mardi 21 décembre 2010

DOSSIER - La Chine tend une main intéressée à la Grèce




Le Figaro, no. 20657 - Le Figaro Économie, vendredi, 31 décembre 2010, p. 22

En visite à Athènes, le premier ministre Wen Jiabao s'est engagé à acheter de la dette grecque. En échange, Pékin renforce sa présence au Pirée et dans la marine marchande.

La Chine fait main basse sur la Grèce. La visite du premier ministre chinois, Wen Jiabao, à Athènes, le week-end dernier, aura été tout autant politique qu'économique. Les Chinois avaient commencé par avancer leurs pions sur le port du Pirée en reprenant l'exploitation de deux quais pour une durée de trente-cinq ans. C'était un coup pour voir comment les Grecs réagissaient et une manière de s'incruster dans les infrastructures d'un pays que Pékin convoite comme une porte d'entrée en Europe du Sud. Aujourd'hui, ils vont beaucoup plus loin et se posent carrément en sauveurs du pays.

Les Chinois, qui fourniront dans un premier temps six bateaux aux armateurs grecs, dont deux cargos et un tanker, vont créer un fonds de 5 milliards de dollars pour « soutenir l'achat de bâtiments chinois par les armateurs grecs ». Annoncée sans commentaire, cette décision n'est pas neutre. Pékin s'en prend directement au coeur du seul secteur industriel grec qui n'est pas directement touché par la crise. Et en offrant de l'aider alors qu'il n'a rien demandé, la Chine construit patiemment la tête de pont commerciale dont elle a besoin sur le Vieux Continent.

Ce n'est pas un hasard si le président du géant Cosco (China Ocean Shipping Company), Wei Jiafu, qui a la réputation de se déplacer rarement, était du voyage, de même que le gouverneur de la Banque centrale, Zhou Xiaochuan. La Chine, en effet, n'entend pas soutenir que les bateaux grecs. Elle veut « faire un grand effort pour soutenir les pays de la zone euro », a souligné son premier ministre, Wen Jiabao, qui prend le pari que la Grèce sera parfaitement capable de « dépasser toute seule ses difficultés avec ses propres efforts ». Pékin, par cette simple phrase, apporte un soutien politique de taille au gouvernement du premier ministre Georges Papandreou, qui bataille pour faire passer les réformes que lui imposent ses partenaires européens pour sortir d'une situation économique catastrophique.

Cheval de Troie

Wen Jiabao, en bon diplomate qui profite du maillon faible de l'Europe pour avancer sur le Vieux Continent, assure que « le mécanisme commun Union européenne-FMI et toutes les mesures prises ont eu des résultats positifs ». Et il affirme dans la foulée que son pays « participera à l'achat de nouvelles obligations grecques », dès que le pays reviendra sur les marchés financiers.

Georges Papandréou s'est aussitôt félicité de ce « vote de confiance », tout en soulignant le « climat excellent » qui règne entre les deux pays. Mais personne n'est dupe. Le soutien chinois à la Grèce est parfaitement intéressé. Si la Chine et la Grèce prévoient de doubler leurs échanges commerciaux d'ici à 2015, à 8 milliards de dollars, et s'ils ont d'ores et déjà signé des accords dans les technologies des télécommunications et l'importation de matières premières comme le marbre, Pékin se projette beaucoup plus loin.

En affirmant haut et fort qu'elle fait confiance à la Grèce, la Chine se pose comme un donneur de leçons vis-à-vis de Bruxelles en même temps qu'elle caresse dans le sens du poil son cheval de Troie en Europe.

Arnaud Rodier


Investissements Chinois en Grèce, en milliards de dollars :

4,4
Prix de la concession accordée par Le Pirée à la Chine en 2008 pour la gestion du port pendant trente-cinq ans

5
Montant du nouveau fonds de soutien chinois à la marine marchande grecque

8
Montant des échanges commerciaux souhaités entre les deux pays d'ici à 2015. Le double d'aujourd'hui



Malgré les grèves à répétition, les Grecs se résignent à vivre dans l'austérité

« ENOIKIAZETAI, poloitai », à louer, à vendre, rue Ermou, les Champs-Élysées d'Athènes, où les loyers sont pourtant tombés de 15 % en un an, dans le bas de Kolonaki, où ils se sont effondrés de 22 %, les petites affiches jaunes écrites en rouge pullulent. Entre un tiers et un quart des magasins ferment. Pas moins de 4 500 petites et moyennes entreprises grecques sont en train de disparaître dans l'indifférence générale.

Chaque jour, les syndicats bloquent la circulation place Syntagma. Un jour, ce sont les routiers qui rejettent la déréglementation de leur profession, un autre, les propriétaires de casinos qui ne veulent pas voir se multiplier les machines à sous, un autre encore, les employés des chemins de fer qui refusent d'être privatisés. Quelques bombes lacrymogènes sont lancées. Mais, relayés sur un écran géant installé au milieu des manifestants, les députés votent à l'Assemblée toutes les lois décidées par le gouvernement.

Ce jeudi 7 octobre, le syndicat des fonctionnaires, Adedy, appelle à une nouvelle grève générale dans la fonction publique : la onzième depuis le mois de mars! « Les mesures de L'État sont parfaitement injustes. Le chômage augmente, la population s'appauvrit, les prix flambent », justifie le secrétaire général, Ilias Iliopoulos.

Imperturbable, le premier ministre Papandréou continue d'appliquer à la lettre sa promesse de réduire de 40 % le déficit budgétaire de la Grèce à la fin de l'année, conformément aux conditions posées par les pays de la zone euro et par le Fonds monétaire international (FMI) en échange d'un prêt de 110 milliards d'euros sur trois ans.

Baisse des salaires dans la fonction publique, suppression des primes, hausses de la TVA, diminution des retraites, « les Grecs ont perdu 45 % de leur pouvoir d'achat », estime Adedy. Plus sans doute si l'on ajoute la chasse désormais systématique à la fraude fiscale qui alimente une économie parallèle illégale, certes, mais jusqu'ici florissante. « Les Grecs qui sortaient beaucoup ne vont plus au restaurant, ils ne font plus de shopping », observe Sofia. Avant d'ajouter : « Mais c'est un peu comme pour les Jeux olympiques de 2004, ils réagissent en petits soldats disciplinés, ne bronchent pas et serrent les coudes, soucieux de donner une bonne image d'eux-mêmes. »

Jeunes radicalisés

Ainsi, deux hommes attablés à la terrasse d'une taverne glissent-ils discrètement à la patronne : « N'oublie pas de donner la note! Ce sont des étrangers... » Et Alexandra, une femme distinguée propriétaire de quatre magasins dans la capitale, a payé sans broncher 6 000 euros de « pereosie », un redressement fiscal totalement injustifié imposé à l'ensemble de la population sous prétexte que les déclarations d'impôt des années d'avant la crise sont « probablement erronées », explique la circulaire de l'administration.

« Les Grecs sont résignés parce qu'ils savent qu'ils ont trop longtemps vécu sur de l'argent facile, c'est pourquoi ils sont mécontents mais ils comprennent », juge l'armateur Nicolas Vernicos. Il n'a pas donné un centime au gouvernement quand ce dernier a fait appel aux grandes entreprises du pays « pour ne pas lui faire de chèque en blanc ». Mais il estime que « quand une décision est prise, tout le monde doit accepter d'aller dans la même direction ». « Je ne suis pas socialiste, ajoute-t-il, mais je ne suis pas d'accord avec l'opposition quand elle râle. Nous devons tous travailler dans le même sens pour que le gouvernement réussisse. »

Pour lui comme pour beaucoup de Grecs, les mobilisations syndicales sont une « soupape de sécurité contre la désespérance ». Mais nombreux sont ceux qui pensent que le pays va vers la disparition pure et simple de la classe moyenne qui a assuré pendant longtemps sa prospérité. Les syndicats eux-mêmes redoutent d'être débordés par les jeunes tentés par l'extrémisme, alors que 70 % d'entre eux ne voient pas d'avenir en Grèce

Kapeleris, l'homme qui déclenche « 300 contrôles fiscaux par jour »
Alexia Kefalas

Bureau 503, au cinquième étage d'un bâtiment blanc, planté sur une avenue du Pirée. On passe devant sans le voir, mais c'est le saint des saints de la guerre contre la fraude en Grèce. Le patron de la brigade de lutte contre le crime fiscal (SDOE), Ioannis Kapeleris, a des faux airs de Joseph Kessel. À la tête d'une brigade de 1 300 hommes, il traque les tricheurs dans le pays depuis un an. Manches retroussées sans cravate, il fume cigarette sur cigarette derrière son bureau noyé sous les papiers. Quatre téléphones fixes et deux mobiles sonnent sans arrêt.

Dans un pays où la fraude fiscale représente 30 % du produit intérieur brut (PIB), un record en Europe, Ioannis Kapeleris revendique « 300 contrôles chaque jour ». Depuis le début de l'année, il a enregistré « pas moins de 15 000 plaintes », dit-il en montrant une liasse de lettres de dénonciation, certaines écrites à la main, d'autres à la machine. Biens immobiliers, bateaux, grosses voitures, piscines, tout y passe. « On compare les modes de vie et les salaires, puis on passe à l'acte », explique-t-il.

Les déclarations d'impôts sont épluchées, les entrées et les sorties des ports sont demandées aux capitaineries, et Google Earth repère les maisons et les piscines. « Les fraudes les plus fréquentes concernent les déclarations de salaires, viennent ensuite les villas, les piscines et l'argent placé à l'étranger », poursuit le patron de la SDOE, qui travaille aussi bien avec le secrétariat général à l'information qu'avec la police locale ou Europol.

« En réalité, nous sommes un État pauvre avec des gens riches, ce n'est pas normal. Les riches sont de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres », estime cet ancien fonctionnaire du ministère des Finances qui ne mâche pas ses mots. « Trop de Grecs étaient persuadés qu'ils ne seraient jamais contrôlés. J'ai même vu une société de matériel médical transférer ses pots-de-vin directement sur le compte de l'hôpital qu'il arrosait. Elle était sûre qu'on n'irait jamais regarder. »

Paradis fiscaux

Il sait comme tout le monde que les petits magasins, les restaurants, les chauffeurs de taxi répugnent encore aujourd'hui à faire des fiches à leurs clients pour payer moins d'impôts. Mais ce ne sont pas vraiment les petites et moyennes entreprises qui l'intéressent. S'il les contrôle, il estime que « ce n'est rien par rapport aux gros contribuables. Une PME va déclarer 15 000 euros de bénéfices au lieu de 30 000 quand un grand médecin va gagner ces 30 000 euros en une journée », s'insurge-t-il.

Il sait également que son équipe n'est pas aimée quand elle débarque chez un particulier, une société, ou bloque un bateau dans un port parce que son propriétaire l'a immatriculé dans un paradis fiscal et refuse de reconnaître qu'il est à lui. Mais il pense qu'une majorité de Grecs le comprennent. « Ils nous font confiance. Les lettres et les coups de téléphone que je reçois le prouvent », affirme-t-il. Avant d'ajouter : « C'était mon pari, mais je sais qu'il y a un vrai besoin de justice sociale en Grèce. »

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