Vieillissement démographique, crise économique, essor de la Chine et conflits de voisinage : l'Archipel, malgré ses efforts pour rebondir, est plus que jamais rongé par le doute.
Bienvenue au pays du Soleil-Couchant! Dans les médias, parmi les politiciens et les universitaires nippons, un débat se poursuit que personne, il y a quelques années encore, n'aurait pris au sérieux : le déclin du Japon. En librairie, les livres à succès ne se comptent plus pour analyser le naufrage du « modèle » japonais. Économie, démographie, sociologie, géopolitique : l'autoflagellation nipponne touche tous les domaines. De fait, le Japon entame sa troisième décennie de crise ininterrompue depuis l'éclatement de la « bulle », à la fin des années 1980. L'an dernier, la Chine devenait la deuxième puissance économique mondiale tandis que s'ouvrait l'Exposition universelle de Shanghaï : un double choc symbolique qui renvoyait le Japon relevé des ruines de Hiroshima à son miracle d'antan, lorsque sa richesse talonnait celle des États-Unis. C'était en 1967. Trois ans plus tard, en 1970, l'Expo d'Osaka fascinait le monde. Que reste-t-il aujourd'hui de ces exploits? Alors que les pays émergents et leurs performances accaparent l'attention, c'est comme si le Japon sortait du champ de l'actualité. La part de ce pays dans l'économie mondiale, qui représentait 14 % en 1990, chutera à 4 % en 2030 et à 2 % en 2050. Des plans de relance à répétition ne l'ont pas sorti de l'ornière. La dernière récession économique, qui a frappé de façon particulièrement sévère le pays, a encore aggravé le problème. Dernier coup dur en date : l'agence de notation financière Standard & Poor's a abaissé d'un cran, jeudi, la note de la dette à long terme du Japon, à AA-, en raison de son endettement colossal : 200 % du PIB, un record dans le peloton des pays développés.
Le vernis du masque s'est écaillé
« 2010 restera comme une année pendant laquelle le fossé s'est élargi entre les changements historiques intervenant dans la société globale et un Japon tourné vers lui-même », souligne Naoaki Okabe, éditorialiste de l'hebdomadaire Nikkei Weekly. Pour qui débarque à Tokyo, les stigmates de la crise sont peu apparents, occultés par les opulentes vitrines de certains quartiers de la capitale, la surface lisse des rites sociaux et les gants blancs des chauffeurs de taxi. Mais le vernis du masque s'est depuis longtemps écaillé. Et les conséquences de la spirale déflationniste sont profondes, notamment une tendance au repli sur soi. Avec la hausse du chômage (5,1 % officiellement) et des opportunités professionnelles plus limitées, les étudiants issus des grandes universités ont tendance à chercher un emploi sur place plutôt que de poursuivre leurs études à l'étranger. Depuis 1997, le nombre d'étudiants japonais dans les universités américaines a été divisé par deux, alors que celui des étudiants chinois était multiplié par trois...
Dans les entreprises, on parle d'un « plafond de verre » limitant l'essor de celles qui cherchent à se mondialiser davantage. La relocalisation au Japon d'entreprises installées en Asie du Sud-Est se développe. Les candidats à l'expatriation sont moins nombreux, ces postes étant jugés plus exposés en cas de réduction d'effectifs. Crise oblige, les touristes japonais sont, eux aussi, plus réticents à voyager hors du pays. Certes, dès 1999, le gouvernement s'est engagé à favoriser l'intégration des étrangers dans les entreprises, mais l'initiative est restée lettre morte. En part mondiale, les investissements étrangers n'ont pas progressé depuis un quart de siècle : 4 % du PIB, contre 10 % en Corée du Sud et 18 % aux États-Unis. D'où cette inquiétude : le pays ne va-t-il pas perdre du terrain dans des secteurs clés comme les biotechnologies et les technologies de l'environnement? « On est loin de l'euphorie des années 1980, quand le Japon devait conquérir le monde », souligne Valérie Niquet, de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS). Bien sûr, il faut relativiser. L'Europe, la France notamment, connaît elle aussi ce débat sur le « déclinisme ». Et l'Archipel garde une puissance économique et des atouts considérables, notamment « de grandes réserves de changes, un système financier relativement fort et une économie diversifiée », pointe Standard & Poor's.
Le défi n'en est pas moins énorme. Les crises économique et démographique cumulent leurs effets. Les entreprises sont contraintes d'augmenter leur productivité dans un contexte où l'offre de main-d'oeuvre décroît spectaculairement. Entre 1996 et 2006, le Japon a supprimé 3,7 millions d'emplois. La population active décroît depuis 2001 et passera de 67 millions à 63 millions en 2025, selon l'Insee nipponne. La démographie japonaise offre un paysage sinistré : la population, 128 millions de personnes en 2004, devrait se réduire de plus de 30 millions d'ici à 2050. À cette date, les décès seront 2,4 fois plus élevés que les naissances. Le vieillissement va encore augmenter à cause de l'allongement de la durée de la vie, déjà la plus élevée au monde (86 ans pour les femmes, 79 pour les hommes), et de la très basse fécondité (1,3 enfant en moyenne par femme). Là encore, il convient de relativiser. « Le Japon a montré sa capacité de réaction en développant une floraison de services et d'aides aux personnes de grand âge », tempère ainsi Valérie Niquet.
« Il y a un sentiment de déclin inéluctable qui est accepté comme une réalité inévitable, un peu comme le mauvais temps ou, précisément, comme le vieillissement », relève Robert Dujarric, directeur de l'institut d'études sur l'Asie contemporaine (Icas) à Tokyo. Il y a aussi ce fatalisme lié à la légende du dragon sur le dos duquel le pays serait construit : en remuant, l'animal peut à tout moment provoquer un séisme... Pourquoi pas, alors, une catastrophe économique? Face à la crise, les Japonais ont réagi en faisant des économies et en renouant avec la frugalité. Après la débauche des enseignes à la mode, la tendance est aux produits sans marque, plus « économiquement corrects ». Les sacs et les accessoires discrets sont tendance, davantage que le bling-bling qui a longtemps tenu le haut du pavé dans les quartiers branchés de Tokyo.
L'ombre portée d'une Chine en plein essor pèse aussi sur le moral des Japonais. Un paradoxe, car la croissance nipponne (2,9 % en 2010) reste tirée par celle de la Chine. Les exportations chinoises en haute technologie proviennent ainsi, à hauteur de 80 %, d'entreprises japonaises ou taïwanaises installées sur le continent. Voyez le cas de Laox. En 2009, un conglomérat chinois prend le contrôle de ce grand magasin d'électroménager et d'informatique très connu implanté à Akihabara, un quartier à l'est de Tokyo. Fin 2010, Laox fait son apparition sur Ginza, les Champs-Élysées de la capitale. Il s'agit de séduire les touristes chinois de plus en plus nombreux. Problème : au même moment survient la crise diplomatique déclenchée, début septembre, par l'éperonnage de garde-côtes japonais par un chalutier chinois au large des Senkaku, des îles en mer de Chine orientale revendiquées par Pékin. Les touristes du continent boudent subitement l'Archipel, obligeant Laox à revoir sa stratégie commerciale.
Le désaccord persiste sur les Senkaku
Le Japon désigne désormais explicitement son voisin comme une « menace » pour sa sécurité. « Nous ne pouvons nous empêcher d'être inquiets », vient encore de déclarer le premier ministre, Naoto Kan, en évoquant l'accroissement des dépenses militaires chinoises et leur opacité. Les relations à haut niveau, interrompues à l'automne dernier ont repris. Mais le désaccord persiste sur les Senkaku. En réaction, Tokyo a décidé de renforcer d'ici à 2020 ses capacités de défense dans les îles du sud de l'Archipel. Et aussi de resserrer les rangs avec le protecteur américain.
En 2009, l'arrivée au pouvoir du Parti démocrate japonais (PDJ) a pu laisser entrevoir une prise de distance avec les États-Unis. Cela n'a pas été le cas. En même temps, « la main tendue à Pékin par le PDJ, comme par Barack Obama, a été perçue comme un signe de faiblesse par la Chine, qui a poussé ses pions, ce qui a laissé beaucoup d'amertume au Japon », analyse Valérie Niquet. « Pour le Japon, la Chine est une priorité. Pour les États-Unis, la priorité c'est la sécurité. Ces deux dimensions ne sont pas incompatibles », souligne Guibourg Delamotte, maître de conférences à Langues O et auteur de La Politique de défense du Japon (PUF). Faute d'alternative, le Japon campe sous le « parapluie » américain.
Ce pays serait-il donc « fini »? « Non, bien sûr, s'insurge Yoichi Funabashi, rédacteur en chef au quotidien Asahi Shimbun, nous n'avons tout simplement pas encore trouvé son rôle, à cause notamment de l'absence d'une impulsion politique forte. » Sous pression de l'opposition conservatrice, le gouvernement de Naoto Kan reste fragile. Et sa marge de manoeuvre étroite pour lancer les chantiers susceptibles d'améliorer les finances de l'État (réforme fiscale, du système de sécurité sociale, de la taxe sur la consommation...). Pour le journaliste du Nikkei Weekly, le rebond, l'introuvable rebond du Japon, ne viendra que d'une plus grande ouverture sur le monde. S'il veut revenir sur le devant de la scène, le pays devra miser sur des initiatives pour lesquelles il est déjà en pointe : la non-prolifération, face notamment à la Corée du Nord, ou encore la défense de l'environnement, dont Tokyo est déjà un des leaders mondiaux. « C'est à ce prix que nous pourrons tourner la page des décennies perdues », écrit l'éditorialiste.
Par Alain Barluet Envoyé spécial à Tokyo
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