bédague-Hamilius, secrétaire générale de la ville, et Laurent Fary. Depuis dix-neuf ans, ce dernier est le porte-parole de Delanoë.« Il est victime d'un phénomène d'usure », dit un proche du maire. Laurent Fary quitte d'ailleurs Delanoë, pour raisons personnelles.

Tout passe par ce cabinet resserré : les notes des adjoints, qu'ils annotent et transmettent au maire, les arbitrages et même certains dossiers épineux. La semaine dernière, Jean-François Lamour souhaitait évoquer le projet d'agrandissement de Roland-Garros. C'est Nicolas Revel qui l'a reçu.« Revel pilote tout », râle Lamour. A la grande surprise du député UMP, ni l'adjoint chargé des concessions ni l'adjoint aux sports ne participaient à l'entretien. Ce dernier, Jean Vuillermoz, est d'ailleurs contesté, comme d'autres élus choisis par Delanoë en 2008. La réalisatrice Yasmina Benguigui, notamment, fait figure d'erreur de casting. Quelques conseillers municipaux l'avouent : d'elle ils retiendront ses tenues lorsqu'elle déboule dans l'hémicycle - talons hauts et maquillage épais -, mais peu son travail municipal. Conforté par Delanoë, le cabinet a « pris le pouvoir », dit un élu, réduisant l'influence des conseillers de Paris. Or certains élus ont le poids politique pour s'opposer au maire. Pas les fonctionnaires.« Ce ne sont que des béni-oui-oui qui craignent les colères de Bertrand ! » déplore un conseiller de Paris. De surcroît, les hauts fonctionnaires n'ont pas le flair d'élus qui grenouillent depuis des années dans la politique.« Excellents techniciens, mais piètres politiques », résume un adjoint. Les déconvenues de l'automne leur sont sans doute imputables, comme celle qui suit l'accord avec l'UMP. Quand l'article du Canard paraît, fin août, Delanoë est à La Rochelle, à l'université d'été du PS. Ses conseillers le rassurent : « On ne réagit pas tout de suite, on va voir comment ça tourne. » On a vu : les journaux n'ont parlé que de ça pendant des jours, aiguillonnés par les élus écolos, désormais en guerre avec Delanoë.

Isolé dans son majestueux bureau, Bertrand Delanoë apprécie toutefois les rencontres avec les Parisiens - enfin, tant qu'elles se passent bien... Depuis plusieurs semaines, il défend ses réalisations lors de comptes rendus de mandat. La plupart du temps, le maire est à son aise, plaisantant avec la salle.« Je suis taquin », minaude-t-il souvent. Mais, lorsqu'un Parisien l'attaque, Delanoë mord. Fin novembre, dans un gymnase du 2e arrondissement, le maire est victime d'une vilenie. Dans l'assistance, un homme lui reproche une condamnation ancienne. Delanoë feint la rigolade en basculant sa chaise en arrière, puis lève les mains en l'air et lance un péremptoire : « Je n'ai jamais été condamné à rien. » L'autre répond : « Si, en votre qualité de maire. » L'échange s'envenime.« Non, non et trois fois non », martèle Delanoë, qui s'énerve : « Je ne vous laisserai pas dire ça. Je n'ai jamais été condamné à quoi que ce soit. J'ai fermé ma gueule pendant cinq minutes à vous écouter, mais ça je ne le permettrai pas. Un premier jugement a été prononcé, la mairie a fait appel, elle a été condamnée à rien du tout ! » On passe à autre chose, notamment à une petite dame qui provoque l'hilarité en déclarant : « Je suis un peu amoureuse de vous, monsieur Delanoë. »

Bertrand Delanoë ne regrette rien. Ce n'est pas son genre. Avoir annoncé qu'il briguait, en 2008, son dernier mandat n'est pas une faute politique, dit-il. Dans son entourage, on assure pourtant que cette décision l'a définitivement démobilisé après Reims. Lui répond par l'éthique : « J'ai toujours dit que je refusais le cumul des mandats. J'ai démissionné de mon poste de sénateur quand j'ai été élu maire, en 2001, et je ne cumulerai pas plus de deux mandats dans le temps. Mon ami Gaston Defferre et Chaban-Delmas ont été les deux plus grands maires de France, mais je ne crois pas qu'être resté un peu trop longtemps en poste les a beaucoup grandis ! » Et après 2014 ? Il reste elliptique : « Ce que je ferai ensuite ne m'inquiète pas du tout, tant j'ai de centres d'intérêt, tant j'aime de gens... » Certains le voient ministre si la gauche l'emporte en 2012. D'autres en doutent.« Jamais il n'acceptera de travailler sous les ordres de quelqu'un », se moque un « ami ».

Guerre larvée. Faute de mieux, il prépare sa succession. Sa dauphine, Anne Hidalgo, se prépare ardemment.« Je travaille ma crédibilité », lance-t-elle en riant à ceux qui doutent de sa stature - ils sont assez nombreux. Parmi eux, Jean-Marie Le Guen, rival historique de Delanoë, et Patrick Bloche. Le député maire du 11e se tient en retrait, prêt à surgir si le match Hidalgo-Le Guen tourne mal. Ces deux-là ne s'aiment pas. Depuis des années, ils se livrent une guerre à peine larvée. En septembre, lors de l'inauguration de l'Institut de la moelle et du cerveau, les invités ont assisté à un curieux manège, les deux rivaux se disputant le micro pour chiper la parole à l'autre.

Avant 2014, date des prochaines municipales, il y aura... 2012. « La présidentielle surdéterminera l'élection à Paris », reconnaît Anne Hidalgo. Si DSK est candidat, son accession à l'Elysée favorisera Jean-Marie Le Guen, l'un de ses plus proches lieutenants. Si c'est Martine Aubry, Anne Hidalgo sera sur un tremplin pour l'hôtel de ville, d'autant que son compagnon, Jean-Marc Germain, est le plus proche collaborateur d'Aubry à Solferino et à Lille. C'est ce cas de figure que souhaite Delanoë, pour qu'au moins son soutien constant à Martine Aubry depuis Reims, terminus de ses propres ambitions, ait servi à quelque chose

Paris, c'est

- Près de 50 000 salariés (40 000 en 2000);

- Une masse salariale d'environ 2 milliards d'euros;

- Un budget de 7,4 milliards d'euros;

- Une dette de 2,8 milliards d'euros, mais le taux d'endettement reste bas, à 39 %, contre 80 % dans les grandes villes;

- Un budget d'investissement de 1,6 milliard d'euros (2010);

- Un trésor de 927 millions d'euros acquis en 2010 grâce aux droits de mutation (ventes immobilières);

- Un maire qui gagne 8 684 euros brut, plus 1 933 euros de frais de représentation.


Les ratés de Delanoë et Co
Patrick Bonazza

Finances. Le maire de Paris a « explosé les compteurs » de la ville en bâtissant sans compter. Retour sur une frénésie dépensière.

Remboursez ! Retour de Mexico, un fonctionnaire de la ville de Paris a dû remettre les 17,92 euros (sur une enveloppe de 2 000 euros) inutilisés lors du voyage au maire de Paris. Qu'on se le dise, Bertrand Delanoë, qui a subi au début de l'automne quelques attaques concernant les salaires de ses hauts fonctionnaires et aussi ses propres émoluments, ne laisse plus rien passer. L'homme, qui a le sens du détail, sait être vétilleux. Après le laisser-aller, la reprise en main. Moins de fiestas, moins de com, moins de fournitures de bureau... La ville de Paris découvre une rigueur toute symbolique : 50 millions d'économies prévues en 2010 sur un budget de 7,4 milliards.« C'est peu, mais c'est bien là une manière d'avouer que les compteurs ont explosé », dit Jean-François Lamour, président du groupe UMP au Conseil de Paris.

Et c'est vrai que les finances de la ville galopent. L'endettement a presque doublé depuis le début de la première mandature Delanoë en 2001. Les dépenses ont suivi. Ainsi, jamais, sous Chirac ou Tiberi, les Parisiens n'ont considéré que leur ville était sous-administrée. A l'époque déjà, les fonctionnaires municipaux étaient plus nombreux que les fonctionnaires européens. Qu'importe ! Bertrand Delanoë a embauché à tour de bras jusqu'en 2008 : 8 900 personnes, prétendent ses services; au moins 10 000, affirme l'opposition. Bernard Gaudillère, adjoint au maire chargé des finances, n'a aucun état d'âme pour justifier les embauches, qui portent à quelque 50 000 le nombre de fonctionnaires municipaux. Un gros tiers des arrivants sont liés à de nouveaux équipements (crèches, écoles...); un tiers, plus modeste, aux accords (très généreux) sur la réduction du temps de travail et... un tout petit tiers, enfin, à la titularisation de contractuels, ce que l'on appelle la « déprécarisation ». Un mouvement sans fin, car aujourd'hui, selon l'opposition, ce sont à nouveau 3 000 vacataires qui attendent d'être titularisés. Trop, c'est trop. Dépassée par cette noria, la mairie, aveu de mauvaise gestion, a stoppé toute embauche depuis 2008.

« Superfiscalisation ». Et paie ses excès. Lors de sa dernière campagne électorale, Delanoë avait bien annoncé qu'il augmenterait les impôts en 2009 et en 2010. Sauf qu'il avait omis de dire de combien. Or, ces jours-ci, en découvrant leur feuille d'imposition, les Parisiens l'ont un peu saumâtre. Merci, monsieur le Maire ! Un exemple : un couple de propriétaires occupant 70 mètres carrés rue d'Alésia, dans le 14e, a vu, entre 2008 et 2010, son addition pour les deux taxes (foncière et habitation) passer de 1 211 euros à 1 582 (soit plus de 30 % !) Pour faire bon poids, la taxe prélevée sur leur emplacement de parking s'est envolée, elle, de 86 euros à 121 (40 %). Pendant ce temps, le maire tient des propos lénifiants dans les gazettes en expliquant que les taux n'ont augmenté que de 8 % en 2010. Feignant d'ignorer que l'assiette s'est élargie, et surtout qu'en 2009 les financiers de l'hôtel de ville ont créé un impôt départemental, ce qu'autorise d'ailleurs la loi - Paris est à la fois une ville et un département.« Surfiscalisation »,« matraquage » : l'opposition UMP ne fait pas dans la dentelle.« Malhonnête », dit-on à l'hôtel de ville, où l'on rappelle que, durant la première mandature Delanoë, les impôts n'ont pas bougé et que, jusqu'à 2014, ils ne bougeront plus. Paris reste d'ailleurs la ville la moins imposée de l'Hexagone. En 2010, la taxe foncière moyenne s'y établit à 600 euros, contre 645 à Lyon, 825 à Marseille, 1 082 à Bordeaux. Même gradation pour la taxe d'habitation.

« D'accord, admet Lamour.Mais ce n'est pas une raison pour en profiter. A Paris, tout coûte plus cher, du logement à l'alimentation en passant par les restaurants et le petit noir au zinc. » « Le pire, ajoute-t-il,c'est que, pendant que nos taxes flambent, la municipalité engrange comme jamais des droits de mutation. » La reprise du marché de l'immobilier dans la capitale contribue en effet à doper ses recettes. Compte tenu des sommes déjà accumulées depuis le début de l'année (927 millions d'euros fin octobre), les impôts perçus sur les ventes de logements battront tous les records en 2010.« Notre maire est spéculo-dépendant », s'amuse Lamour.

Au moins Delanoë, spéculateur socialiste, ne se met-il pas en porte-à-faux vis-à-vis de ses militants, car il recycle une large partie de ses gains dans le logement social.« On dépense aujourd'hui à Paris au rythme des Trente Glorieuses », affirme Françoise Fromonot, architecte et professeur à l'Ensa.« C'est vrai, reconnaît Bernard Gaudillère , le logement social est notre priorité. » Pour construire ses 70 000 logements, la ville préempte à tout-va. Et brûle les étapes. La loi SRU fait obligation d'avoir un parc de logements sociaux d'au moins 20 % à l'horizon 2020.« Nous serons prêts dès 2014 », dit l'élu chargé des finances.« On favorise les plus modestes et tant pis pour les classes moyennes », grince l'opposition. Qui, toutefois, retient ses critiques sur le sujet, tout comme elle a du mal à partir en guerre contre la construction de crèches, de piscines, de bibliothèques, d'écoles ou de collèges, voire d'espaces verts.

Tout de même, investir aussi massivement dans le social n'est peut-être pas la panacée. Un vrai puits sans fond, plutôt. Plus il y a d'offres, plus il y a de demandes. Les Franciliens modestes qui travaillent à Paris l'ont bien compris, qui s'inscrivent dans la longue file des demandeurs de logement à Paris. Cet effort « colossal »(dixit Françoise Fromonot) est pour une large part responsable de l'envol des investissements de la ville (1,6 milliard d'euros en 2010), plus de deux fois supérieurs en rythme de croisière que sous l'ère Tiberi. S'endetter ? Paris a encore de la marge : sa dette représente 40 % de ses recettes, contre 80 % en moyenne en France pour les villes de plus de 100 000 habitants. Oui, mais au rythme où l'on va... L'agence de notation Standard et Poor's, dans une note d'octobre, a sans hésitation confirmé le triple A de Paris, faisant tout de même remarquer que « la capacité d'autofinancement de la ville est structurellement moins solide et son endettement est moins soutenable qu'au cours du précédent mandat ».

Si, au moins, on préparait l'avenir. Mais, sur les 9,5 milliards d'investissements de la seconde mandature, seul un « petit » milliard est consacré à l'innovation, la recherche et les universités. C'est sans doute ce qui fait dire à l'économiste Christian Saint-Etienne, élu du centre, que « Delanoë a une Ferrari mais roule en première ». Jean-Louis Missika, l'adjoint chargé du fameux milliard, semble avoir toutes les peines du monde à distribuer les crédits . Dont une bonne part semble devoir aller à... l'immobilier (locaux universitaires, logements pour chercheurs...), comme si c'était le seul moyen d'attirer des intelligences. A croire que le maire, politique passionné, a fondé une entreprise de BTP, la Delanoë et Co. Spécialisée dans les bâtiments administratifs et les HLM, elle utilise aussi les deniers publics à faire et refaire des couloirs de bus, mettre des chicanes, tracer des pistes cyclables à contre-courant... Depuis l'avènement de Delanoë, la capitale aurait dépensé 1,8 milliard d'euros rien que pour la voirie.

Primes indécentes. Problème : quand il s'attaque à des projets plus originaux, le chef de chantier perd son coup de truelle. Le 104 ? Un bide. Le stade Jean-Bouin ? Un cadeau coûteux au Stade français. Les Halles ? De l'argent en l'air pour la canopée et les jardins, quand le sous-sol et ses commerces sont offerts à une compagnie privée, Unibail. De quoi ternir la réputation de manager que le maire aime entretenir. Car, en plus de sa propension à dépenser, il a commis d'inexplicables négligences. Ainsi a-t-il laissé gonfler inconsidérément les effectifs de ses services de communication - avant de les réduire. Il a payé avec des fonds municipaux les salaires d'employés d'une mutuelle de fonctionnaires proches de la CGT, ce qui atténue la portée de sa dénonciation des emplois fictifs du RPR sous Jacques Chirac. Delanoë a aussi totalement lâché la bride à ses hauts fonctionnaires, qui se sont octroyé des primes indécentes (jusqu'à 40 000 euros par an). Le scandale, révélé par la chambre régionale des comptes, a été tel que le maire s'est trouvé contraint de réduire ces primes. Enfin,last but not least, Delanoë n'a pas oublié de s'augmenter lui-même (51 % !) : selon La Tribune, son salaire et ses indemnités mensuelles sont passés de 7 123 euros en 2001 à 10 782 en 2010, après ajustement à la baisse l'an dernier. Trop tard, le mal était fait. L'image de Delanoë est désormais floutée


Pas de cadeaux

Avec Delanoë, la municipalité a considérablement augmenté les redevances réclamées à divers établissements. Ainsi, la Croix-Catelan verse 2,9 millions d'euros à la ville, contre 131 000 euros en 2005; les hippodromes d'Auteuil et de Longchamp, 7,5 millions, au lieu de 905 000 euros; les antennes de la tour Eiffel, 7,7 millions, contre 5,8; les colonnes Morris, 10 millions, au lieu de 1,8 million...

Préemptions tous azimuts

Un immeuble boulevard Henri-IV (4 ), un autre rue Boulay (17e), un troisième à 100 mètres du Trocadéro... : pour parvenir à 20 % de logements sociaux à Paris en 2014, la mairie de Paris préempte à tout-va. « Elle visite systématiquement tout immeuble mis en vente », constate Emmanuel de Poulpiquet, directeur de Féau Immobilier Marais. Et s'intéresse particulièrement aux ensembles de 20 à 30 logements. Et ce quel que soit le quartier. La ville a ainsi tenté d'acquérir l'immeuble qui jouxtait le célèbre hôtel des Ambassadeurs de Hollande, dans le Marais. Car elle a tout pouvoir : soit le vendeur accepte son prix, plutôt « bas », établi après expertise des Domaines, soit il conserve son bien. Reste que la crise du logement à Paris n'a jamais été aussi forte ! « Avec la flambée des prix et des loyers, de moins en moins de Parisiens peuvent se loger, et pas seulement les pauvres. C'est vrai également des classes moyennes », explique Jean-Yves Mano, adjoint au maire chargé du logement. En neuf ans, le nombre de demandeurs de logement social est passé de 92 000 à 112 000 (+ 21 %). Pour y faire face le mieux possible, la ville achète (16 000 logements depuis 2001), construit elle-même des logements sociaux (Claude-Bernard, Batignolles...), impose aux promoteurs des règles strictes en nombre (25 %, voire 50 % de logements sociaux pour l'immeuble qui remplacera par exemple le garage Renault de la rue de la Pompe), mais aussi augmente le loyer (17 E/m2 pour un prix de marché de 22 à 35 E selon les arrondissements). Alors, Paris, la ville des plus aisés et des plus aidés ? Inquiétant : en dix ans, le nombre de banlieusards qui demandent un logement social est passé de 6 000 à 26 000. Jean-Yves Mano s'en défend. Et de citer le prêt Paris à taux zéro, ses aides à l'accession qui ont permis à plus de 13 000 Parisiens d'acheter ou encore ses aides financières au logement. Bertrand Delanoë devrait annoncer dans les prochains jours leur extension aux personnes âgées


Les dossiers qui fâchent
Domitille Arrivet, Jérôme Cordelier et Denis Demonpiond

Polémique. Plusieurs chantiers lancés par la mairie sont sous le feu des critiques.

A l'assaut des voies sur berges

C'est le dernier grand projet de la mandature : reconquérir les bords de la Seine, en fermant notamment les quais rive gauche, entre le musée d'Orsay et le pont de l'Alma. Selon Bertrand Delanoë, les 2 000 véhicules/heure qui y circulent aux heures de pointe n'auront qu'à passer au-dessus, sur les voies qui longent le ministère des Affaires étrangères jusqu'à l'esplanade des Invalides. En bas, sur ces 2,3 kilomètres de voies dévolues chaque dimanche après-midi aux rollers et aux vélos, les Parisiens trouveraient à demeure dès 2012 des terrasses (ensoleillées), des jardins (flottants), des équipements de sport (dernier cri), des promenades (vertes), des guinguettes, ainsi que, sous le pont Alexandre-III, une boîte de nuit.« Des structures légères qui puissent répondre à une crue décennale », souligne Anne Hidalgo, première adjointe. Coût de ce projet destiné à venir à bout de la résistance des automobilistes : 40 millions d'euros, plus 2 millions de coût de fonctionnement chaque année. Rachida Dati, maire UMP du 7 e, dont dépend ce tronçon de voirie, enrage. Par un sondage express, elle a opportunément consulté ses administrés sur la question. Sans surprise, ils se sont prononcés à 90 % contre cette fermeture, qui aurait pour conséquence de troubler la quiétude de leur quartier. Dans les Hauts-de-Seine, les élus font front : « La fermeture pénaliserait des dizaines de milliers de banlieusards qui rentrent le soir par ces quais », proteste Jacques Gautier, président de l'Association des maires du département. Quant à Jean-François Lamour, le président du groupe UMP au Conseil de Paris, il propose un contre-projet comprenant des activités économiques « rentables » et des cultures maraîchères bio... Le Conseil de Paris statuera début janvier.

Très chères Halles

Le Forum des Halles a toujours été sujet à controverse. Depuis la démolition sauvage des pavillons Baltard en 1973 et le transfert à Rungis du « ventre de Paris » cher à Zola, le coeur de la capitale n'est plus qu'un gigantesque carrefour piétonnier et commerçant où se croisent chaque jour 800 000 personnes en sous-sol. A défaut de lui redonner son lustre d'antan, Bertrand Delanoë a décidé de faire de ce « chantier pharaonique » son « grand oeuvre politico-urbanistique », persifle Hervé Martin, auteur d'un remarquable « Guide de l'architecture moderne », paru aux éditions Alternatives. A terme, une canopée, sorte de résille aérodynamique de 19 000 mètres carrés, devrait surplomber l'actuel centre commercial niché dans le trou des Halles. Lequel sera remodelé de fond en comble. Coût prévisionnel global de l'opération : 800 millions d'euros. A la mairie, Anne Hidalgo se réjouit qu'au terme de deux ans et demi de négociations Unibail, l'exploitant du centre commercial, se soit engagé à verser 238 millions d'euros à la ville pour devenir propriétaire des commerces.« Nous avons par ailleurs signé une clause de retour à meilleure fortune »,précise la première adjointe. Les deux architectes chargés du chantier, Patrick Berger et Jacques Anziutti, veulent procéder à une remise à plat du parvis, afin de permettre « une double continuité visuelle horizontale » de la rotonde de la Bourse de commerce au Centre Pompidou. L'idée est de créer un jardin extraordinaire composé d'arbres, de pelouses, de prairies et de jeux d'eau. Seules les vaches sont absentes du cahier des charges.

Jean-Bouin : un cadeau à Max ?

C'est un match bien peu sportif qui dure depuis plusieurs années sur le terrain de Jean-Bouin. Le stade de la Porte d'Auteuil est l'enjeu d'un choc frontal entre le maire de Paris (PS), Bertrand Delanoë, et le leader de l'opposition municipale (UMP), Jean-François Lamour. Objet : l'édification d'un nouveau stade de 20 000 places entièrement voué au rugby. Le chantier a démarré, mais ses opposants poursuivent la bataille qu'ils livrent contre ce projet depuis 2007. La justice n'examinera qu'en janvier leur recours contre le permis de démolir, et ils se sont déjà attaqués au permis de construire.« Nous demandons le maintien du caractère omnisports de ce stade, dit Agnès Popelin, porte-parole du collectif de riverains,et nous contestons la construction de bureaux et de galeries commerciales dans l'enceinte plutôt que de gymnases pour enfants. » Pour la mairie, que Paris se dote d'un nouveau stade, comme nombre de villes européennes, alors que le rugby est en plein rayonnement dans la capitale, n'a rien d'incongru. Pour ses opposants, il s'agit là ni plus ni moins d'un « fait du prince », sous la forme d'un cadeau de 157 millions d'euros voire 200 millions d'euros octroyé au Stade français, présidé et détenu à 72 % par un proche de Bertrand Delanoë, Max Guazzini. En mars, la cour administrative d'appel a confirmé le jugement du tribunal administratif, selon lequel en 2004 la mairie n'avait pas respecté la mise en concurrence pour l'attribution de la concession de Jean-Bouin; mais le Conseil d'Etat vient de donner raison à la mairie de Paris... En attendant la fin des travaux prévue en 2013 -, le Stade français joue ses matchs à Charlety et au Stade de France. Et pourquoi ne pas y rester ? se demandent les opposants au projet Jean-Bouin. « Tout ça pour une dizaine de matchs par an !» attaque Jean-François Lamour. Jacky Lorenzetti, le président du Racing-Métro, le grand rival de l'équipe de Max Guazzini, est en train de construire un stade à Nanterre. Avec des fonds privés.

Tensions à Roland-Garros

Pas touche aux Serres d'Auteuil ! En soutenant l'extension du stade Roland-Garros, Bertrand Delanoë a déclenché une levée de boucliers chez ses alliés Europe Ecologie-Les Verts et même ses amis Françoise Hardy, Erik Orsenna et Nicolas Hulot. Les 235 millions d'euros du projet construire une enceinte semi-enterrée de 5 000 places sur le site des petites serres voisines et non sur celles du XIXe siècle classées sont entièrement financés par la FFT, associée au projet. La mairie de Paris le soutient mordicus. Roland-Garros est à l'étroit, ne s'étendant que sur une surface de 8,5 hectares deux fois moins que ses concurrents de Wimbledon ou Melbourne. Et Gonesse et Marne-la-Vallée voire Versailles proposent à la FFT qui rendra sa décision le 11 février - plus de 20 hectares gratuitement. Et sans polémique.

Le 104 repart de zéro

Rénové à grands frais (environ 100 millions d'euros), le 104 de la rue d'Aubervilliers devait être la vitrine culturelle de Bertrand Delanoë. Las ! Deux ans après son ouverture, ce haut lieu artistique, installé sous la halle Baltard des anciennes pompes funèbres, a failli sombrer corps et biens. La faute à une programmation « prise de tête ». L'opération de survie a été confiée à José Manuel Gonçalvès, qui, à partir du 11 décembre, entend proposer des « attractions » populaires de qualité. Au programme : « Manège », de Royal de Luxe, et Arthur H, entre autres.

Le pharaonique Louxor

Le cinéma années 20 du boulevard de Magenta, un temps transformé en boîte de nuit gay, était tombé en décrépitude. En 2003, la mairie achète ce mythique témoin de l'égyptomanie dans l'idée d'en faire un centre d'art et d'essai. Coût de l'opération de rénovation, qui a commencé au printemps sous la houlette de l'architecte Philippe Pumain : 29 millions d'euros. Pharaonique, au regard de la maigre fréquentation que le public réserve à ces programmations élitistes.

Des cyclistes en tête-à-queue

Après le tramway et les couloirs de bus aménagés au milieu de grandes artères, où les piétons risquent de perdre la vie à la moindre inattention, la mairie de Paris vient d'inventer la circulation cycliste inversée : 180 kilomètres de pistes cyclables tracées à contresens, dans les rues où la vitesse de circulation est limitée à 30 kilomètres/heure. Objectif de ce face-à-face : contraindre les automobilistes à lever le pied, mais aussi ranger les cyclistes qui, plutôt que de faire un détour, avaient tendance à opter pour le trottoir. La mairie rendra un bilan officiel des accidents l'été prochain...

Le bide des Trois Baudets

Cet ancien cabaret de Pigalle où Brassens, Brel ou Gainsbourg ont fait leurs débuts a été rénové en 2006 par la mairie pour 7,5 millions d'euros. Début 2009, Bertrand Delanoë en a confié la délégation à une équipe priée de découvrir des talents, qu'il soutient par 450 000 euros annuels de subventions. Pour ce prix, Julien Bassouls et ses associés attirent chaque soir une quinzaine de professionnels venus repérer de futures stars de la scène.« Un bide monstrueux », alerte l'Inspection générale de la ville.

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