mardi 25 janvier 2011

L'inflation en Chine menace les Bourses mondiales, selon la Société générale

Le Monde - Economie, vendredi, 21 janvier 2011, p. 12

Une croissance explosive, une inflation qui dérape... Après avoir séduit, et même envoûté les investisseurs, la Chine commence à les effrayer. Pour des marchés tout juste convalescents, le risque mondial numéro un d'une rechute des cours de Bourse vient de la République populaire. Que le pays laisse filer la hausse des prix sans réagir, ou pas assez, et c'est le krach. Ou, pour le moins, une plongée de 10 % à 15 % des actions en Europe et aux Etats-Unis, et de plus de 20 % sur les places des pays émergents, selon les experts de la Société générale.

« A l'été 2010, les investisseurs redoutaient un «double dip» aux Etats-Unis, une nouvelle récession. Grâce à l'action de la Réserve fédérale américaine et au stimulus fiscal de la rentrée, ce risque s'est éloigné. La crise des dettes souveraines dans la zone euro se poursuit sans toutefois devenir plus aiguë. Reste le danger nouveau d'une surchauffe en Chine », explique Alain Bokobza, responsable de la stratégie d'investissement à la Société générale.

La menace est suffisante pour que la banque ait mobilisé une équipe de douze personnes afin d'analyser ce danger. Résultat : dans une note intitulée « Le Dragon qui jouait avec le feu », datée du mardi 18 janvier, les experts estiment à 30 % la probabilité que le scénario d'une catastrophe chinoise se concrétise.

« Nous ne voulons pas jouer les Cassandre mais la possibilité de ce péril existe et augmente jour après jour », signale M. Bokobza. Selon les chercheurs, le dérapage inflationniste est déjà en marche. La hausse des prix est passée de 3 % à 4,6 % fin 2010. Or les mesures correctives ne sont, pour le moment, pas suffisantes.

Pour lutter contre la flambée des prix, le pays dispose de l'arme monétaire : la banque centrale chinoise peut relever ses taux d'intérêt afin d'absorber des liquidités excédentaires. Mais, selon la Société générale, qui s'appuie sur le modèle dit de Taylor, les taux directeurs, actuellement à 2,75 % pour les dépôts et à 5,81 % pour les emprunts, sont de 2,5 points en dessous du niveau optimal nécessaire pour juguler correctement l'inflation.

Si, dans les prochains mois, aucune mesure énergique n'est prise, la croissance pourrait s'emballer, frôlant les 12 % à la mi-2011. Avec elle, l'inflation s'envolerait, atteignant plus de 10 %. S'en suivrait alors une réaction brutale de la banque centrale du pays pour refroidir la machine qui ferait chuter la croissance à 5 %. « L'équivalent d'une violente récession pour la Chine », décrypte M. Bokobza.

De quoi provoquer une panique sur les marchés boursiers occidentaux, affolés de voir « le » moteur de croissance de la plupart des multinationales cotées en Bourse se gripper subitement. Quant aux cours des matières premières, aujourd'hui dopés par la demande chinoise, ils devraient plonger de l'ordre de 20 %, selon la Société générale.

Pékin a conscience de ce danger. Mais les autorités agiront-elles assez, et assez vite ? Selon les experts de la banque, la République populaire a des outils adaptés, liés notamment à son statut d'économie dirigiste. La banque centrale peut ainsi non seulement se servir de ses taux d'intérêt directeurs, mais aussi jouer avec ce que la Société générale a qualifié de « D2R3 ».

Un nom de science-fiction inspiré du robot de la Guerre des étoiles qui désigne la « Dynamic Differentiative Reserve Requirement Ratio ». En clair, la possibilité dont dispose le gouvernement d'encadrer la distribution de crédits aux entreprises et aux ménages en exigeant de tel ou tel établissement bancaire qu'il augmente rapidement le niveau de ses réserves obligatoires.

La difficulté consiste à doser subtilement ces deux instruments. Et sans attendre. Mais les chercheurs de la Société générale redoutent que les dirigeants politiques en place ne changent pas radicalement de politique économique avant le renouvellement des équipes, prévu après la prochaine réunion du congrès du Parti communiste chinois fin 2012.

Or, en 2012, il sera trop tard.

Claire Gatinois

© 2011 SA Le Monde. Tous droits réservés.

0 commentaires: