mardi 18 janvier 2011

Confucius entre au panthéon du Parti

Libération - Monde, mardi, 18 janvier 2011, p. 10

La place Tiananmen, ou bat le coeur idéologique du pouvoir chinois, s'est enrichie ce mois-ci d'un nouveau symbole : une statue en bronze de Confucius. Le monument massif, haut de 9 mètres, est placé à la gauche, mais à bonne distance, du célèbre portrait de Mao Zedong accroché sur la porte d'entrée de la Cité interdite. Le sage chinois, dont les empereurs de Chine ont promu le culte pendant plus de deux mille ans, avait été violemment renié par Mao et le pouvoir révolutionnaire. En 1971, une campagne politique avait été déclenchée spécialement pour «critiquer» l'auteur des Analectes. A Qufu, lieu de naissance du philosophe (en 551 avant Jésus-Christ), le Temple de Confucius avait été dévasté et ses statues brisées sur instruction de Mao.

La réhabilitation par le Parti de cet emblème de la tyrannie féodale commença à la fin des années 80, à un moment où les préceptes capitalistes commençaient à prendre le pas sur les idées marxistes. La métamorphose fut à l'époque perceptible sur Tiananmen : les portraits géants des quatre «barbus» (ou moustachus) du communisme - Marx, Engels, Staline, Lénine - plantés jusqu'alors aux quatre coins de la place, face au portrait du Grand Timonier, disparurent du jour au lendemain, sans explication.

Dans les années 90, apparut tout aussi subrepticement un portrait géant de Sun Yat-sen, le leader nationaliste qui renversa le pouvoir impérial en 1911. Il y demeure depuis lors, face à celui de Mao. Le pouvoir communiste a commencé à homologuer la restauration de Confucius en 1994, en organisant un symposium pour célébrer le 2 545e anniversaire du sage. L'invité d'honneur fut Lee Kuan-yew, le dirigeant de Singapour qui sut si bien marier autoritarisme et capitalisme. Mais l'entrée ce mois-ci de Confucius dans la chapelle du pouvoir qu'est Tiananmen, aux côtés de Mao et Sun Yat-sen, constitue une consécration. Aucune explication officielle n'est venue justifier la canonisation de Confucius, si ce n'est la déclaration, laconique, d'un responsable anonyme cité par le Quotidien de Pékin soulignant que le sage est «un emblème de la culture chinoise». Mais chacun à Pékin sait bien quelle conclusion en tirer : à trois contre un, Mao le communiste est désormais très clairement en minorité.

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