vendredi 3 décembre 2010

PORTRAIT - Nicolas Bedos, les vérités d'un "mythomane" - Elodie Emery


Marianne, no. 711 - Culture, samedi, 4 décembre 2010, p. 82

Bon sang ne saurait mentir : quelques mois ont suffi au fils de Guy pour devenir le nouvel humoriste à scandale du PAF. Il est vrai que cet enfant de la balle possédait déjà un solide acquis d'auteur au théâtre.

Si l'on en croit le portrait qu'il brosse de lui-même sur le plateau de l'émission "Semaine critique" de Franz-Olivier Giesbert tous les vendredis soir sur France 2, Nicolas Bedos est une véritable ordure : un Parisien vénal et fêtard qui "offense le Seigneur chaque nuit" en compagnie de prostituées slovaques louées sur e-Bay, un mufle égocentrique qui, "pour faire prolo", accepte occasionnellement de froisser son costume Prada ou de couper sa cocaïne à la farine Leader Price.

Il voudrait être détesté qu'il ne s'y prendrait pas autrement ; c'est du reste ce qui est arrivé après sa chronique du 5 novembre dans laquelle, à propos de la sortie de Elle s'appelait Sarah, il critiquait vertement les mauvais films "utilisant jusqu'à la lie le souvenir de la Shoah". Lettres d'insultes à foison, saisine du CSA par le Bureau national de vigilance contre l'antisémitisme (BNVCA), voilà Nicolas Bedos exposé sur la scène médiatique dans un rôle qu'il n'attendait pas, et avec une violence à laquelle le petit monde feutré du théâtre ne l'avait pas préparé. Car Nicolas Bedos existait bien avant de devenir le nouvel humoriste à scandale du PAF, perçu comme le digne héritier d'un Stéphane Guillon ou (au hasard) d'un Guy Bedos.

Un surdoué

"Fils de", Nicolas Bedos a choisi de revendiquer son patronyme, poussant l'audace jusqu'à faire jouer son père dans sa première pièce, Sortie de scène ; il récolte deux nominations aux Molières. Depuis, il enchaîne les succès : Eva en 2007 avec Niels Arestrup, le Voyage de Victor, avec Macha Méril et Guy Bedos à nouveau, et enfin Promenade de santé en 2010, avec Mélanie Laurent. Alors que commence le tournage du film qu'il a écrit pour la télévision et qui réunira notamment Jeanne Moreau et Jean-Pierre Marielle, Nicolas Bedos boucle une nouvelle pièce pour Catherine Frot et travaille déjà sur un projet de film produit par la société d'Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri. A 30 ans seulement, ce surdoué qui "ne supporte pas les soupçons de piston perpétuels" a devancé toutes les attaques potentielles en gagnant légitimement ses galons d'auteur et de metteur en scène de théâtre.

Pourtant, si Nicolas Bedos est aujourd'hui l'objet de toutes les attentions, ce n'est pas grâce à ses pièces, toutes populaires qu'elles aient pu être. C'est parce que, depuis le mois de septembre, il s'acquitte d'une tâche qui tient de la gageure : dérider des invités tels que Jean d'Ormesson, Laurent Fabius ou Dominique de Villepin venus débattre le plus sérieusement du monde sur le plateau un tantinet lugubre de la nouvelle émission culturelle de France 2. Une mission qui a fait de lui, en l'espace de quelques semaines, le "phénomène" provocateur dont tout le monde parle.

Pourquoi diable est-il allé se frotter à cet exercice que maîtrisait si bien son père, lui qui avait jusqu'ici brillamment réussi à échapper à toute comparaison ? "Je me considère comme un auteur avant tout, explique-t-il en enchaînant les cigarettes. Mais j'ai toujours eu du goût pour l'ironie, j'étais un peu un cabot frustré. Après avoir connu un certain succès avec mes pièces, je me suis senti plus autorisé à montrer cet autre aspect de moi."

Car à l'origine, "La semaine mythomane" de Nicolas Bedos n'était rien d'autre qu'un délire entre amis, orchestré par Alexis Trégarot sur Ouï FM. Franz-Olivier Giesbert, identifiant de suite le potentiel que représente l'animal au ton franchement décalé pour son émission, propose à Bedos de faire la même chose sur son plateau. "J'avais pris un goût putassier pour la promotion, les plateaux, le maquillage, les éclairages, admet Bedos. Mais j'avais un peu surestimé ma notoriété ; je ne pensais pas qu'autant de gens me découvriraient avec cette émission." Sauf que le théâtre ne peut pas rivaliser avec le million de "vues" qu'atteignent certaines des vidéos de "La semaine mythomane" sur Internet. Et, inévitablement, chacun s'est imaginé que Nicolas reprenait le flambeau de Guy en allant jouer les blagueurs impertinents.

Doute systématique

Nicolas Bedos sait que sa ressemblance physique avec son père ne laisse aucune ambiguïté sur sa filiation. Mais la comparaison s'arrête là ; car non seulement il n'est pas pistonné (Guy Bedos est fâché de longue date avec Franz-Olivier Giesbert), mais en plus il s'attelle à la plus méticuleuse déconstruction de ce que représentait son père, ce "comique d'extrême gauche" à qui il voue par ailleurs la plus grande admiration. "Je ne sais pas ce que je pense, mes convictions sont beaucoup moins transparentes que les siennes." Et, en effet, le personnage "autofictionnel" qu'il a construit au fil de ses chroniques, d'une "prudence politique qui frise la couardise intellectuelle", est à l'opposé des combats et des indignations du père. Quand il annonce ironiquement qu'il se sent "l'âme de Jean Jaurès dans le corps de Brad Pitt", on sent bien qu'il délaisse volontiers le terrain des comiques engagés, préférant qu'on le considère comme un "pseudo-bellâtre" cultivé et arrogant qui écrit des textes inspirés de son "misérable nombril".

Nicolas Bedos serait-il donc un énième jeune comique égocentrique, affligé de surcroît d'une tendance à sourire de ses propres bons mots, tic agaçant dont on pensait que Patrick Timsit avait l'exclusivité ? Sa chronique n'est pas "mythomane" pour rien, et le téléspectateur attentif n'est pas dupe.

Certes, l'homme habite dans un "appartement bobo du IIIe arrondissement", mais pour le reste... Agréable et modeste, Nicolas Bedos a été effaré du déferlement d'accusations d'antisémitisme dont il a été victime. S'il se défend d'être un homme "de convictions", il reste néanmoins quelques sujets qui l'offusquent de manière sincère, et qui viennent, de fait, nourrir ses chroniques. L'indécence d'une certaine gauche en est un, l'arrogance de la police et le communautarisme en sont d'autres. Mais on sent que ce qui le gêne par-dessus tout, ce sont ceux qui, ancrés dans leurs certitudes, ont abandonné toute forme de recul ou d'autodérision.

Si Nicolas Bedos a une politique, ce serait la pratique du doute systématique, qui le met à l'abri, sinon de l'angoisse, au moins de toute forme de fermeture d'esprit. En réponse à la levée de boucliers qui voulait le placer parmi les dangereux idéologues, il annonçait dans sa chronique du 12 novembre : "Je fais la promesse solennelle de rejoindre le troupeau de lâches qui n'ouvrent leur gueule qu'en petit comité." On espère vraiment qu'il ne la tiendra pas.

Les inconditionnels de Nicolas Bedos le retrouvent sur son blog, "Cahier du soir" http://nicolasbedos.blogspot.com/. Il y publie des extraits de son théâtre mais aussi ses chroniques de l'Officiel de la mode ("Comment j'ai tué Benjamin Biolay", "Comment j'ai tué George Clooney", etc.).

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