jeudi 20 janvier 2011

ANALYSE - Pourquoi il faut crever la bulle - Xie Guozhong

Courrier international, no. 1055 - Economie, jeudi, 20 janvier 2011, p. 40

L'inflation en Chine trouve son origine dans la rapide expansion de la masse monétaire de ces dix dernières années, qui a servi à financer le gigantesque marché de l'immobilier. Avec pour conséquence une augmentation continue des recettes pour les administrations locales [grâce à la vente de terrains], qui alimente leurs dépenses colossales. On risque donc d'assister à une perte de contrôle de l'inflation si l'on ne prend pas de mesures pour limiter ces dépenses-là.

Le gouvernement reconnaît que l'inflation est le plus grand défi auquel il se trouve confronté. Il a relevé les taux d'intérêt et a procédé à plusieurs hausses du taux des réserves obligatoires des banques [l'argent qu'elles doivent déposer auprès de la banque centrale lorsqu'elles accordent des prêts]. Il a également indiqué son intention d'introduire un contrôle des prix. Si la Chine sort les grands moyens en prenant des mesures extraordinaires, c'est parce qu'elle pense que son économie diffère de celle des autres pays et que des méthodes classiques comme la hausse des taux d'intérêt risquent de ne pas avoir d'effet. La Chine ne veut pas changer la valeur de sa monnaie [jugée sous-évaluée par les pays occidentaux], mais consent à ajuster les prix de ses biens et services. Cette démarche ne s'est toutefois pas révélée fructueuse à ce jour.

En Chine, beaucoup de gens pensent qu'il faut contrôler la masse monétaire et non les prix. La masse monétaire et les prix constituent les deux faces d'une même pièce. Si les mesures prises pour contrôler la masse monétaire sont efficaces, elles peuvent entraîner une forte baisse de l'inflation. Tout gouvernement fort peut, en limitant le crédit, réduire les prix des biens et services, et donc faire jouer un rôle à sa politique monétaire. C'est précisément ce que fait la Chine.

Cette politique n'a pour l'instant qu'un très faible impact. L'an dernier, le gouvernement avait déjà pris des mesures de restriction du crédit, mais un élargissement du crédit échappant au système a contrecarré ses plans. Ainsi, les banques ont la possibilité de vendre de la dette d'entreprise à leurs clients, ce qui leur permet d'améliorer leur bilan pour atteindre les objectifs gouvernementaux. De ce fait, elles n'ont en réalité rien changé. Ces derniers temps, ces mesures ont été attaquées pour leur faiblesse, et la population se montre sceptique quant à la volonté sincère du gouvernement de combattre l'inflation. De telles opinions risquent de déclencher une panique généralisée poussant les ménages à se ruer sur le riz et l'huile pour faire des réserves. Si les gens n'ont plus d'argent, une crise générale risque de se produire.

J'ai toujours été partisan d'une hausse des taux d'intérêt, mais cela ne permet pas de résoudre le problème de l'inflation. Un relèvement des taux vise à compenser pour les épargnants une éventuelle perte de valeur de leurs richesses [le rendement de l'épargne est actuellement négatif]. Il peut donc prévenir l'éclatement de troubles dans la société. Cependant, pour combattre l'inflation, il faut absolument résoudre la question des dépenses publiques, qu'il faut comprimer sous peine de voir les prix continuer à grimper.

Il existe deux moyens pour limiter les dépenses des autorités locales. Premièrement, réduire leurs sources de revenus, qui consistent essentiellement en cessions de terrains, en taxes sur les biens immobiliers et en prêts bancaires. Cette dernière source est en train de s'assécher un peu car les banques, qui assument déjà la charge de nombreux emprunts gouvernementaux, s'efforcent de restreindre leurs prêts. Mais, pour l'instant, ce changement n'émeut pas les autorités locales car elles n'ont pas encore épuisé leurs lignes de crédit.

En revanche, le dégonflement de la bulle immobilière aurait des répercussions beaucoup plus importantes sur leurs finances. L'an dernier, le chiffre d'affaires des nouvelles opérations immobilières a représenté 14 % du PIB, une manne qui est venue grossir les réserves des pouvoirs publics. Compte tenu de l'essor rapide du marché immobilier, les autorités locales misent beaucoup sur ces fonds.

Les réserves foncières dont disposent les promoteurs et les autorités locales pourraient permettre la construction de logements encore plus onéreux. Même s'ils les vendaient au tarif actuel, le besoin en masse monétaire augmenterait ou tout du moins conserverait son rythme de croissance annuel de 20 % des huit dernières années, qui correspond à un doublement de la masse monétaire tous les quatre ans. Un dérapage de l'inflation serait alors inévitable. Si l'on restreint la masse monétaire au sens général, tout en laissant le crédit se développer par d'autres canaux, on ne fera que jouer sur les chiffres. Cela ne changera rien à la réalité. L'inflation continuera de grimper, malgré les déclarations du gouvernement sur son ralentissement.

Seule une chute des prix immobiliers pourrait nous convaincre de la volonté sincère du gouvernement de s'attaquer à l'inflation [ces prix ont augmenté en décembre 2010 de 6 à 10 %]. Leur niveau détermine le montant des dépenses des autorités locales. Il faut donc d'abord faire éclater la bulle spéculative immobilière, car, si la flambée des prix se poursuit, la lutte contre l'inflation sera purement formelle.

La solution consisterait-elle à trancher dans le budget alloué aux administrations locales ? Je n'en suis pas convaincu. En Chine, les autorités locales sont très puissantes, ce qui leur permet de peser sur les politiques nationales et de trouver d'autres moyens d'accroître leurs rentrées d'argent. Sans réforme des administrations locales, la résolution du problème de l'inflation restera donc dans l'impasse.

La Chine est un grand pays brillant, très courtisé par les multinationales et qui bénéficie de nombreux atouts dans le monde d'aujourd'hui. Elle ne peut con­naître la crise que si elle commet elle-même de grosses fautes. La Chine a un gouvernement puissant. Les ménages et entreprises vivent à l'ombre de ce pouvoir. Seule une panne du régime pourrait déboucher sur une crise qui freinerait la croissance du pays.

Le risque d'un dérapage des dépenses publiques est bien réel. L'année 2011 fournit à la Chine l'occasion rêvée de résoudre ce problème. Si elle laisse passer cette occasion comme elle l'a fait par le passé et choisit de laisser encore la bulle immobilière gonfler, l'atterrissage pour son économie risque d'être douloureux en 2012. Elle pourrait bien s'écarter de sa voie de développement, comme elle l'a fait si souvent au cours du siècle dernier.

Xie Guozhong

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1 commentaires:

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