samedi 1 janvier 2011

COUP DE COEUR - Mémoires de guerre par Winston Churchill, nouvelle traduction



Mémoires de guerre : Tome 1, 1919 - Février 1941
Mémoires de guerre : Tome 2, Février 1941-1945
Traduction François Kersaudy
Éditions Tallandier

La parution du deuxième tome de ses « Mémoires de guerre » dans une traduction et une présentation enfin dignes de leur auteur constitue un grand plaisir et même une juste réparation. Il faut en remercier François Kersaudy, éminent spécialiste de la période et de ses principaux personnages, qui en est le maître d'oeuvre et dont, outre les talents de traducteur, les notes critiques sont une merveille de concision, de précision, de rectifications nécessaires et d'ironie.

L'originalité et l'ampleur de ce deuxième volume tiennent à ce que, recouvrant la période qui va d'avril 1941 à juillet 1945, il traite cette fois-ci dans sa totalité une guerre devenue mondiale. Le premier tome culminait avec la bataille d'Angleterre opposant forces aériennes britanniques et allemandes. Celui-ci couvre un conflit planétaire sans précédent. L'oeil de Winston Churchill en donne une version prodigieuse, à la fois épique et lyrique, inimitable dans la description des batailles, savoureuse avec les portraits des principaux acteurs, impressionnante dès que se dessinent les choix stratégiques, analysés par le vainqueur de 1945 avec un étrange et séduisant mélange de franchise, de science et de constante subjectivité. De tout cela Churchill ressort en incomparable et très atypique homme d'Etat, en chef de guerre baroque que rien, jamais, ne décourage, mais aussi en grand écrivain puissant, vivant, traversé de passions, affligé d'épreuves, indestructible. Les « Mémoires de guerre » de Charles de Gaulle relèvent d'un gothique surhumain, ceux de Winston Churchill naviguent entre l'héroïsme et l'humour. Imagine-t-on l'homme du 18 juin écrivant : « Nous sommes tous des vers mais je crois que, moi, je suis un ver luisant »?
(Alain Duhamel)


INTERVIEW du traducteur, François Kersaudy

Pourquoi cette passion pour Churchill quarante-cinq ans après sa mort ?

François KERSAUDY. - L'homme est longtemps resté méconnu chez nous, où l'on réduit sa vie à la guerre de 1940. Alors que c'est aussi un grand écrivain. Il a écrit trente-sept livres et a obtenu le prix Nobel de littérature ! Il était temps qu'on s'intéresse à lui en France, pays qu'il aimait, où l'on trouve sans difficulté des biographies de Loana ou de Mesrine, mais où il n'y avait pas grand-chose le concernant ! Un comble quand on sait à quel point sa vie fut prodigieuse. Cet homme-là a tout fait : il a décrit dans ses livres les campagnes militaires auxquelles il a participé dans l'armée anglaise avant la Première Guerre mondiale, à Cuba, durant la guerre des Boers, au Soudan et, bien évidemment, en Inde. Il a aussi réalisé des biographies sur son père, Randolph, ou sur son ancêtre, le duc de Marlborough. Plus une oeuvre monumentale sur l'histoire des peuples de langue anglaise. Et même un roman de cape et d'épée naïf, au style superbe, Savrola.

Vous décrivez Churchill comme un personnage de Kipling qui magnifie l'aventure et la guerre.

C'est un personnage de Kipling. Il a vécu toute son enfance dans le château de son ancêtre, le duc de Marlborough et a connu la guerre avant la politique. Son courage et sa baraka étaient inouïs. Habitué des actions héroïques, il croyait en son destin et a frisé la mort moult fois. Quand on lui demandait comment il faisait pour passer entre les balles, il répondait que le temps n'était pas venu de mourir. « Je crois que Dieu m'a réservé pour de plus grandes choses », dira-t-il. Étrange formule chez un homme qui se disait incroyant.

Vous écrivez aussi qu'il avait un « coeur de midinette ».

Sentimentalement, il était d'un romantisme suranné et se trouvait paralysé avec les femmes, surtout si elles étaient belles. Il restait muet, emprunté, multipliait les gaffes. Pour arriver à se marier, il lui a fallu l'aide de sa mère et d'une demi-douzaine d'amis qui se chargeaient de réparer les impairs qu'il commettait avec sa promise. L'amour et l'économie, qu'il délaissait, étaient ses domaines d'incompétence. Ses vraies passions étaient la politique et la guerre.

Aussi génial fût-il, Churchill continue d'être controversé. Pourquoi ?

Parce que c'était l'antidémagogue par excellence. « Les peuples n'ont de grands hommes que malgré eux », disait Nietzsche. Le politicien suit les sondages d'opinion. Avec Churchill, c'est l'inverse : si l'opinion n'est pas d'accord avec moi, tant pis pour elle, à moi de la convaincre, même si cela doit prendre des années. Il n'était pas un homme de parti et faisait peur à ses amis conservateurs. Il était conservateur, mais à condition que ceux-ci restent dignes de leurs idéaux. Et il choisira un temps le Parti libéral avant de revenir parmi eux. « Tout le monde peut retourner sa veste, mais il faut un certain talent pour la remettre à l'endroit » sera l'une de ses formules célèbres. Il a fait des slaloms politiques étonnants. Mais avec quel talent. Dans tous les domaines, c'était un artiste !

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