Marianne, no. 713-714 - Monde, samedi, 18 décembre 2010, p. 50
Depuis dix ans, la Corée du Nord vit sous perfusion chinoise et bénéfice de son soutien sans faille. La Chine a refusé de condamner l'attaque de la Corée du Nord contre son voisin du Sud. Analyse.
Dans les gradins du stade de foot de Canton, 40 000 supporters chinois déchaînés s'époumonent : " Jia Yo ! Jia Yo ! " (" Allez, Allez ! "). Ils sont venus soutenir les joueurs nord-coréens face à l'équipe japonaise. Nous sommes le 22 novembre, en pleine finale des Jeux d'Asie : l'équipe nord-coréenne s'inclinera finalement contre le Japon, par un but à la 73e minute. Avant de rendre l'antenne, le commentateur de la China Central Television (CCTV) se fend d'un commentaire sans ambiguïté : " Notre "petit frère" s'est quand même bien battu, et nous lui avons encore apporté notre soutien sans faille ! "
Le lendemain matin, l'armée de la Corée du Nord tirait 200 obus sur l'île de Yeonpyeong, en mer Jaune. Bilan : 4 morts et 18 blessés. C'était la première fois depuis la fin de la guerre de Corée, en 1953, que le régime communiste bombardait ainsi le sol de son ennemi du Sud. " Un cas de légitime défense ", explique alors Pyongyang, ulcéré par les manoeuvres militaires répétées de son voisin dans la région. En mars, la Corée du Nord avait déjà coulé une corvette du Sud, tuant une quarantaine de marins.
Mais Pékin refuse toujours de condamner la Corée du Nord et bloque même toute tentative de sanction au Conseil de sécurité de l'ONU. Un soutien sans faille ? En réalité, le gouvernement chinois apparaît très embarrassé et ne cesse d'appeler au calme et à la raison. Le numéro deux du Quai d'Orsay chinois, Dai Bingguo, se rend à Séoul puis à Pyongyang pour tenter d'apaiser les frères ennemis. Pékin essaie de reprendre la main en réclamant un retour à des négociations multipartites. En vain, devant le refus catégorique des Etats-Unis.
Drôle d'alliance que celle de ces deux régimes communistes, dont l'un s'est ouvert depuis trente ans au capitalisme le plus sauvage, alors que l'autre se fossilise dans un stalinisme de caricature, tout en cherchant à se doter de l'arme nucléaire. Plus qu'une simple relation bilatérale entre deux nations, cette alliance sino-nord-coréenne est toujours présentée officiellement comme une inébranlable " fraternité socialiste ".
" Le Parti communiste chinois et le Parti des travailleurs [de Corée du Nord] maintiennent des relations fondées sur l'égalité et l'amitié, explique dans un bel exercice de langue de bois Fang Xiuyu, chercheuse à l'université Fudan de Shanghai. Cette bonne relation est née sur le champ de bataille, où le monde entier a assisté au rayonnement d'une véritable internationale communiste militaire. " Durant la guerre de Corée (1950-53), Pékin aurait envoyé au total près de trois millions de " volontaires " combattre aux côtés des communistes du Nord, perdant plusieurs centaines de milliers d'hommes. " Depuis, les deux partis ont toujours travaillé main dans la main pour limiter la présence américaine dans la région Asie-Pacifique, parce que l'Amérique ne partage pas du tout nos valeurs ", poursuit l'universitaire.
Affaires juteuses
Symbole de cette alliance historique : on a encore vu, le 10 octobre dernier, le Chinois Zhou Yongkang, une des principales figures du comité central du PCC, passer en revue les troupes nord-coréennes pour célébrer les soixante-cinq ans de la création du Parti des travailleurs. Et, à Pékin, l'ambassade de Corée du Nord est bien plus vaste que celle des Etats-Unis !
Tout ne va pourtant pas pour le mieux. Ainsi, quand le 12 novembre, Kim Jong-il invite un grand scientifique américain, Siegfried Hecker, ancien directeur du laboratoire atomique de Los Alamos, à constater l'avancée de son programme nucléaire grâce à des milliers de centrifugeuses flambant neuves, le Grand Leader oublie de prévenir le fidèle ami chinois... Le nationalisme coréen est en effet sourcilleux ; au cours de son histoire, la péninsule a été plusieurs fois envahie et soumise par le grand voisin chinois..., avant que les Japonais prennent le relais. Et l'internationalisme communiste n'a pas empêché le fondateur du régime, Kim Il-sung, de se livrer à des purges contre ses camarades prochinois.
Depuis dix ans, pourtant, la Corée du Nord vit sous perfusion pékinoise. La Chine lui assure 90 % de ses besoins en énergie, et la frontière entre les deux pays, longue de 1 415 km, hermétique pour les réfugiés, se prête à toutes les contrebandes. A la ville frontalière de Dandong, quand le fleuve Yalou est figé par la glace, les colis en tout genre glissent d'une rive à l'autre dès la nuit tombée...
En revanche, les projets plus ambitieux de zones franches, de marchés communs capotent les uns après les autres. " Le pouvoir nord-coréen se méfie de cette pression latente vers plus de réformes économiques et freine des quatre fers dès qu'il sent qu'on s'approche du socialisme de marché à la chinoise ", avance Leonid Petrov, professeur à l'université de Sydney. Les officiels nord-coréens n'apprécient guère les hommes d'affaires pékinois " qui viennent en terrain conquis ", observe un diplomate occidental. Un document diplomatique américain, révélé par WikiLeaks, souligne ainsi les affaires juteuses que les enfants de la nomenklatura chinoise réalisent avec Pyongyang.
Transition politique
Pour Pékin, cette assistance économique est, à défaut d'être très importante - seulement 2,7 milliards de dollars d'échanges commerciaux en 2009, contre 156 milliards avec la Corée du Sud -, la seule façon d'empêcher l'effondrement du régime nord-coréen. " Si le régime s'effondre parce qu'il n'est plus capable de nourrir son peuple, alors le chaos est à nos portes, et nous ne pouvons accepter chez nous tous les criminels, les déçus du socialisme ou des officiels avec du plutonium dans leurs valises ", reconnaît l'universitaire Fang Xiuyu.
Les autorités chinoises espèrent une transition politique en douceur chez leur voisin. Elles y observent avec inquiétude la succession annoncée de Kim Jong-il, qui doit céder le pouvoir à son fils Kim Jong-un. Un " poupon " âgé d'environ 25 ans, fan présumé d'Eric Clapton, appelé à gouverner dans un contexte de crises économique, diplomatique et nucléaire ! Sur fond de lutte interne entre les vieux caciques de l'armée et du Parti...
La Corée du Sud n'a pas non plus envie de brusquer les choses : elle sait qu'un effondrement du Nord se traduirait par une réunification dans la douleur, qui viendrait briser, pour au moins une génération, sa croissance économique. L'exemple de l'Allemagne de l'Est est dans tous les esprits, et la situation est cent fois pire ! " La Chine, très réservée quant à une éventuelle réunification des deux Corées, ne souhaite surtout pas froisser celle du Sud. Ce pays est devenu pour elle un partenaire économique essentiel ", estime Leonid Petrov. Pour la Chine, les vieilles amitiés communistes au Nord comptent autant que le business avec le Sud. Autant, mais pas plus...
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