mardi 25 janvier 2011

RÉCIT - J'ai travaillé pour la propagande chinoise


Marianne, no. 718 - Monde, samedi, 22 janvier 2011, p. 62

A l'automne 2009, une journaliste française, Anne Soëtemondt, va travailler pendant un an à Pékin pour Radio Chine internationale (RCI), qui émet dans les langues du monde entier. Elle publie aujourd'hui le récit* de cette expérience. On peut y mesurer à quel point le gouvernement impose une chape de plomb sur l'information. Et on y découvre au quotidien un rouage de l'appareil totalitaire qui fonctionne à la peur et à la corruption.

EXTRAITS

Ah, je me suis fait harmoniser, s'écrie mon collègue Michel ce matin. Par Luc ! " Se faire harmoniser, c'est se faire censurer. " A votre avis, quel est le point commun entre Deng Xiaoping et Ma Ying-jeou ? " Le dernier mentionné n'est autre que le président taïwanais. Le statut de Taïwan est l'un des sujets délicats en Chine. Officiellement, Pékin considère Taïwan comme un Etat autonome qui lui est lié conformément à la politique dite " d'une seule Chine " qui veut que la Chine soit " une et unie ". Pour Pékin, et donc pour les médias chinois, Taïwan, c'est la Chine. En évoquant le président taïwanais, Michel a effrayé notre collègue chinois Luc, chargé de réécouter l'émission avant diffusion. Evoquer Taïwan, c'est risquer l'erreur. Il a préféré, pour ne pas s'attirer d'ennuis, couper le passage à la hache plutôt que de demander à Michel d'enregistrer de nouveau ou de vérifier.

Autre exemple : Tian'anmen, lieu qui pour les Occidentaux renvoie aux événements de 1989, n'est " que " la place de Pékin où a été proclamée par Mao Zedong la naissance de la nouvelle Chine le 1er octobre 1949. Le massacre du 4 juin 1989 n'a toujours aucune existence officielle.

Mais la Chine ne fonctionne pas non plus en circuit fermé. Des informations en dehors de la ligne circulent, notamment depuis l'étranger. Dans le service français (de RCI), il y a plusieurs télévisions. Quand elles ne sont pas réglées sur CCTV, elles diffusent TV5 Monde. Le journal " Asie " rythme nos matinées. L'édition d'aujourd'hui s'ouvre sur un reportage concernant le Xinjiang. En juillet, des émeutes ont éclaté entre les Ouïgours, peuple de la région, et les Han, l'ethnie majoritaire de Chine. Elles ont été fermement réprimées. Depuis, officiellement le calme est revenu, mais des attaques à la seringue contre des Han ont été signalées. Le reportage diffusé sur TV5 mentionne la " grande fermeté promise par le numéro un chinois, Hu Jintao, les centaines d'arrestations, et les probables exécutions ". Ces dernières ne sont pas mentionnées dans les textes que nous diffusons. L'abolition de la peine de mort n'est pas à l'ordre du jour dans le pays, mais les Chinois savent qu'il s'agit là d'un point d'achoppement dans leurs relations avec la communauté internationale. A la fin du reportage, Jocelyne, la chef des journalistes étrangers, se lève et éteint la télévision, dans le silence. Michel me jette un regard. Pour éviter que trop de reportages étrangers à charge ne filtrent, les autorités ont la main sur la télécommande. Plusieurs fois, la BBC ou TV5 ont été brouillées. Pendant le séisme du Qinghai par exemple. Le 14 avril 2010, un séisme d'une magnitude de 6,9 a secoué cette province isolée, proche de la région autonome du Tibet. Fortement critiquées pour leur gestion du tremblement de terre dans le Sichuan en 2008, les autorités redoutent un rappel des faits à l'occasion des nouvelles secousses, et brouillent pendant quelques heures les chaînes étrangères susceptibles d'être critiques. De nombreux sites Internet sont par ailleurs bloqués sur le territoire chinois. C'est le cas aujourd'hui des sites de partage en ligne (YouTube, Facebook, Twitter), de certains médias (RFI, BBC, la Deutsche Welle), mais aussi de sites hostiles au gouvernement chinois (Reporters sans frontières, Falun Gong, tibet.net, le site des Tibétains en exil). Un contrôle d'Internet qui a mis une fois l'une de mes collègues anglaises, Helen, dans une situation délicate. Quelques jours près le séisme du Qinghai, son rédacteur en chef lui avait demandé de préparer une chronique sur les rites funéraires spécifiques des Tibétains, nombreux parmi les victimes. Difficile de trouver des informations, le mot clé " Tibet " actionnant les filtres. Les seuls sites auxquels elle arrivait à accéder étaient purement touristiques. La censure chinoise l'empêchait donc de travailler correctement pour un média d'Etat chinois.

Information positive

La censure et le contrôle de l'information ne se cantonnent pas aux dossiers sensibles. Ils se manifestent aussi par une terminologie figée et un style automatique, en matière diplomatique notamment. " Le gouvernement chinois attache, du point de vue stratégique, de l'importance au développement des relations diplomatiques avec la Mongolie. La Chine est disposée à renforcer, avec la Mongolie, la coopération et les échanges entre les jeunes, afin d'assurer le développement stable du partenariat de bon voisinage et de confiance mutuelle entre les deux pays, a ajouté le Premier ministre chinois, Wen Jiabao. " Un vocabulaire officiel et diplomatique que nous n'avons pas le droit de couper ni de récrire pour le rendre plus digeste pour les auditeurs. Automatique et hypnotisant. A force de lire ces textes, la comparaison avec la novlangue du roman 1984 s'impose. La novlangue a été créée pour asseoir l'idéologie du système politique inventé par George Orwell : elle doit favoriser la parole officielle et empêcher l'expression de pensées critiques. Le langage de la propagande chinoise reprend les mêmes principes. Un vocabulaire policé, répétitif, destiné à empêcher l'auditeur de mettre en doute le discours véhiculé. La diplomatie chinoise suit des orientations précises, reprises systématiquement par les médias. Une manière de neutraliser toute réflexion ? Le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures par exemple. Pékin ne souffre pas que Washington, Londres ou Tokyo jugent ou dénoncent la politique intérieure chinoise. En échange, Pékin applique la même neutralité. Une posture qui lui permet d'entretenir des relations diplomatiques étroites avec des pays mis au ban de la communauté internationale, comme le Soudan, l'Iran, la Birmanie ou la Corée du Nord.

Autre particularité du système médiatique chinois : la tendance à valoriser les trains qui arrivent à l'heure. La Chine aime l'information positive, quitte à ce que le sujet ne soit pas accrocheur. Un message souvent tellement grossier qu'on peut décrypter la vraie actualité chinoise en lisant a contrario les nouvelles qui font la une. Lorsque, par exemple, l'agence de presse Chine nouvelle nous fait parvenir des dizaines de dépêches sur la reprise du tourisme au Xinjiang ou au Tibet, il faut parfois en déduire que le gouvernement cherche à dissimuler un mécontentement qui gronde, une exécution ou une manifestation. Exemple en septembre 2009. Les attaques à la seringue (1) dans le Xinjiang font la une des pages internationales dans les médias étrangers. Au même moment, Radio Chine internationale diffuse de bons chiffres de fréquentation touristique : " Dans certaines régions du Xinjiang, la fréquentation touristique retrouve son niveau d'avant les émeutes du 5 juillet. "

* J'ai travaillé pour la propagande chinoise, d'Anne Soëtemondt, éditions du Moment, 225 p., 17,95 €. A paraître le 27 janvier.

(1) Des passants avaient été agressés à la seringue par des patients prétendument atteints du sida. Mais le Quotidien du peuple rapportait alors que personne n'avait été blessé ou contaminé.

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