lundi 6 décembre 2010

ANALYSE - Un système de couverture sociale naît lentement en Chine


La Croix, no. 38835 - Lundi, 6 décembre 2010, p. 14

Portées par la croissance, de vastes réformes visant à améliorer la protection sociale sont mises en place. Un gigantesque chantier dans un pays de grandes disparités.

L'époque du « bol de riz en fer », qui voyait les entreprises d'État garantir emploi et couverture maladie à la population urbaine, est depuis longtemps révolue et, face à des inégalités croissantes, la Chine est contrainte d'inventer un nouveau système de sécurité sociale. Plusieurs lois ont été adoptées en ce sens, avec l'objectif annoncé d'assurer une couverture universelle à l'horizon 2011.

Mais le gouvernement doit composer avec un héritage administratif très morcelé. Encore aujourd'hui, les provinces, villes et comtés adaptent leur propre système aux grandes lignes tracées par le pouvoir central, provoquant de fortes disparités géographiques et socioprofessionnelles. Certains citadins bénéficient d'une couverture très correcte, notamment une partie des fonctionnaires, d'autres doivent se débrouiller seuls.

C'est notamment le cas en zone rurale. Jean-Charles Dehaye, expert au sein du projet européen de coopération pour la réforme de la sécurité sociale en Chine, relève que la « couverture sociale y repose essentiellement sur la solidarité familiale ». En ville, la situation est à peine meilleure : « 40 % de l'emploi n'est pas officiel et, en l'absence de contrat de travail, les employeurs ne cotisent pas. »

Les récentes lois, en particulier celle du 28 octobre dernier, visent donc à homogénéiser le système. Par exemple en instituant une solidarité à l'intérieur des provinces par mutualisation des cotisations. Les centres urbains plus riches devront aider les zones plus défavorisées. Par ailleurs, le cloisonnement des caisses empêchait jusqu'à présent les ouvriers migrants de transférer leurs cotisations dans leur province d'accueil. Des dizaines de millions de ces « mingongs » étaient ainsi privés de tout droit. Depuis cette année, il leur est théoriquement possible de conserver les acquis obtenus lors des précédents emplois.

Le gouvernement a adopté en 2009 des mesures de soutien du système de santé comme le relèvement du niveau des prestations et la hausse des aides en cas d'accident du travail. Un effort financier a également permis de moderniser les équipements hospitaliers et de créer de nouveaux centres de soins. Le gouvernement a promis de « créer 250 000 postes d'employés dans les services sociaux, soit un doublement des effectifs », complète Jean-Charles Dehaye.

Malgré cela, des iniquités perdurent. Par exemple, lors d'un accident du travail, à l'inverse de la France, c'est à la victime de prouver la responsabilité de l'employeur, ce qui, compte tenu de la fragilité de sa situation, apparaît souvent presque impossible. L'application de ces lois pose problème, les systèmes de contrôle restant défaillants. Ainsi, si la nouvelle législation oblige tout employeur à formaliser un contrat de travail, donc à cotiser, les moyens pour l'y contraindre sont quasi inexistants. De puissantes résistances se dressent localement : « Une ville comme Shanghaï, qui est très en avance sur le reste du pays, n'est vraiment pas enthousiaste à l'idée de mutualiser les caisses. »

Le mode de financement des hôpitaux, qui doivent assumer seuls 90 % de leurs frais de fonctionnement, comporte de nombreux effets pervers. Pour viabiliser leur budget, « ils augmentent les marges sur la vente des médicaments, développent des services VIP réservés aux meilleurs payeurs, et surtout se financent grâce à "l'argent gris" », des enveloppes d'argent liquide sans lesquelles la qualité de la prise en charge du patient devient très défaillante.

Enfin, les mentalités évoluent difficilement. Car, « globalement, les Chinois sont de grands épargnants et préfèrent compter sur leurs propres ressources, puisqu'ils ne croient pas à l'idée d'une sécurité sociale mutualisée ». Pour faire accepter ses réformes, le pouvoir a donc intégré à son système de cotisation une réserve de fonds destinée au seul assuré social. Cette méfiance populaire fait d'ailleurs le bonheur de certaines compagnies d'assurances privées, qui peuvent compter sur une classe moyenne de plus en plus riche pour vendre leurs polices.

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