mardi 25 janvier 2011

Croissance chinoise : l'atterrissage sera compliqué

Le Monde - Economie, vendredi, 21 janvier 2011, p. 12

Face à la hausse de 10,3 % du PIB en 2010, Pékin cherche par tous les moyens à éviter la surchauffe de l'économie

Alors que le président Hu Jintao, en visite officielle à Washington, doit tenir tête aux demandes américaines sur un certain nombre de dossiers économiques, la Chine a de nouveau enregistré, en 2010, une croissance à faire pâlir l'Occident. Son produit intérieur brut (PIB) a augmenté de 10,3 % au cours de l'année écoulée, selon les statistiques nationales publiées jeudi 20 janvier.

L'appétit des consommateurs chinois ne se dément pas : les ventes de détail ont progressé de 18,4 % en 2010. Une observation de l'évolution des recherches sur Baidu, le concurrent chinois de Google, réalisée par la banque Standard Chartered, ne trompe pas : le nombre de requêtes pour les termes « achat appartement » et « achat voiture » ne cesse de grimper.

Après s'être hissée au deuxième rang mondial devant le Japon en 2010, l'économie chinoise pourrait toutefois connaître une décélération à 8,7 % de croissance cette année, puis autour de 8,4 % en 2012, anticipe la Banque mondiale. Selon elle, cette stabilisation s'explique par le débobinage du plan de relance de 460 milliards d'euros adopté pendant la crise et le resserrement monétaire induit par la montée des pressions inflationnistes.

Ces dernières attirent l'attention médiatique et politique. Et les risques de surchauffe sont de nouveau d'actualité. « Il s'agit désormais de calmer les investissements dans les infrastructures, de freiner l'expansion de la masse monétaire et d'éviter un atterrissage forcé dans le secteur immobilier », analyse Jean-François Huchet, directeur du Centre d'études français sur la Chine contemporaine de Hongkong.

Si les largesses dans l'attribution des crédits bancaires depuis 2008 ont soutenu l'industrie et financé d'ambitieux projets d'infrastructures - le pays aurait gagné 9 000 kilomètres d'autoroutes en 2010 -, le retour de bâton est douloureux. Il se traduit par un surinvestissement dans des secteurs tels que l'immobilier, et par une hausse du coût des denrées alimentaires qui pénalise la classe émergente dite de la « petite prospérité ».

La résolution des dirigeants politiques pour l'année 2011 est donc d'assurer au peuple des prix raisonnables. Le premier ministre, Wen Jiabao, a réitéré, mardi 18 janvier, son engagement à « éviter des émissions de crédits anormales » et à lutter contre la spéculation, alors que les banques chinoises ont prêté, en 2010, 400 milliards de yuans (45,2 milliards d'euros) de plus que le plafond initial.

Dans ce contexte, la publication de l'indice d'évolution des prix à la consommation était un test, après deux hausses des taux directeurs de la banque centrale et sept augmentations des ratios de réserves obligatoires imposés aux banques secondaires. Or le résultat est mitigé. Certes, à 4,6 % en décembre sur un an, la hausse des prix à la consommation est plus mesurée qu'en novembre, lorsqu'elle avait bondi de 5,1 %. « Cependant, les pressions inflationnistes restent élevées, notamment parce que les prix des céréales ont augmenté à un niveau encore plus rapide. Même scénario pour les légumes, dont les prix ont rebondi depuis le début du mois de janvier 2011, prévient Stephen Green, économiste en chef de Standard Chartered en Chine. La bataille contre l'inflation est loin d'être terminée. »

L'hypercroissance chinoise suscite en outre des interrogations sur la quantité de dettes, qui, pour certaines, pourraient se révéler irrecouvrables car accumulées le long d'une « chaîne économique » déconnectée des impératifs d'offre et de demande. Le fait qu'une grande partie des sommes du plan de relance chinois a été prêtée par les banques aux gouvernements locaux, ou plus exactement à des structures ad hoc, les plates-formes de financement locales, explique cette situation.

L'économiste sino-américain Victor Shih, de Northwestern University aux Etats-Unis, est le premier à s'être penché sur l'endettement des collectivités locales chinoises. Il l'a estimé à 11,4 trillions de yuans (1 000 milliards d'euros, soit 34 % du PIB chinois) depuis que le phénomène a commencé, dont 7 trillions rien qu'en 2009.

Selon lui, en 2010, les crédits distribués aux plates-formes locales se sont accrus un peu moins vitequ'il l'attendait. « Mais ils ont continué de croître, probablement d'environ 2 000 milliards de yuans en 2010 », dit-il au Monde. Surtout, prévient-il, les besoins en financements sur les projets locaux ont trouvé d'autres canaux, comme l'émission d'obligations, ou encore le reconditionnement de créances en produits d'investissements. Selon lui, tout porte à croire que le gouvernement autorisera les banques à déclarer comme non performants seulement une toute petite quantité des prêts. Celles-ci continueront à faire du crédit à tour de bras. Une chute des prix des terrains et de l'immobilier pourrait toutefois conduire à une vague de défauts de paiement.

Gare à l'atterrissage, écrivent Fraser Howie et Carl Walter. Leur nouvel ouvrage, Red Capitalism : The Fragile Financial Foundation of China's Extraordinary Rise (« Capitalisme rouge : les fondations financières fragiles de l'extraordinaire émergence de la Chine », en anglais, aux éditions Wiley, parution en février) décortique cette fuite en avant, financée à l'aide d'introductions en Bourse spectaculaires et de tours de passe-passe entre les différentes structures de défaisance.

Les deux auteurs s'étaient fait connaître en 1999 par leur analyse des incohérences des marchés boursiers chinois, où sont essentiellement cotées des sociétés d'Etat. Dix ans après, ils constatent que le système bancaire et financier chinois actuel ne prend tout simplement pas en compte le risque. Et son coût.

Brice Pedroletti et Harold Thibault

© 2011 SA Le Monde. Tous droits réservés.

0 commentaires: