Le Monde - International, lundi, 6 décembre 2010, p. 7
Michèle Alliot-Marie, 64 ans, a été nommée ministre d'Etat, ministre des affaires étrangères et européennes le 14 novembre.
Comment réagissez-vous à l'affaire WikiLeaks ? La France est-elle à l'abri d'une fuite de télégrammes diplomatiques ?
Je trouve ces révélations totalement irresponsables et les condamne sans aucune restriction, car je considère que les relations internationales reposent sur la capacité de dire un certain nombre de choses, choses qui peuvent d'ailleurs évoluer, ainsi que sur une relation de confiance.
Révéler des documents diplomatiques, c'est une atteinte à la souveraineté des Etats, et cela peut fragiliser les relations internationales. Cela peut aussi mettre en danger la vie de personnes, notamment dans certains pays des personnes qui ont parlé de leurs dirigeants. J'ai été avertie par - la secrétaire d'Etat américaine - Hillary Clinton et je lui ai dit sur ce point notre totale solidarité. Il faudra d'ailleurs que nous examinions ensemble les conséquences.
Des conséquences pour la France ?
Pour la France, elles ne sont pas considérables. Ce ne sont pas quelques publications sur Internet qui vont changer nos liens anciens et étroits avec les Etats-Unis. Par ailleurs, j'ai demandé que l'on vérifie tous les lieux où il pouvait y avoir un archivage de documents, pour s'assurer que nous ayons pris le maximum de précautions possible. D'après les indications recueillies à ce jour, nous sommes bien protégés.
Qu'attendez-vous de la réunion entre l'Iran et les grandes puissances prévue les 6 et 7 décembre à Genève, qui doit porter sur le programme nucléaire ?
Les nouvelles sanctions ont, semble-t-il, ébranlé le pouvoir à Téhéran. Nous allons mettre l'ensemble des problèmes sur la table. Ce sera l'occasion de faire comprendre à l'Iran que nous ne céderons pas et que les sanctions ne seront pas levées simplement sur des paroles.
Le tribunal spécial pour le Liban s'apprête à présenter ses actes d'accusation. Vous avez récemment reçu le premier ministre libanais, Saad Hariri. La priorité est-elle le fonctionnement du tribunal, ou bien, comme semble le penser l'Arabie saoudite, la stabilité du Liban ?
Au Liban des menaces sont formulées par certains, notamment le Hezbollah. Il faut rappeler une chose : le tribunal a été créé par la communauté internationale. Nul ne peut l'arrêter. Il est indépendant et doit fonctionner. C'est la position de la France. Nous pensons également qu'il faut préserver l'unité du Liban et conforter ses institutions. Le travail du tribunal et le fait de pouvoir dire que des individus sont responsables - et non toute une communauté - doivent permettre de conforter cette unité sur des bases solides.
En Afghanistan, la France est-elle dans une logique de retrait ?
A l'horizon 2014 ?
La France est dans la logique du transfert de responsabilités au gouvernement afghan. Notre but n'est pas d'être là en permanence, mais de permettre à l'Afghanistan d'avoir des institutions et un gouvernement capables de fonctionner sur l'ensemble du territoire. C'est la raison pour laquelle nous contribuons à former les forces de sécurité afghanes. Il faut être très prudent lorsque l'on parle de dates. Il ne s'agit pas de donner des indications à ceux qui veulent lutter contre le gouvernement afghan.
L'OTAN a adopté un projet de bouclier antimissile pour proté
ger l'Europe, en particulier de la menace balistique iranienne.
La France ne se place-t-elle pas sous une trop forte tutelle américaine en acceptant ce projet ?
L'OTAN statue toujours à l'unanimité. Parler de domination américaine est faux dès lors qu'il y a moyen de s'opposer lorsque l'on en a la volonté politique.
C'est une gaulliste qui parle.
Absolument. Au moment de la guerre d'Irak, j'ai eu des discussions avec Donald Rumsfeld - alors secrétaire américain à la défense - parce qu'il y avait un souhait d'engager l'OTAN dans cette opération. Je le rappelle, que ce soit à l'époque ou maintenant, c'est la même règle d'unanimité qui s'applique. Je peux vous dire aussi : il y a un meilleur partage aujourd'hui des responsabilités qu'il n'y en avait autrefois. Notamment, à l'occasion du retour de la France dans le commandement intégré de l'OTAN, nous avons obtenu au nom de l'Europe l'un des grands commandements, ce qui avait été refusé jusque-là.
Vous avez déclaré en prenant vos fonctions : " Nous croyons en un monde multipolaire. " Dans ce monde-là, y a-t-il une " famille occidentale " ?
Je crois qu'il y a des pôles, dont un pôle occidental. Mais je dirais un pôle européen, plutôt qu'un pôle occidental. Car il y a aussi le pôle nord-américain. Le grand défi des prochaines décennies est l'apparition de grands blocs démographiques, économiques et culturels. Chacun représentant environ un milliard d'habitants : la Chine, l'Inde, l'Afrique, le groupe d'Amérique du Nord, celui de l'Amérique du Sud, centré autour du Brésil.
Tous ces pôles ont leurs spécificités, et le problème est de savoir quelles seront leurs relations. C'est dans ce cadre qu'il doit y avoir une interrogation sur la taille de l'Europe, et éventuellement sur la place de la Russie. L'Europe aujourd'hui c'est 450 millions d'habitants. Si nous voulons avoir les moyens de peser plus, comment faisons-nous ? Nous avons deux possibilités, l'une est à l'Est, l'autre est au Sud. Je pense qu'elles ne sont pas exclusives l'une de l'autre.
Sur les enjeux stratégiques, le pôle américain et le pôle européen sont-ils distincts ?
Les Etats-Unis défendent leurs intérêts, ce qui est tout à fait normal. Nous aussi. Cela ne doit surtout pas nous faire oublier ce que nous avons en commun, ni nous empêcher de travailler ensemble. Pour autant, nous ne pouvons pas non plus ignorer que nous sommes en concurrence en matière économique, sur le plan technologique...
A quels changements faut-il s'attendre au Quai d'Orsay ?
Ma préoccupation n'est pas de me situer par rapport à mes prédécesseurs. Ma première priorité sera toujours nos compatriotes en difficulté à l'étranger, et d'abord les otages. Deuxièmement, je voudrais faire de ce ministère un pôle d'expertise privilégié pour la prévision et l'anticipation des grandes problématiques du monde. C'est ainsi que nous pouvons jouer pleinement notre rôle d'aide à la décision présidentielle.
Le troisième point, c'est d'avoir une stratégie d'influence de la France, aussi bien économique que culturelle. Je souhaite créer une véritable culture internationale, dans les collectivités territoriales, le monde culturel, les médias, et même dans le monde syndical. Par exemple, en détachant des diplomates auprès d'entreprises ou de collectivités locales, pendant des périodes de deux ou trois ans.
Quelle articulation entre le Quai et les conseillers de l'Elysée ?
Arrêtons avec cela. Je considère Jean-David Levitte - le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy - comme un ami. Cela m'étonnerait beaucoup que nous ayons un problème. Il travaille pour le président et pour la France, comme je travaille pour la France et le président. Et l'ordre n'a aucune espèce d'importance !
Propos recueillis par Natalie Nougayrède et Gilles Paris
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