jeudi 2 décembre 2010

Pékin tente d'imposer le contrôle des prix en raison de la grogne due à l'inflation

Le Monde - Economie, vendredi, 3 décembre 2010, p. 15

Les images de la cantine saccagée du lycée numéro deux de Liupanshui ont fait le tour du Web chinois. Les lycéens de cet établissement de la province du Guizhou, dans le sud, ont brisé les vitres du réfectoire à coups de chaises, le 22 novembre, pour protester contre la hausse de 0,2 à 0,5 yuan des prix de l'eau en bouteille et des plats. Et chacun voit dans cet événement une illustration de la relation étroite qui unit coût de la vie et stabilité sociale.

L'indice des prix à la consommation a augmenté de 4,4 % sur un an au mois d'octobre, un record depuis deux ans, éloignant la Chine de son objectif d'inflation inférieure à 3 % en 2010. Les prix des produits alimentaires ont augmenté de 10,1 % sur la même période et ceux de dix-huit légumes ont progressé de 62 % sur un an début novembre. Quant au cordyceps, un champignon rare utilisé en médecine traditionnelle chinoise, il se vend désormais à 400 yuans (45,6 euros) par gramme dans les pharmacies de Shanghaï, dépassant ainsi symboliquement le cours de l'or.

Conscient de l'enjeu politique, le gouvernement est parti en guerre contre les prix forts en annonçant, le 17 novembre, une politique de contrôle des prix. Le détail des mesures se précise depuis. A Shijiazhuang par exemple, capitale du Hebei, proche de Pékin, 10 millions de yuans sont investis dans l'expansion des surfaces cultivées, selon la Commission nationale pour la réforme et le développement. Les péages de l'ensemble du pays ont désormais l'obligation de laisser passer gratuitement les camions transportant des produits alimentaires. La ville de Pékin a promis de donner ponctuellement 100 yuans à chacun de ses 223 000 travailleurs pauvres. Leçon de l'affaire de Liupanshi, la capitale a également interdit aux lycées d'augmenter les prix des repas dans les cantines, s'engageant à couvrir les pertes si nécessaire.

Le gouvernement central s'en est de nouveau pris, lundi 29 novembre, à l'ennemi public numéro un : le spéculateur, accusé d'être la source des maux qui frappent le consommateur, et qui s'exposera à des peines renforcées en cas de " manipulation des prix, de collusion, d'accumulation malicieuse et de propagation d'informations erronées ".

L'organe central de planification économique se félicite déjà d'une première victoire dans sa stratégie " d'endiguement " de l'ennemi. Les prix des dix-huit légumes dont la hausse spectaculaire au cours des douze derniers mois fait tant parler ont chuté de 5,9 % en une semaine, fin novembre, et de 9,1 % sur l'ensemble du mois.

Mais les économistes s'interrogent sur l'efficacité à terme de mesures administratives, fondées sur le postulat de l'adoucissement naturel des prix à court terme. " Le risque inhérent au contrôle des prix est qu'ils aient augmenté du fait d'un choc sur la demande mais qu'ils restent élevés pour longtemps. Auquel cas, ils renforcent le problème ", relève Ben Simpfendorfer, chef économiste de la Royal Bank of Scotland à Hongkong.

" Détourner l'attention "

La solution durable est inévitablement un durcissement de la politique monétaire chinoise explique Andy Xie, ancien chef économiste de Morgan Stanley en Asie devenu commentateur indépendant. Le loyer de l'argent est resté faible depuis le début de la crise mondiale pour soutenir l'activité économique.

Une petite augmentation a fait passer en octobre le principal taux directeur, la rémunération des dépôts, de 2,25 % à 2,50 % sur un an. Il faudrait se résoudre à l'augmenter de 3 % pour qu'il remonte au-dessus du taux d'inflation, estime M. Xie.

La focalisation sur les spéculateurs ? " Propagande !, lâche l'économiste. Le pouvoir tente de détourner l'attention sur un maillon de la chaîne alors que la masse monétaire a augmenté de 70 % en trois ans ! "

Mais, relève M. Xie, reconnaître que cette politique de l'argent à bas prix est la cause du fardeau du coût de la vie qui pèse sur le peuple reviendrait à reconnaître au passage la responsabilité du pouvoir dans ce malaise.

Harold Thibault

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