mardi 21 décembre 2010

Régulation financière mondiale : harmoniser ou coordonner ?

Les Echos, no. 20830 - Idées, mardi, 21 décembre 2010, p. 21

Communiqué après communiqué, les dirigeants du G20 dessinent les traits d'une régulation financière mondiale fidèle à leur engagement de 2008, selon lequel « tous les marchés, tous les acteurs et tous les pays doivent être régulés ». Le G20 s'est ainsi engagé à mettre en place des normes comptables convergentes, à refondre le contrôle des banques et des agences de notation, à surveiller les institutions financières systémiques, à réguler les marchés de gré à gré et la rémunération des opérateurs de marché. Il s'apprête, en 2011, à la demande de la France, à étendre son exigence de régulation aux marchés dérivés de produits de base.

Son impulsion a incontestablement permis des avancées importantes, comme l'illustre Bâle III. Mais l'objectif de mettre en place une régulation mondiale unique est-il véritablement réaliste ? On voit bien dans les faits que les préoccupations nationales dominent. Ainsi, les exhortations à la convergence des normes comptables entre l'Europe (IFRS) et les Etats-Unis (US GAAP) sont devenues risibles, tant il est clair que les autorités en charge (l'IASB et le FASB) se flattent à toute occasion de ne recevoir aucune instruction du G20 et n'ont aucunement l'intention de converger.

Le temps est venu de se demander non seulement si la convergence totale des régulations financières est possible, mais aussi si elle est souhaitable. Il ne s'agit pas ici de discuter du bien-fondé des objectifs de coordination au niveau mondial -nous les soutenons pour la plupart -mais de leur appliquer l'intraitable filtre du principe de réalité. La question n'est pas facile. Des arguments sérieux plaident en faveur de la définition de normes uniques mondiales. En première place vient l'interconnexion des marchés : dans un monde où les grandes institutions financières ont un pied dans chaque pays, où des crédits sont octroyés à Bombay, transformés à New York et vendus à Paris, des règles nationales différentes sont facteur de coût et d'incertitude juridique. Un second argument, qui découle du premier, est celui de l'arbitrage réglementaire : la tentation est grande pour les acteurs économiques de se localiser dans les pays les moins exigeants, et cette pression pousse à son tour les régulateurs à se convertir à la régulation a minima. Or la crise irlandaise illustre bien les risques de cette approche dans le domaine fiscal. Un troisième argument est le risque systémique : un corpus de règles communes serait indispensable pour voir venir les « cygnes noirs » dans un système financier complexe et interconnecté. On pourrait imaginer un règlement de copropriété de la finance mondiale. Mais aucun règlement de ce type ne prescrit aux habitants comment ils doivent vivre chez eux ou aux parents comment ils doivent élever leurs enfants. Il doit juste permettre à la copropriété de réagir lorsque les enfants mettent le désordre dans les parties communes ou lorsqu'un occupant refuse de payer sa part des charges. Bref, il faudrait définir pour la finance mondiale des règles de bon voisinage et un syndic (dans notre cas le FMI).

La principale difficulté, c'est qu'au sein même du G20 les systèmes financiers et les finances publiques restent très différents : qu'il s'agisse des institutions financières ou de leurs modes de financement. Plus fondamentalement, les habitudes de consommation, les horizons de placement, l'aversion au risque des ménages et leur demande de protection diffèrent selon les pays et évoluent de façon asynchrone. Quelles que soient les règles communes, ce sont les régulateurs nationaux qui devront se les approprier, les appliquer et les faire vivre avec des marges d'appréciation qui seront importantes.

Dès lors, il paraît indispensable de s'entendre sur la philosophie des réformes et de veiller à leur cohérence, en particulier pour les grandes institutions transfrontières, pour lesquelles la proposition d'établir des « collèges de superviseurs » est plus que jamais nécessaire. Il faut aussi des principes coordonnés pour organiser la faillite des grandes banques internationales et en partager le coût. Mais le G20 perdrait son temps à vouloir trop uniformiser les règles de chaque pays et à rentrer dans trop de détails. Même si certains d'entre eux peuvent avoir leur importance pour le système dans son ensemble. Il paraît clair, par exemple, que des mesures communes précises sur les fonds propres et sur la mesure des risques des banques relèvent d'une dimension systémique : Lehman, AIG, mais aussi Northern Rock, Fortis et les banques irlandaises le montrent.

Les mêmes questions se posent pour la coordination monétaire mondiale. Est-elle possible aujourd'hui, compte tenu du poids des intérêts nationaux ? Ne vaut-il pas mieux se fixer des objectifs moins ambitieux mais réalistes afin de faciliter la convergence : des coopérations monétaires régionales, une meilleure connaissance des ressorts fondamentaux des écarts de change et de leur volatilité à court terme ? Ne serait-ce pas là le véritable défi lancé à la présidence française du G20 : concilier ambition et réalisme en matière de régulation financière mondiale ? Pour finir sur une note optimiste, référons-nous à Pline : « Combien il est de choses qu'on juge impossibles, jusqu'au jour où elles sont réalisées. »

Diogène est un collectif d'économistes.

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