Les Echos, no. 20828 - Idées, vendredi, 17 décembre 2010, p. 15
Le risque d'une guerre des devises a été au coeur du G8 et du G20 présidés par la France au mois de novembre. Les analyses des économistes, des politologues et du FMI sont pessimistes. Les efforts récents de coordination internationale à ce sujet, lors des réunions d'automne du FMI comme à l'occasion du sommet UE-Chine, n'ont pas abouti. Pourtant, la France espère encore pouvoir éviter un affrontement à coups de dévaluations compétitives qui risquerait de déstabiliser l'économie mondiale en créant une forte volatilité sur le marché des changes. Ces espoirs sont-ils condamnés à l'échec ?
Les intérêts des uns et des autres semblent inconciliables au premier abord. Les Etats-Unis souhaitent une appréciation de la monnaie chinoise face au dollar de façon à réduire leur énorme déficit commercial et à soutenir ainsi leur croissance, au moment où la demande interne s'essouffle. Mais la Chine n'a accepté qu'une appréciation très lente de sa monnaie, qui ne satisfait pas Washington. Les autorités chinoises veulent en effet préserver un modèle fondé sur le rattrapage technologique et les exportations, qui s'est jusqu'à présent toujours montré efficace, en Europe et au Japon après la Seconde Guerre mondiale puis chez les Dragons asiatiques comme la Corée du Sud. Pour éviter des afflux de capitaux qui pourraient conduire à une surchauffe de l'économie et pour répondre à un lobby industriel puissant, Pékin se refuse à un ajustement brutal de son taux de change. Pendant ce temps, l'euro est extrêmement volatil à la fois face au dollar et face au renminbi chinois : tour à tour attaqué pendant la crise grecque, puis s'appréciant rapidement lorsque les marchés s'inquiètent de la situation économique aux Etats-Unis ou prévoient un durcissement plus rapide de la politique monétaire sur le Vieux Continent. Les pays structurellement exportateurs dont la monnaie est flexible font figure de valeur refuge : le franc suisse et le yen n'ont cessé de s'apprécier depuis plusieurs mois. Dans ce contexte, la frustration monte de toute part. Le Congrès américain menace d'adopter des mesures protectionnistes vis-à-vis de la Chine. Celle-ci répond immédiatement par une hausse des barrières tarifaires sur les importations de volailles américaines. La Chine accuse également les Etats-Unis d'affaiblir délibérément leur monnaie par une politique budgétaire et monétaire laxiste : la baisse du dollar entraîne en effet une perte de valeur pour les réserves de change chinoise. La Chine considère en outre le dollar comme un bien public, en raison de son rôle de réserve de valeur, et estime que les Etats-Unis manquent à leurs obligations vis-à-vis de leurs créanciers. La banque centrale japonaise intervient quant à elle sur le marché des changes. La zone euro se plaint de jouer le rôle de variable d'ajustement. Même le Brésil et l'Inde s'inquiètent de l'appréciation rapide de leurs monnaies.
Eviter une guerre des devises est particulièrement important pour la zone euro, qui risquerait d'être le dindon de la farce compte tenu de l'incapacité du Conseil européen de s'entendre sur une politique de change. Mais que faire ? La solution proposée depuis plusieurs années par de nombreux économistes et par le FMI est d'orchestrer une réduction des déséquilibres macroéconomiques mondiaux en permettant une appréciation graduelle des monnaies des économies émergentes -notamment asiatiques -et en stimulant leurs demandes internes. Il s'agirait ainsi de relancer l'économie mondiale tout en évitant un ralentissement de la croissance dans les économies émergentes. Mais ces propositions se heurtent à la résistance des pays asiatiques qui veulent éviter un renouvellement de la crise de 1997, qui avaient montré la limite d'une politique de change flexible dans des pays en croissance rapide où des bulles peuvent rapidement se former et exploser à la moindre panique des investisseurs étrangers.
Il existe pourtant une autre voie. Il s'agirait que les pays émergents -notamment asiatiques -dont la monnaie est essentiellement indexée sur le dollar adossent leur monnaie à un panier de devises (et non au seul dollar) et apprécient peu à peu leur monnaie vis-à-vis de ce panier. Ce panier pourrait par exemple inclure le dollar, l'euro, le yen -éventuellement la livre britannique et le franc suisse -à proportion du poids de chacune des zones monétaires correspondantes dans les échanges de ces pays. Une telle politique aurait de nombreux avantages. D'abord, elle peut être menée progressivement, ce qui facilitera l'accord politique et évitera ainsi un choc brutal sur les économies émergentes et développées. Ensuite, cette politique répondrait à la préoccupation des différents pays. Le dollar, n'étant plus la seule valeur de référence, se déprécierait peu à peu, conformément au souhait de Washington. La Chine pourrait sortir de son face à face avec les Etats-Unis et diversifier la composition de ses réserves, limitant ainsi leur perte de valeur. Un panier de monnaie serait également conforme au souhait de la Chine d'internationaliser progressivement le renminbi en vue d'en faire une monnaie de référence au niveau mondial. Le renminbi jouerait de fait un rôle pivot proche des propositions chinoises en vue d'un nouveau Bretton Woods. La zone euro et le Japon verraient également la volatilité de leurs monnaies réduite face au renminbi et au dollar, au profit de leurs industries exportatrices. En outre, la présence de l'euro et du yen dans le panier conduirait à l'investissement d'une partie des réserves asiatiques dans la zone euro et au Japon, facilitant ainsi le financement de leur endettement et la reprise. Et si la guerre des devises n'avait pas lieu ?
Jean-François Jamet est économiste, porte-parole d'EuropaNova. Il enseigne à Sciences po.
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