jeudi 20 janvier 2011

Contrôler les prix, c'est bien, mais augmenter les salaires, c'est mieux !

Courrier international, no. 1055 - Economie, jeudi, 20 janvier 2011, p. 38

Plus encore que la flambée de l'immobilier, le niveau élevé des prix des marchandises constitue une menace pour la qualité de vie des gens ordinaires. Dans les 4,4 % de hausse de l'indice des prix à la consommation d'octobre dernier, l'augmentation des prix des denrées alimentaires intervient pour 74 %. La nourriture étant à la base de tout, on ne peut négliger une telle inflation, et le contrôle des prix agricoles est devenu une urgence pour le gouvernement. Celui-ci a demandé, dans une circulaire datée du 20 novembre, que les administrations locales prennent sans attendre seize mesures de surveillance et de contrôle des prix, afin de garantir des conditions de vie correctes à leurs concitoyens.

Ces seize mesures prévoient notamment de développer largement la production agricole, de réduire le coût de distribution des produits transformés, de garantir l'offre en engrais chimiques, d'accorder des subventions temporaires et d'instaurer des mécanismes d'indexation des minima sociaux sur les prix. Le 17 novembre, le gouvernement avait déjà approuvé quatre dispositions incluant la possibilité de "mettre en place des mesures provisoires d'intervention sur les prix des produits de première nécessité et sur les moyens de production en cas de besoin".

Une revendication instinctive

Mais il ne s'agit que de mesures extraordinaires, qui ont une efficacité certes réelle mais très limitée, et des effets secondaires avérés, comme le prouvent les différentes tentatives de régulation du marché immobilier de ces dernières années, qui n'ont fait que favoriser l'inflation. "Il est impossible de faire baisser les prix immobiliers", a reconnu dernièrement le Premier ministre Wen Jiabao, qui a ajouté : "Si l'on ne peut vraiment pas accéder à la propriété, il faut envisager de louer."

Une intervention sur les prix a un effet secondaire assez net : comme elle va à l'encontre des lois économiques, elle introduit une distorsion dans les règles d'établissement de la valeur et dans les mécanismes d'ajustement du marché, lequel perd en partie sa capacité d'autorégulation. Dès lors, chaque intervention sur les prix préfigure un rebond des prix. Dans le cas des produits agricoles, les principaux facteurs d'inflation actuellement sont, outre les mauvaises conditions météorologiques, le niveau trop bas des cours et la hausse des coûts de revient, qui n'incitent pas les agriculteurs à procéder à de nouvelles plantations. Seuls des prix élevés pourraient les pousser à produire davantage. Or, aujourd'hui, il faut à la fois développer la production agricole et stabiliser les prix et l'offre des produits issus d'activités rurales, ce qui est incompatible du point de vue des mécanismes internes. De ce fait, l'encadrement des prix risque de continuer d'étouffer l'ardeur à produire des agriculteurs, semant ainsi les germes d'une nouvelle poussée inflationniste.

Durant les soixante et une années d'existence de la république populaire de Chine, la population a vécu plus de la moitié du temps quasiment sans bas de laine. Au cours des trente premières années, la plupart des gens n'avaient pas d'argent ni de céréales à mettre de côté. L'année 1978 a marqué le lancement de réformes et l'ouverture du pays, avec une mutation vers l'économie de marché. Mais c'est seulement à partir de 1998, avec la privatisation des logements urbains, que les Chinois sont véritablement entrés dans "l'ère de la richesse". Dans ce contexte historique, des prix bas sont devenus une revendication quasi instinctive des Chinois, revendication qu'aucun gouvernement n'a pu se permettre de négliger.

Par ailleurs, les intellectuels chinois manquent de connaissances dans ce do­maine : ce sont des idéalistes littéraires auxquels les bases scientifiques et la capacité de raisonnement logique font défaut. De plus, ils manquent du discernement et de l'audace que procure une réflexion indépendante. Quand ils ne s'appuient pas sur des groupes d'hommes influents (au pouvoir ou non), ils dépendent de la population, dont ils flattent les penchants nationalistes. C'est la raison pour laquelle, à chaque poussée inflationniste, la plupart des intellectuels exhortent le gouvernement à la combattre.

Bien souvent, les autorités recourent à des moyens administratifs pour intervenir sur le marché et sur les prix, entraînant une hausse démesurée des risques. Faute d'être fixées sur l'augmentation de leurs facteurs de production, les entreprises voient leurs prévisions sur le marché et sur l'emploi réduites à néant. Le prix du capital humain ne peut donc jamais être relevé de façon adéquate. Par ailleurs, l'idée arriérée selon laquelle "une main-d'oeuvre à bas coût est un avantage" a longtemps dominé, ce qui a forcé la Chine à entrer dans le cercle vicieux d'un système de "bas salaires, faibles avantages sociaux, prix bas".

Une pensée arriérée

Si la Chine n'est pas développée, c'est d'abord parce que sa manière de penser ne l'est pas ! Elle s'est toujours efforcée de maintenir les prix à un bas niveau sans chercher à augmenter les salaires et les avantages sociaux. Résultat : une instabilité des prix, aucune revalorisation des salaires et prestations sociales, et une perte de compétitivité et du droit d'imposer ses prix à l'économie mondiale. Le principal fautif est "l'avantage d'une main-d'oeuvre bon marché". Il s'agit là d'une conception des valeurs et d'une méthodologie des plus arriérées, car fondées sur la monnaie et non sur les biens matériels et les richesses, qui ne prend pas du tout en compte la composante fondamentale qu'est l'être humain.

Le gouvernement ne doit pas contrôler les prix à tout bout de champ ; il faut qu'il rende au marché ce qui lui revient. Il doit retrouver son juste rôle de garant de la revalorisation des salaires et des prestations sociales de la majorité. Il lui faut donc procéder à une hausse générale des salaires de base, y compris ceux des simples fonctionnaires ; améliorer le niveau et l'équité de la couverture sociale pour tous les ci­toyens afin que ceux-ci bénéficient de la "force de soutien de l'Etat" face aux risques économiques; et adopter des mesures d'aide provisoire pour les bas et moyens revenus, comme l'a déjà fait Hong Kong.

Dans l'intérêt à long terme de la Chine et des Chinois, nous devons quitter l'ancienne voie de développement pour re­joindre les rails empruntés par le reste du monde et suivre une voie de développement fondée sur des hauts salaires, une bonne protection sociale et des prix élevés. Le contrôle des prix ne doit être qu'une mesure transitoire, un passage obligé, tant que ces trois conditions de base ne seront pas remplies, mais il ne doit pas être considéré comme la bonne direction, ce qui empêcherait de réfléchir à une réforme pour un nouveau système plus juste et plus rationnel.

Tong Dahuan

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