Le retour au franc serait sanctionné par une perte de 10 % du PIB, obligeant l'État à un surcroît de rigueur.
Il n'y a pas de plan B. Voilà ce qu'on répond imperturbablement à Bercy ou à la Banque de France, les deux institutions qui auraient à gérer un éventuel « éclatement de l'euro » et un retour au franc. « Un tel scénario n'est pas envisageable car il serait extrêmement destructeur de richesses et de bien-être. Le pire de tous », explique-t-on. À ce jour, un seul économiste de banque, Mark Cliffe, le responsable de la recherche d'ING Bank, a osé « quantifier l'impensable », selon ses propres termes, publiant un panorama chiffré et exhaustif des conséquences d'un retour général aux monnaies nationales. Il existe pourtant un précédent bien réel, celui de l'Argentine, qui, en décembre 2001, a décidé de rompre le lien de fixité absolue qui existait entre le peso et le dollar américain. Et, dans la foulée, Buenos Aires avait dû répudier sa dette souveraine, faute de pouvoir la rembourser après la dégringolade de 55 % du peso. Partisans de l'euro et eurosceptiques prônant son abandon examinent actuellement avec une même attention la crise argentine, qui s'est soldée dès 2002 par une chute du PIB de 11 %, une envolée du chômage à plus de 20 % et un taux d'inflation de 40 %. L'Europe pourrait-elle survivre à la disparition de sa monnaie?Avant même le big bang : l'euro tombe à 0,85 dollarUne certitude, les marchés anticiperont l'éclatement de la monnaie européenne, avertit le professeur Jean-Jacques Rosa, eurosceptique convaincu. Dans son scénario, Mark Cliffe, l'économiste d'ING Bank, envisage un taux de 0,85 dollar. Un niveau quelque peu arbitraire mais qui ne relève pas du hasard : c'est pratiquement le taux auquel était tombée la monnaie unique à l'automne 2000.Une récession de 10 %
sur trois ansProblèmes de logistique pour l'introduction des nouvelles monnaies, incertitude quant à leurs évolutions respectives, contrôles des capitaux au sein même de l'Europe : la défiance sera à son comble. « La faillite de Lehman Brothers aura été une promenade de santé en comparaison », ironise un trader. Dans le scénario d'ING, cela se traduit par un repli de 4 % du PIB français la première année, et d'un peu plus de 10 % en cumulé sur trois ans. Le choc sera à peine moindre en Allemagne. Du fait de la déprime européenne et de la remontée du dollar comme valeur refuge, les États-Unis devraient retomber en récession.Le chômage frappe 13,8 %
de la population activeConséquence mécanique d'une dépression infiniment plus sévère que celle de 2008-2009, le taux de chômage bondira à 13,8 % en France, à 12,5 % outre-Rhin et à 25,5 % en Espagne.La déflation fait tomber
les taux d'intérêt et les salairesLa fin de la monnaie unique soumet le coeur de l'Europe et sa périphérie à des tensions encore plus violentes qu'aujourd'hui. Dans son scénario, Mark Cliffe considère que la déflation prévaudra en Allemagne, aux Pays-Bas et même en France avec pour conséquence une pression à la baisse des prix et des salaires, mais aussi une détente très marquée sur les taux d'intérêt à 10 ans des marchés financiers. Les rendements des Bund allemands et les OAT françaises tomberaient en deçà de 1 %. En Grèce, en Espagne et en Italie, au contraire, le risque d'inflation prévaudrait, entraînant les taux de marché bien au-dessus de leurs niveaux actuels (6,6 % en Italie).Le prix de l'essence s'envole
à 1,75 euro le litreSi l'euro à 0,85 dollar n'a rien d'inédit, le prix des carburants n'en atteindrait pas moins des niveaux sans précédent, de l'ordre de 1,75 euro pour le litre du super sans plomb, selon une source officielle de la profession pétrolière. La raison en est que le cours du baril de pétrole brut a plus que doublé entre 2000 et 2010.
Le grand retour du contrôle des changesLes souverainistes, qui font de l'abandon de l'euro une panacée à nos problèmes de compétitivité, le reconnaissent volontiers : « Les marchés financiers seront fermés pendant une semaine et les paiements internationaux seront contrôlés et suspendus pendant le temps nécessaire », selon un expert de Debout la République, le parti de Nicolas Dupont-Aignan. Ce gel, temporaire mais d'une durée indéterminée, des transactions financières constituera l'une des principales difficultés. Les prêts transfrontaliers des banques au sein de l'Europe représentent en effet quelque 9 700 milliards de dollars, selon la Banque des règlements internationaux. Le contrôle des changes handicapera également les particuliers : en Argentine, le gouvernement avait dans un premier temps limité à 250 dollars les retraits hebdomadaires avant de les suspendre.
Les débiteurs mieux traités que les épargnantsÀ quel taux seront converties les dettes et les créances qui étaient libellées en euros? Le ministère des Finances argentin avait choisi des taux de conversion différents lors de son processus de « pesoisation », rappelle Fernanda Nechio, économiste de la Banque de réserve fédérale de San Francisco, dans une étude de novembre dernier sur la crise argentine. Le taux de conversion était plus favorable pour les emprunteurs que pour les épargnants. Ce choix a dégradé le bilan des banques. Il a fallu ensuite les indemniser pour leur éviter la faillite. « La dépréciation (du peso) et les nouveaux emprunts pour aider le système bancaire avaient plus que doublé le poids de la dette publique en pourcentage du PIB à la fin de 2002 », note Fernanda Nechio.
Alors que les deux tiers de la dette de l'État (1 200 milliards d'euros) sont détenus par des investisseurs étrangers, la France serait lourdement pénalisée si le « nouveau franc » devait dégringoler par rapport à l'« ancien euro ». Sauf à se déclarer en défaut vis-à-vis de ses créanciers, comme l'Argentine l'avait fait en 2002 (sur un montant de 82 milliards de dollars).L'abandon de l'euro sonne
le glas de l'Europe?Le traité de Lisbonne, ratifié en 2009 par les États de la zone euro, est explicite : « L'Union établit une union économique et monétaire dont la monnaie est l'euro. » En clair, le renoncement à la monnaie unique met fin à l'Union.
Jean-Pierre Robin
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