L'appétit du géant asiatique pour les matières premières africaines inquiète les Etats-Unis. Mais le forcing de Pékin rencontre parfois des obstacles.
Au cours des cinq dernières années, Washington a pris conscience que l'envergure de la politique africaine du gouvernement chinois, destinée notamment à garantir l'accès aux ressources du continent noir, est devenue une menace pour ses propres intérêts. Rien d'étonnant que les diplomates américains suivent avec attention certains dossiers liés à la présence chinoise en Afrique, et tentent de voir plus clair dans la politique de Pékin, même lorsqu'il s'agit d'une affaire de corruption.
Le Kenya en fournit un exemple. L'ambassade américaine décortique, selon les télégrammes diplomatiques obtenus par WikiLeaks et révélés par Le Monde, un cas de pot-de-vin versé lors d'une attribution de marché de la compagnie de téléphone Telkom Kenya à une entreprise chinoise, Zhongxing Telecommunications Equipment Company (ZTE) - dont les produits envahissent l'Afrique - dans le cadre d'un marché d'équipement des services de renseignement, le NSIS.
Pour les diplomates, l'attribution du marché repose sur un « pot-de-vin », qui a « conduit Telkom à attribuer ce marché [à ZTE] après y avoir été contrainte » par le directeur général du NSIS, Michael Gichangi, et le directeur de la division des opérations, Joseph Kamau. « La préférence de Gichangi pour ZTE est basée sur une commission reçue au cours d'un voyage en Chine. Kamau a reçu des paiements mensuels de 5 000 dollars [3 800 euros] de ZTE, utilisés pour payer des factures médicales. »
« Plus important partenaire »
Puis l'auteur du télégramme passe à d'autres aspects de la présence chinoise, notamment le fait que le pays est « submergé » par de la « contrefaçon chinoise » qui concurrence des produits américains, tandis que des masses de travailleurs chinois arrivent au Kenya et menacent l'emploi dans le pays.
Au Nigeria, les ambitions de la Chine intéressent et inquiètent beaucoup plus. Le pays est le premier fournisseur africain de pétrole de la Chine, et pour Pékin, il s'agit d'y « sécuriser » la continuité de ses approvisionnements pétroliers. Pour cela, tous les moyens sont bons, selon les diplomates américains, qui voient avec effarement qu'en 2004 la Chine « a promis de financer le creusement de près de 600 puits » au Nigeria, tandis que les Etats-Unis n'en « finançaient que 50 ».
L'auteur du télégramme relève qu'à une réception à l'ambassade de Chine un ministre nigérian a qualifié le pays de ses hôtes de « plus important partenaire de l'Afrique ».
De même, les diplomates américains scrutent les activités de la Chine en Angola, riche de ses ressources pétrolières et minières. L'Angola est le premier pays d'Afrique où Pékin a mis en oeuvre une formule associant des déboursements de gros montants (des milliards de dollars) à des travaux de grande ampleur dans les infrastructures et des remboursements garantis par des livraisons de matières premières. Un télégramme décrit comment, après la fin de la guerre civile qui avait dévasté le pays, « en l'absence de bailleurs de fonds occidentaux pour l'aider à financer sa reconstruction, l'Angola s'est tourné vers les Chinois ».
Le financement chinois s'est matérialisé par une ligne de crédit de 4 milliards de dollars auprès de la Eximbank chinoise, garantie sur du pétrole. Ce n'est qu'une première étape. Des « rapports non confirmés font état d'une ligne de crédit supplémentaire de 4 à 6 milliards de dollars », s'inquiète l'auteur d'un télégramme, qui relève cependant quelques difficultés : ce second afflux de milliards doit être financé par un fonds d'investissement basé à Hongkong, le China Investment Fund (CIF), une structure opaque. Dans un premier temps, l'ambassade « doute que [ce projet] attire suffisamment d'investisseurs chinois dans le secteur des infrastructures ».
Peu à peu se dessine une série de ratés dans la machine des financements de Pékin. « Le rythme endiablé des engagements chinois en Angola s'est considérablement ralenti en 2009 quand la crise financière globale a taillé dans les revenus du pétrole et des diamants angolais, entraînant des réductions des dépenses du gouvernement angolais. Selon l'ambassadeur chinois à Luanda, la Chine a été obligée de rapatrier plus de 25 000 travailleurs(...)faute d'argent du gouvernement angolais pour les payer. »
Est-ce en raison de ces difficultés que les relations entre diplomates chinois et américains à Luanda semblent s'améliorer au fil du temps ? En 2008, les deux ambassadeurs tentent d'identifier des projets communs, bien qu'un peu limités dans leurs efforts par le fait que le Chinois « ne parle ni portugais ni anglais, et juste un peu d'espagnol ».
Projets de coopération
L'année suivante, les relations diplomatiques sino-américaines en Angola continuent de se réchauffer. En janvier, un responsable de l'ambassade chinoise fait part de ses doutes au sujet d'une nouvelle tranche de financements chinois. Le « nombre à un chiffre de milliards [de dollars] » susceptibles d'être déboursés ne sera plus garanti sur des livraisons de pétrole mais nécessitera un engagement direct du gouvernement angolais. Continuer à garantir des prêts sur des livraisons de brut « serait trop humiliant pour l'Angola », estime-t-il.
Lors d'une visite récente en Chine, le président angolais, Eduardo Dos Santos, a fait part des besoins courants de son pays en matière de financements chinois : « 12 milliards supplémentaires ». Le diplomate chinois estime que son pays ne pourra pas faire face aux « besoins de l'Angola ».
Au final, pourquoi la Chine et les Etats-Unis ne s'associeraient-ils pas dans des projets de coopération en Angola ? On envisage de chercher des pistes dans les secteurs de l'agriculture ou la santé. « Il est important que les Angolais et d'autres observateurs de l'Afrique puissent voir comment nos deux pays peuvent coopérer dans le cadre d'une vision pour un Angola meilleur », conclut diplomatiquement l'auteur du télégramme.
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