lundi 17 janvier 2011

La crise des terres rares démontre l'importance de l'accès aux matières premières

Le Monde - Contre-enquête France, vendredi, 14 janvier 2011, p. 17

La Chine est-elle en train d'étrangler l'industrie des pays industriels, et notamment Rhodia, en rationnant ses exportations de terres rares ?

A vrai dire, nous nous sommes un peu étranglés nous-mêmes ! Ces terres rares sont très largement présentes sur la surface du globe, mais leur extraction est compliquée parce qu'elles sont très peu concentrées et parfois mélangées avec des minerais radioactifs.

Il y a une quinzaine d'années, leur exploitation s'est développée en Chine de manière anarchique et peu respectueuse de l'environnement. Cela a contribué à faire chuter les prix mondiaux et accéléré les fermetures de mines dans les pays développés - exemple en Californie - incapables de satisfaire aux nouvelles exigences environnementales avec de tels niveaux de prix.

La Chine, qui détient plus de 95 % de la production mondiale de terres rares, a décidé de mettre de l'ordre dans leur exploitation pour des raisons économiques et écologiques et a mis en place, depuis une dizaine d'années, un contrôle des exportations sous forme de quotas. En 2010, elle a annoncé abruptement qu'elle réduisait de 40 % ses quotas par rapport à 2009.

Cela vous a-t-il posé un problème ?

Oui, du fait de l'importance de cette rupture. Nous avons dû privilégier les livraisons à nos clients stratégiques, notamment dans l'automobile dont les pots catalytiques ne peuvent fonctionner sans cérium. Ou pour les ampoules à basse consommation qui utilisent le terbium pour assurer un bon équilibre chromatique.

Notre position de leader mondial des formulations à base de terres rares nous a permis d'optimiser notre chaîne de production, en transformant une plus grande partie de nos terres rares en Chine, car les produits transformés échappent aux quotas et peuvent être exportés librement.

Est-ce pour cela que vous avez nommé un Chinois à la tête de votre division « terres rares » ?

L'ancienneté et l'importance de notre présence en Chine justifient que nous ayons des cadres dirigeants d'origine chinoise. Ainsi Hua Du, qui a passé une dizaine d'années au sein d'entreprises internationales, a le profil idéal pour diriger cette activité.

Disposez-vous de la visibilité nécessaire ?

Les autorités chinoises nous ont fait savoir qu'elles maintiendraient cette année les mêmes quotas qu'en 2010. Les allocations qui viennent d'être décidées pour ce premier trimestre le confirment. Nous sommes l'une des deux sociétés étrangères installées dans le pays à disposer des quotas les plus importants.

De nouvelles mines sont-elles la solution ?

Dans un souci de diversification de nos approvisionnements, nous avons engagé, il y a deux ans, un partenariat avec l'australien Lynas auquel nous apportons un soutien technologique pour la construction d'une unité de séparation de terres rares en Malaisie qui commencera à fonctionner à la fin de cette année. Nous en serons un important client. Nous établissons un plan de diversification pour les dix prochaines années et nous étudions des opportunités dans différentes régions du globe.

Et le recyclage ?

C'est l'autre voie à explorer, car la hausse des prix le rend économiquement viable. Au début de 2012, nous allons développer sur nos sites de Saint-Fons (Rhône) et de La Rochelle une filière de récupération de terres rares issues des lampes à basse consommation hors d'usage. Jusqu'alors, seuls le verre et le métal étaient récupérés. Avec le nouveau procédé que nous venons de mettre au point, nous recyclerons à l'échelle industrielle les terres rares qu'elles contiennent. Nous travaillons sur d'autres pistes comme le recyclage des pots catalytiques ou les batteries des futures voitures électriques.

Que pensez-vous du projet de création d'une « grande » société minière qui a la faveur de l'Elysée et regrouperait les acteurs comme Areva, Eramet, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), l'Ifremer afin de doter la France d'un outil pour peser sur le marché des métaux stratégiques ?

La crise des terres rares démontre l'importance de l'accès aux matières premières. Si la France se dote d'un ou plusieurs acteurs de premier plan pour ce faire, tant mieux. Si celui-ci s'intéresse aux terres rares, bravo ! Nous étudierons toutes les opportunités que cela créera.

Vous semblez serein face à une situation qui a affolé les médias et les chancelleries...

Nos clients ont compris que la fiabilité d'approvisionnement a un coût. Nous, industriels, nous avons compris la nécessité de diversifier nos approvisionnements et de développer le recyclage. Ces nouvelles sources d'approvisionnement permettront de réduire la tension sur le marché des terres rares et d'avoir un effet favorable sur leurs prix qui ont été multipliés par quatre ou cinq en un an. La crise approche de son terme.

Jean-Pierre Clamadieu, PDG de Rhodia, leader mondial des formulations à base de terres rares

Propos recueillis par Alain Faujas

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