Le Figaro, no. 20671 - Le Figaro, mardi, 18 janvier 2011, p. 5
Un président chinois tenu à la fermeté face à l'Amérique
La « diplomatie du sourire » sera nécessairement de mise lors de la balade américaine du président chinois. Il sera réaffirmé que la relation sino-américaine est « la plus importante au monde », et que la « coopération stratégique » doit encore être élargie. Dans un entretien au Wall Street Journal, le chef de l'État chinois a évoqué des champs nouveaux à explorer en commun, comme l'énergie, l'aéronautique et l'espace. Et appelé à en finir avec un jeu de guerre froide, « à somme nulle ».
Mais, sur le fond, cette visite pourrait être le miroir américain de celle que Barack Obama avait effectuée à Pékin fin 2009. De belles déclarations sur le caractère « global et positif » de la relation bilatérale, mais aucune avancée sur les points de désaccord, chacun campant sur ses positions. Signe du climat actuel, le China Daily publiait hier en une un sondage affirmant que plus de la moitié des Chinois estiment que la relation sino-américaine s'est dégradée en 2010.
Nombre d'analystes suggèrent que le président Hu Jintao, quelles que soient ses convictions, n'est pas libre de ses mots. Le calendrier comme la structure du pouvoir chinois lui laisseraient peu de marge de manoeuvre. « Son ambition principale, c'est de ne pas apparaître comme le mauvais partenaire du couple, mais de ne rien lâcher non plus, confie un diplomate anglo-saxon. En ce moment, toute concession publique et majeure serait désastreuse pour l'équipe au pouvoir. » La transition politique chinoise, en effet, est déjà lancée. Le tandem Hu Jintao-Wen Jiabao doit passer la main en 2012, après une décennie aux affaires.
Tant sur le plan économique que politique ou militaire, ce contexte rend tout assouplissement chinois peu probable et ne devrait pas faciliter la relation entre Washington et Pékin. Plusieurs responsables américains viennent d'en faire le constat. Déçu par le manque de mouvement chinois sur le yuan, le secrétaire au Trésor Timothy Geithner a expliqué la semaine dernière aux étudiants de la John Hopkins School of International Studies que cette transition « ralentit le rythme des réformes, car elle induit de la prudence ». Bien placé pour connaître le système en enseignant à l'École centrale du Parti, le professeur Wang Guixiu explique lui aussi que la tentation des dirigeants chinois est aujourd'hui de « se contenter d'une gestion administrative du pays, pour éviter les ennuis ».
« Une moindre légitimité »
Selon Wang Guixiu, la politique chinoise est très soumise à la pression de ce qu'on appelle ici les « groupes d'intérêts », au sein desquels puissances politique et économique sont intimement liées. « Ils bloquent le changement et l'ouverture, parce que cela suppose une redistribution des pouvoirs et des intérêts », dit-il. Les observateurs notent que toutes les déclarations chinoises conciliantes sur le yuan sont vite torpillées par des propos alarmistes de tel ou tel ministre ou conseiller. Même constat sur les volets diplomatique et militaire. Après sa visite à Pékin la semaine dernière, le patron du Pentagone Robert Gates s'est inquiété d'une certaine « déconnexion » entre dirigeants civils et militaires chinois. Ce qui ne veut pas dire que Hu Jintao ne tient pas l'armée, mais que les militaires ont leur degré d'autonomie. Et que leur voix semble peser lourd dans la fermeté sur le dossier nord-coréen, celui des contentieux maritimes avec le Japon ou la question de la mer de Chine méridionale. Et donc sur la relation avec les États-Unis.
« Il ne s'agit pas de dire que les dirigeants actuels ne tiennent pas le pays, confie un observateur, mais par rapport à leurs prédécesseurs, ils souffrent sans doute d'une moindre légitimité et sont en ce sens plus faibles. Ce qui ne favorise pas les concessions, surtout vis-à-vis de Washington. »
Arnaud de la Grange
Des dossiers sensibles et des désaccords profonds Le Figaro, no. 20671 - Le Figaro, mardi, 18 janvier 2011, p. 5 En lever de rideau de sa visite à Washington, dans la presse américaine, le président Hu Jintao a reconnu que des se dressent entre les deux pays. Revue des principaux dossiers au menu de la rencontre. Le déficit commercial et le yuan - Ce déficit s'est accru de 26 % l'an dernier, au détriment de Washington, qui en rend responsable la sous-évaluation du yuan. Hier, trois sénateurs démocrates devaient présenter un projet de loi afin de « répondre vigoureusement aux distorsions monétaires qui ont un impact négatif et injuste sur le commerce » international des États-Unis. La semaine dernière, la Chine a laissé entendre qu'elle pourrait laisser le yuan s'apprécier d'environ 5 % en 2011, notamment pour combattre l'inflation. Il ne faut cependant guère s'attendre à des avancées sérieuses sur les changes lors de la visite. Même si le secrétaire américain au Trésor, Timothy Geithner - qui a jugé « indéfendable » la politique chinoise sur le yuan -, a déclaré qu'une augmentation rapide du cours pourrait ouvrir à Pékin l'accès à des technologies dont l'exportation est pour le moment limitée. Une demande récurrente de la Chine, qui met justement sur le dos de ces restrictions le déséquilibre commercial. La réforme du système financier international - C'est sans doute le sujet sur lequel les deux parties peuvent trouver le plus large consensus. Hu Jintao a reconnu qu'il faudrait longtemps avant que le yuan ne devienne une monnaie de réserve au même titre que le dollar. Mais il n'a pas hésité à qualifier l'organisation actuelle du système monétaire international de « produit du passé ». Défense - La visite du patron du Pentagone, Robert Gates, la semaine dernière à Pékin, n'a pas suffi à aplanir les difficultés. Barack Obama devrait de nouveau demander des explications sur les projets militaires de la Chine, que ce soit pour sa stratégie régionale ou ses programmes d'armes nouvelles. Un exercice d'autant plus obligé qu'il est attendu par les alliés asiatiques de Washington, le Japon et la Corée du Sud, inquiets de la montée en puissance chinoise. Les questions sensibles des ventes d'armes à Taïwan et des missions de surveillance ou manoeuvres américaines au large des côtes chinoises devraient également être soulevées. Droits de l'homme - C'est la secrétaire d'État américaine qui a été chargée de monter au front. Hillary Clinton a appelé vendredi la Chine à libérer les dissidents emprisonnés, dont le Prix Nobel de la paix, Liu Xiaobo. Elle a aussi soulevé le cas de l'avocat Gao Zhisheng, disparu depuis avril. De manière plutôt directe, elle a estimé qu'en matière de droits de l'homme, Pékin n'avait pas « tenu ses promesses ». À ses débuts, elle avait été critiquée pour avoir sacrifié ce dossier sur l'autel des bonnes relations avec Pékin. Corée du Nord - Hillary Clinton a critiqué l'attitude de Pékin vis-à-vis de la Corée du Nord, notamment son refus de condamner le torpillage, au printemps dernier, d'une frégate sud-coréenne, attribué à Pyongyang. « Nous avions prévenu la Chine qu'une absence de réaction de sa part ne ferait qu'encourager la Corée du Nord à poursuivre sur une voix dangereuse », a-t-elle déclaré, faisant allusion au bombardement d'une île sud-coréenne en novembre dernier. Hu Jintao, lui, a estimé que, grâce notamment aux efforts chinois, « il y a eu des signes d'apaisement ». Il juge qu'il est temps de reprendre le dialogue. Depuis le début de l'année, Pyongyang a lancé plusieurs appels en faveur d'une reprise des discussions. Mais les États-Unis exigent du concret au préalable. Arnaud de la Grange Obama et Hu Jintao à l'heure du réalisme Le Figaro, no. 20671 - Le Figaro, mardi, 18 janvier 2011, p. 5 Les marchandages qui commencent aujourd'hui s'annoncent musclés entre la puissance ascendante chinoise et la puissance américaine menacée. Il y a une vraie perplexité américaine sur la Chine. Un vif débat sur la manière dont il faut « gérer » cette puissance montante qui est en train de bousculer le leadership mondial de l'Amérique, incontesté depuis la fin de la guerre froide mais affaibli par ses difficultés internes et les défis globaux du XXIe siècle. Comment s'y prendre avec ce nouvel acteur dont le formidable essor économique est en train d'accoucher d'une vraie volonté de puissance militaire et diplomatique? Comment dialoguer avec un pays dont l'Amérique convoite les marchés, dont elle est dépendante pour la stabilité de son économie, dont elle a besoin sur les dossiers cruciaux de la stabilité du système monétaire international, du climat ou du nucléaire, mais qui ne partage pas le même système de valeurs politiques? Bref, comment accompagner l'émergence du nouveau grand rival de Washington sans risquer une nouvelle guerre froide? Dans une récente tribune, le vétéran de la diplomatie américaine Henri Kissinger mettait en garde contre les différences « philosophiques » profondes qui animent l'Amérique et la Chine, la première étant un pays qui croit à la « résolution des problèmes » alors que la seconde pense que le but est de « gérer des contradictions » qui ne seront « jamais résolues ». « Dans la relation américano-chinoise, la réalité dominante est qu'aucun pays ne parviendra à dominer l'autre et qu'un conflit laminerait leurs sociétés », poursuit l'ancien architecte de la politique d'ouverture vers la Chine sous Nixon. Le G2 a disparu du vocabulaire Ces questions seront omniprésentes dans l'esprit de Barack Obama et de son équipe tandis qu'ils dérouleront le tapis rouge, avec accueil au canon, pour le président Hu Jintao, qui arrive ce soir à Washington pour une visite d'État très attendue. Soucieuse de remettre la relation sino-américaine sur les rails de l'apaisement après une année 2010 tendue, la Maison-Blanche a promis de mettre les petits plats dans les grands pour accueillir le dirigeant chinois, qui sera reçu demain à la présidence pour de longs entretiens, une conférence de presse conjointe et un dîner d'État, avant de partir vers Chicago. Au début de 2009, l'Administration Obama avait fait un rêve. Celui de voir émerger un couple américano-chinois susceptible de travailler main dans la main à gérer pragmatiquement les tumultes du XXIe siècle. Mais l'année 2010 a fait voler en éclats les espoirs portés par le G2, terme qui a d'ailleurs disparu rapidement du vocabulaire américain. L'affrontement des deux pays sur Google et la liberté d'Internet, puis les péripéties du dialogue sur le climat à Copenhague, le refus de Pékin de répondre aux attentes de Washington sur la réévaluation du yuan, le conflit territorial en mer de Chine méridionale, le renforcement spectaculaire des capacités militaires chinoises, la dureté de la réaction officielle à l'attribution du prix Nobel de la paix au dissident Liu Xiaobo et, finalement, l'attitude peu coopérative des Chinois sur le dossier nord-coréen ont été autant de déconvenues qui ont forcé les Américains à réévaluer leurs attentes. « Le rêve d'un partenariat États-Unis- Chine robuste, permettant de montrer le cap global, demeure », note la chercheuse Elizabeth Economy du Centre on Foreign Relations à New York. Mais pour l'heure, « le réalisme va dominer », prédit-elle, soulignant que l'Amérique s'est empressée d'offrir des assurances à ses autres partenaires asiatiques, inquiets de l'agressivité croissante de la Chine. Signe de ce nouveau réalisme, les responsables américains ont adopté un ton inhabituellement franc à l'approche de la visite de Jintao. La secrétaire d'État, Hillary Clinton, n'a pas mâché ses mots pour appeler la Chine à respecter les « valeurs universelles ». Le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, a clairement expliqué que la Chine devrait faire des concessions sur les priorités américaines - barrières commerciales, protection de la propriété intellectuelle ou réévaluation du yuan - si elle veut arracher des compromis sur l'exportation de produits high-tech ou le statut d'économie de marché notamment. Lors d'une récente visite à Pékin destinée à réduire les tensions entre les deux institutions militaires, le secrétaire à la Défense, Robert Gates, n'a pas caché les difficultés du dialogue sur la sécurité. « Le renouveau de la relation militaires à militaires est critique, il y a vraiment beaucoup de choses que nous ne comprenons pas », a renchéri le chef d'état-major, Mike McMullen, notant « une menace chinoise significative » dans le cyberespace. Pour Elizabeth Economy, « cette description sans détour de la réalité » annonce « de durs marchandages ». Au-delà des embrassades publiques, le face-à-face s'annonce musclé entre la puissance ascendante chinoise et la puissance menacée de l'Amérique. Laure Mandeville, Correspondante à Washington Le Figaro, no. 20671 - Le Figaro, mardi, 18 janvier 2011, p. 5 Détente ou guerre froide, les clichés du passé s'appliquent mal à la relation complexe entre la superpuissance américaine et le grand émergent qu'est la Chine. Ce sont pourtant les termes que l'on retrouve de part et d'autre, à la veille de la visite à Washington du président Hu Jintao. Si Henry Kissinger signe une tribune intitulée « Éviter une guerre froide entre les États-Unis et la Chine », c'est que le danger doit être bien réel. Hillary Clinton, la secrétaire d'État, assure pour sa part que son pays ne cherche pas à « contenir la Chine », comme ce fut le cas avec l'URSS, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Côté chinois, le président Hu appelle à la détente, puisqu'il demande à ses hôtes d'« abandonner la mentalité des relations »à somme nulle* caractéristique de la guerre froide ». Le recours à un vocabulaire rappelant l'époque de l'Union soviétique témoigne de la méfiance qui s'est installée, même si l'objet de la visite d'État de Hu Jintao sera plutôt de célébrer une entente très formelle. À Pékin, le cérémonial de la Maison-Blanche sera, en tout cas, présenté comme une preuve que la République populaire est enfin traitée d'égal à égal par les États-Unis. Car la perception qu'ont les Chinois de leur place dans le monde évolue plus vite que l'idée que s'en font leurs interlocuteurs. Cela laisse prévoir des ajustements délicats. L'essai d'un chasseur furtif, le jour même de la visite à Pékin du secrétaire à la Défense, Robert Gates, est apparu comme un nouveau signe inquiétant, très « guerre froide », attribué à l'agressivité d'une Armée populaire de libération, qui aurait pris son autonomie par rapport au pouvoir civil. Mais le président chinois lui-même n'est pas prêt aux concessions que le nouveau Congrès, à majorité républicaine, exige de lui, avant de reprocher à Obama de ne pas les avoir obtenues. Hu Jintao fait la sourde oreille aux demandes insistantes de réévaluation du yuan. Il abandonne, en revanche, sa langue de bois pour juger que le système monétaire international, avec la prééminence du dollar, n'est plus qu'« un produit du passé ». Si la Chine veut transcender cet héritage tout en évitant que l'Amérique ne retrouve les réflexes d'une période révolue, il va lui falloir se joindre à ceux qui cherchent à être une force de proposition. Pierre Rousselin Dr. Obama and Mr. Hu Le Monde - Dernière heure, mercredi, 19 janvier 2011, p. 28 Il n'est pas certain que les Américains, quelle que soit la qualité du spot, seront sensibles à ses appâts. Pas seulement parce que, en choisissant Yao Ming, les Chinois montrent combien ils restent éloignés de leur quotidien : star absolue dans l'empire du Milieu, ce basketteur régulièrement blessé voit sa notoriété fondre aux Etats-Unis. Surtout, en ces temps difficiles, cette campagne a peu de chances d'enrayer une sinophobie de basse intensité alimentée par un sentiment diffus du déclin de leur pays associé, dans beaucoup d'esprits américains, à un irrésistible ascendant de la Chine qui suscite de multiples débats et... des fantasmes irrationnels. Le centre de recherches Pew a ainsi diffusé, mercredi 12 janvier, la dernière version d'un sondage annuel. A la question : " Quelle est la première puissance économique au monde ? ", 47 % des sondés répondent " la Chine ", 31 % seulement leur propre pays ! Avant l'effondrement financier de 2008, l'opinion plaçait les Etats-Unis nettement devant, à 41 %, contre 30 % seulement à la Chine. Ce basculement reflète les traces profondes laissées par la crise et la " wal-martisation " du pays : de plus en plus d'Américains paupérisés constatent que les produits les moins chers sont souvent étiquetés " made in China ". Ils concluent que celui qui leur permet si massivement de s'habiller et de se meubler est devenu le plus fort. Ils ont tort, évidemment : la Chine reste loin des Etats-Unis en termes de richesse. Mais en fantasmant une superpuissance économique chinoise, les Américains accréditent l'idée de leur propre déclin. Les " anti-déclinistes " rappellent que ce n'est pas une première. Dans les années 1980, une blague parcourait le pays. Que ferait Washington si la troisième guerre mondiale éclatait ? Réponse : d'abord, bombarder Pearl Harbour ! A l'époque, en plus de Columbia et du Rockefeller Center, les Américains voyaient les Nippons acheter tout Hawaï. Leur économie paraissait invincible. Aujourd'hui, personne ne s'en souvient; ni de la nippophobie qui l'accompagna. Les " anti-déclinistes " notent que, pareillement, la hantise de la Maison Blanche et du Congrès vis-à-vis du " yuan dévalorisé " est un faux débat. L'appréciation de la devise chinoise de 5 % aurait un impact sur le PIB américain de " 0,00 quelque chose ", nous disait récemment Jan Hatzius, chef économiste de Goldman Sachs. De même contestent-ils la réalité du déséquilibre commercial sino-américain. Les vieux critères de calculs, disent-ils, sont devenus inopérants. Un exemple : catalogué made in China, l'iPhone pèse officiellement pour 1,9 milliard de dollars dans le déficit commercial américano-chinois. Or des chercheurs de Palo Alto ont calculé qu'en réalité la Chine n'entre que pour 3,6 % dans sa valeur (elle ne fait que l'assembler). Certes, les Etats-Unis ne font pas beaucoup mieux (6 %), mais les entreprises japonaises y contribuent pour 34 %, les allemandes 17 %, les sud-coréennes 13 %, etc. Assimiler l'iPhone à un " produit chinois " est donc un leurre. La Chine, combien de prix Nobel scientifiques ? demandent-ils encore (la réponse est : zéro). Ces voix notent avec satisfaction que le secrétaire au Trésor, Tim Geithner, dans son dernier discours, a minoré la question du yuan pour insister sur des thèmes plus importants : la fin des " pratiques qui violent les engagements internationaux " (vol de propriété intellectuelle, rétro-ingénierie et copiage des brevets systématique, protection de " l'innovation autochtone "...), et l'amélioration de la demande intérieure chinoise. Ces enjeux - avec le recul de la domination stratégique des Etats-Unis - alimentent aussi la vision " décliniste ", que Gideon Rachman résume ainsi dans le dernier Foreign Policy : " Le déclin américain, on connaît la rengaine. Sauf que cette fois c'est différent. " L'argumentaire de ce camp apparaît à l'opinion plus convaincant parce que plus simple : alors que l'influence globale des Etats-Unis recule, celle de la Chine, même si elle en reste loin, progresse - et à un rythme plus rapide que prévu. La sortie prochaine d'un avion de ligne et d'un porte-avions chinois est venue renforcer ces craintes. D'autant que le régime de Pékin instille chez les Américains un doute quasi identitaire. Liberté et initiative individuelle sont les mamelles de la prospérité, clame leur doxa officielle. Or le capitalisme rouge, dominé par un Etat planificateur et antidémocratique, s'avère économiquement plus efficace. Au sortir de la crise, alors que la Réserve fédérale prévoit 3,4 % de croissance aux Etats-Unis en 2011, à Pékin, l'agence de planification économique table sur 8 % (après 10,1 % officiels en 2010). L'agence de planification ? Brrr... C'est dans ce pays désorienté que débarque Mister Hu. Au docteur Obama, Henry Kissinger conseille dans le Washington Post de ne pas oublier ces évidences : " L'exceptionnalisme américain considère naturel de conditionner son attitude vis-à-vis d'autres sociétés à leur acceptation des valeurs américaines. (...) En situation de blocage, les négociateurs américains deviennent agités et impatients... " Avec les Chinois, ce n'est pas la bonne méthode, juge l'homme qui a procédé aux retrouvailles historiques avec la Chine de Mao. Sylvain Cypel Le Temps - International, mardi, 18 janvier 2011 Le chef de l'Etat chinois entame ce mardi une visite d'Etat alors que les relations entre les deux puissances se sont détériorées depuis quelques mois Demandez-le aux Chinois: c'est la faute des Etats-Unis. Selon un sondage récent, la moitié d'entre eux pensent que les relations avec Washington se sont détériorées ces derniers mois. Les tensions autour de la péninsule coréenne, les grandes manoeuvres navales en mer de Chine, la question de Taïwan, mais aussi la faiblesse actuelle du dollar... A l'unisson, les Chinois en rejettent la responsabilité sur Washington. Maintenant, consultez les Américains. La moitié d'entre eux sont persuadés que la Chine est désormais devenue la principale puissance mondiale et jugent menaçante cette prétendue supériorité. En réalité, l'économie américaine reste trois fois plus importante que celle de la Chine. Le danger est surtout dans les têtes. Cette semaine, à Washington, il y aura le tapis rouge, les salves d'honneur et les promesses de coopération, alors que le président chinois Hu Jintao effectue une rare visite d'Etat aux Etats-Unis (la première de cette importance pour un dirigeant chinois depuis quinze ans). Pourtant, peu importe le fait que la complémentarité économique entre les deux pays ait contribué à sortir de la pauvreté des millions de Chinois et qu'elle permette dans le même temps aux Américains de continuer à vivre largement au-dessus de leurs moyens: la méfiance aura rarement été aussi grande. 252,4 milliards de dollars: c'est le montant du déficit commercial enregistré par les Etats-Unis vis-à-vis de la Chine au cours des onze premiers mois de l'année 2010. Le chiffre est en augmentation de plus de 20% par rapport à l'année précédente. Et il ne fait que confirmer une perception désormais générale aux Etats-Unis: en n'achetant pratiquement plus que des produits «made in China», les Américains sont les principaux artisans du développement de la Chine, qu'ils inondent de leurs dollars. Des dollars que Pékin emploie à son tour pour acheter la dette américaine et asseoir ainsi son emprise sur les Etats-Unis. A la veille de la visite de Hu Jintao, les journaux rivalisaient pour rappeler les «astuces» dont se sert la Chine afin de garantir cette supériorité commerciale: manipulation du taux de change, barrières placées au lucratif marché intérieur chinois tandis que ses propres exportateurs sont encouragés par des subventions, pratiques de dumping... Depuis des années, les autorités américaines tentent de convaincre les Chinois de mettre fin à ces «manipulations». L'administration Obama, qui elle-même laisse aujourd'hui se déprécier le dollar pour assurer sa propre relance, s'est faite moins insistante ces derniers temps sur la question. Mais, en guise de message de bienvenue au président chinois, des sénateurs ont relancé le débat cette semaine sur l'éventuel établissement de sanctions commerciales à l'égard de la Chine. Pékin ne prend plus de gants pour l'évoquer: le système économique actuel, basé sur le dollar, «est un produit du passé», expliquait sans ambages Hu Jintao avant de prendre l'avion pour Washington. Pékin, officiellement, verrait bien sa monnaie intégrer un nouveau système dans lequel les Américains ne profiteraient plus des avantages liés à un dollar-roi. Mais jusqu'ici, la Chine n'a pas été prise au sérieux: en devenant la principale détentrice de la dette américaine, elle est devenue extrêmement dépendante de la valeur du dollar et s'est en quelque sorte menottée elle-même. Sur le terrain politique, la Chine est également accusée de tous les maux. Depuis que Barak Obama est arrivé à la Maison-Blanche, il y a deux ans, elle a été soupçonnée pêle-mêle de jouer au chat et à la souris avec l'Indonésie et le Japon, d'aider la Corée du Nord dans ses velléités de prolifération nucléaire en en faisant profiter l'Iran et le Pakistan, de mener des attaques virtuelles contre Google et des sites américains, de mener une campagne contre la Norvège pour empêcher la remise du Prix Nobel de la paix au dissident Liu Xiaobo... A cette longue liste, les plus zélés ajoutent encore les armes que Pékin aurait fournies aux talibans en Afghanistan et celles qui ont été utilisées au Darfour. Signe supplémentaire de la méfiance: alors que le chef du Pentagone Robert Gates se rendait la semaine dernière en Chine pour «relancer la coopération militaire» entre les deux puissances, ses hôtes lui avaient réservé une surprise: une version chinoise du bombardier furtif qui permet d'échapper aux radars, étrangement similaire au modèle américain. Luis Lema, New York Yuan : Washington et Pékin tentent d'aplanir leur différend Les Echos, no. 20851 - International, mercredi, 19 janvier 2011, p. 9 Deux mois après le G20 de Séoul, les Etats-Unis et la Chine vont tenter de désamorcer leurs désaccords en jetant les bases d'une nouvelle forme de coopération bilatérale. Oublier le sommet du G20 de Séoul et jeter les bases d'un Yalta commercial et monétaire. Le président chinois Hu Jintao est arrivé hier à Washington pour une visite de quatre jours dont le point d'orgue sera aujourd'hui sa conférence de presse conjointe avec Barack Obama à la Maison-Blanche. Minutieusement préparée par l'administration démocrate, cette visite d'Etat, qualifiée par certains experts de « plus importante depuis trente ans », vise à aplanir les différends sino-américains sur le front monétaire et commercial en jetant les bases d'une nouvelle coopération entre les deux puissances dont le volume d'échange annuel dépasse 400 milliards de dollars. Face à l'aggravation du déficit commercial américain vis-à-vis de Pékin (270 milliards de dollars en 2010), Washington réclame une appréciation significative du yuan et la levée des barrières protectionnistes. Mais les différences d'optiques restent palpables. « L'Amérique et la Chine sont arrivées à un point de jonction critique, à un moment où les choix que nous ferons, grands ou petits, vont déterminer la trajectoire de cette relation », a souligné la secrétaire d'Etat, Hillary Clinton. Tout en appelant de ses voeux des résultats concrets, elle ne s'est pas privée de critiquer le maintien en détention du prix Nobel de la paix Liu Xiaobo. Premier créancier Avec un niveau de réserves en devises étrangères de 2.850 milliards de dollars, soit quatre fois les réserves du Fonds monétaire international (FMI), dont un tiers investi en bons du Trésor américain, la Chine détient à elle seule 7,5 % de la dette publique américaine (13.560 milliards de dollars au 30 septembre 2010), contre 6,4 % pour le Japon et 11,6 % pour les autres pays étrangers. Une bonne raison pour Washington d'accueillir en grande pompe son premier créancier. Mais cela n'occulte pas les sujets de divergence. Sans aller jusqu'à qualifier Pékin de « manipulateur de monnaie », le Trésor et le Congrès américains, chacun dans leur registre, militent depuis plusieurs mois pour une réévaluation significative du yuan. Jusqu'ici, la Chine a laissé sa monnaie s'apprécier de 3,6 % en 2010 (6 % avec l'inflation). Mais, compte tenu des différentiels d'inflation entre les pays, le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner, juge encore ce niveau insuffisant. « Il n'y a pas de meilleur moyen de préserver le rêve américain et la création d'emplois que de dénoncer la manipulation de sa monnaie par la Chine », a lancé lundi le sénateur démocrate Charles Schumer, qui milite encore pour l'adoption d'une loi antidumping avec un groupe de sénateurs. Face à la demande insistante de réévaluation du yuan et les menaces de rétorsion du Congrès, le président chinois a voulu refroidir les attentes en qualifiant le système monétaire international de « produit du passé » et en réitérant les critiques adressées à la politique monétaire américaine de la Réserve fédérale (Fed). Alors que celle-ci justifie encore sa décision de novembre de procéder à 600 milliards de dollars de rachat de titres du Trésor par la nécessité d'éviter une spirale déflationniste, Pékin y voit surtout une forme de dévaluation compétitive du dollar. La politique monétaire des Etats-Unis a un impact majeur sur la liquidité globale et les flux de capitaux, et la liquidité du dollar devrait donc être maintenue à « un niveau raisonnable et stable », a insisté Hu Jintao dans son interview au « Wall Street Journal ». En guise de signal de détente, le yuan a atteint, le 14 janvier, son plus haut niveau face au dollar depuis dix-sept ans. PIERRE DE GASQUET GE ouvre le bal des partenariats sino-américains Les Echos, no. 20851 - International, mercredi, 19 janvier 2011, p. 9 Parmi les 40 accords industriels en vue, GE a annoncé 2,1 milliards de dollars de grands projets en Chine et un partenariat stratégique dans l'énergie avec China Huadian. Une moisson de grands contrats. Malgré les divergences persistantes sur le front monétaire, c'est ainsi que Pékin entend désamorcer les critiques américaines sur son protectionnisme rampant. Outre 600 millions de dollars de contrats déjà annoncés par la presse chinoise à la veille de l'arrivée du président Hu Jintao, le conglomérat américain General Electric (GE) a ouvert hier le bal de la coopération bilatérale en annonçant 2,1 milliards de dollars de grands projets en Chine dans l'énergie, le transport ferroviaire et l'aérien. Au total, le groupe dirigé par Jeffrey Immelt, qui réalise déjà 5,3 milliards de dollars de chiffre d'affaires en Chine, estime que ces accords devraient contribuer à créer ou à sauvegarder 5.000 emplois aux Etats-Unis. « Une victoire » « Cet accord stratégique est une victoire pour l'économie américaine, les exportations et les emplois américains », a estimé hier Darryl Wilson, vice-président de GE Power & Water, en annonçant un accord de partenariat stratégique de cinq ans avec China Huadian visant à fournir à la Chine 50 turbines à gaz, ce qui représente 2.100 emplois américains et 500 millions de dollars de revenus. Un autre contrata été conclu avec CSR Corp., le fabricant chinois de matériel ferroviaire, qui va investir 50 millions de dollars dans les projets de trains à grande vitesse en Californie et en Floride. Le producteur américain d'aluminium Alcoa a, pour sa part, annoncé hier soir un protocole d'accord de coopération avec le chinois China Power Investment Corporation portant sur des « investissements potentiels de 7,5 miliards de dollars sur plusieurs années ». Dans le domaine financier, Pékin a annoncé, pour la première fois, il y a quelques jours, l'ouverture aux investisseurs étrangers de véhicules d'investissement libellés en yuan. Tandis que la Bank of China a autorisé le 11 janvier le négoce du yuan aux Etats-Unis, JP Morgan et Morgan Stanley ont obtenu des licences pour opérer dans le secteur bancaire chinois et Pharo Management a été autorisé à lancer le premier « hedge fund » investi en yuan. Au total, les milieux d'affaires américains s'attendent à la signature d'une quarantaine d'accords commerciaux, notamment dans le domaine des énergies renouvelables et des combustibles propres. PIERRE DE GASQUET La Chine plus en confiance que jamais face aux Etats-Unis Les Echos, no. 20851 - International, mercredi, 19 janvier 2011, p. 9 Outre qu'elle n'a qu'à peine effleuré la Chine, la crise internationale a achevé de convaincre les autorités chinoises de la justesse de leur analyse des déséquilibres financiers mondiaux. Rarement la Chine aura abordé une rencontre bilatérale avec un tel sentiment de confiance en soi. De fait, en matière économique, Pékin a plusieurs bonnes raisons de ne plus jouer la carte de l'humilité face à Washington. La première est, bien sûr, sa vigoureuse croissance, qui n'a que peu souffert de la crise internationale et semble avoir atteint les 10 % en 2010. Hier, une nouvelle statistique est d'ailleurs venue confirmer l'aura de la Chine dans les milieux d'affaires : les investissements directs étrangers s'y sont établis à 105,74 milliards de dollars l'an dernier. Un record. Par comparaison avec les maux des économies développées, l'empire du Milieu, devenu la deuxième économie mondiale, se sent donc conforté dans ses analyses des causes de la crise internationale. Il pousse aujourd'hui ses pions dans la bataille des idées, en remettant en cause ouvertement la suprématie du dollar dans le système financier mondial. De fait, comme l'ont récemment analysé les économistes de CLSA, la Chine est convaincue que la cause véritable du déficit structurel qu'accusent les Etats-Unis vis-à-vis du reste du monde n'est pas due à la sous-évaluation de la monnaie chinoise, mais plutôt à ce que les économistes nomment le « dilemme de Triffin ». Un mécanisme pervers qui pousse le pays émetteur de la devise de réserve internationale - les Etats-Unis -à inonder le monde de liquidités, du fait de la demande constante du reste du monde pour sa devise, ce qui tend progressivement à dévaloriser cette monnaie. L'assouplissement quantitatif décidé par la Réserve fédérale américaine apparaît, aux yeux des Chinois, comme le dernier avatar de ce dangereux glissement, dont ils subissent les conséquences via un afflux de capitaux spéculatifs, mais également via l'érosion progressive de la valeur de leurs avoirs en dollars. Pour cette raison, Pékin appelle au renforcement du rôle des Droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international comme alternative au dollar. Rééquilibrage de l'économie Quant à la valeur du yuan, elle n'est pas en cause, aux yeux des autorités chinoises. Effectivement, son appréciation de 20 % face au dollar entre 2005 et 2008 n'a rien changé au déficit bilatéral des Etats-Unis - celui-ci s'est même accentué. Surtout, d'après les derniers chiffres disponibles, le rééquilibrage de l'économie chinoise serait en cours. Les importations augmentent en effet plus vite que les exportations. Une bonne nouvelle pour le président chinois, Hu Jintao, qui dispose là d'un argument de poids face aux probables récriminations américaines sur la sous-évaluation de sa monnaie. D'autant que le yuan a connu une appréciation substantielle ces derniers temps. Non seulement sa valeur face au dollar a crû de plus de 3 % depuis juin 2010, mais une vague d'inflation, qui tourne autour de 5 % par an en ce moment, est venue ajouter à ce renchérissement des productions « made in China ». En d'autres termes, la Chine fait face à une très nette hausse de son taux de change réel et est en train d'amorcer le rééquilibrage tant attendu de sa balance commerciale. Sous-entendu : si Washington accuse un déficit bilatéral en hausse, il ne peut s'en prendre qu'à lui-même. GABRIEL GRESILLON Les Etats-Unis reçoivent leur fournisseur et créancier chinois La Croix, no. 38873 - Mercredi, 19 janvier 2011, p. 12 Le président chinois est arrivé hier à Washington pour une visite d'État de quatre jours. Les deux puissances économiques se tiennent : les États-Unis sont le premier client des usines chinoises et la Chine est le premier créancier des États-Unis. Alors, malgré des déclarations parfois acides, les deux pouvoirs se ménagent. Sur la forme, Hu Jintao est reçu par Barack Obama avec une attention exceptionnelle : cérémonie d'arrivée, rencontre bilatérale, conférence de presse et dîner d'État. Hier soir, Hu Jintao était invité à un dîner privé avec le couple Obama, la secrétaire d'État, Hillary Clinton, et le conseil ler pour la sécurité nationale, Tom Donilon. Sur le fond des dossiers, chacun a procédé à une mise au point avant cette visite. C'est une tradition maintenant : les frictions se cristallisent sur les devises. Les Chinois ne veulent pas voir le dollar s'écrouler, car ils détiennent des centaines de milliards de dollars dans leurs caisses, et les Américains voudraient voir s'apprécier la monnaie chinoise, dont le cours est collé au dollar. Les Américains estiment que la dépréciation arbitraire du yuan explique une bonne partie des 140 milliards d'euros de déficit commercial qu'ils enregistrent avec la Chine en 2010. Ils voudraient voir le yuan s'apprécier et devenir une monnaie comme les autres. De son côté, Hu Jintao a déclaré au Wall Street Journal qu'il faudrait longtemps pour que le yuan devienne une monnaie de réserve au même titre que le dollar ou l'euro. Il a qualifié l'organisation actuelle du système monétaire international de « produit du passé ». Faisant référence au rôle dominant du dollar sur le marché des changes, Hu Jintao a critiqué implicitement la politique de la banque centrale américaine. La Fed a en effet décidé en novembre d'émettre plusieurs centaines de milliards de dollars pour soutenir la reprise aux États-Unis. Opportunément, pour équilibrer ces critiques, la Chine apprécie lentement son yuan depuis juin. Ce mois-ci, les autorités chinoises ont également émis des obligations en yuans sur la place de Hong Kong, tandis que la Bank of China propose désormais des opérations en yuans à ses clients à New York. À Paris, la semaine dernière, l'économiste chinois He Fan estimait : « Nous devons effectivement arriver à un taux de change flexible. C'est important, mais pas tant que ça. Ce n'est pas la seule solution aux déséquilibres financiers entre les pays à déficit - Europe et États-Unis - et les pays en surplus - Arabie saoudite, Russie et Chine. » Pour calmer les craintes américaines, la visite de Hu Jintao pourrait donner lieu à la signature d'une série d'achats chinois, dont des avions Boeing. Mais les questions politiques seront forcément abordées entre les deux dirigeants. Les sujets de débats sont nombreux : situation des droits de l'homme et accès à l'Internet en Chine, question tibétaine, revendications maritimes de Pékin face à des alliés américains, restriction des exportations de minerais stratégiques, ventes d'armes américaines à Taïwan. En préambule, Hillary Clinton a appelé à la libération de dissidents tel le Nobel de la paix Liu Xiaobo. Depuis Tokyo, le secrétaire américain à la défense, Robert Gates, a estimé vendredi qu'il y avait des signes d'une « déconnexion » entre dirigeants civils et militaires en Chine. Selon lui, les dirigeants chinois n'étaient pas au courant du premier vol d'essai de l'avion de combat furtif J-20, rendu public la semaine dernière. PIERRE COCHEZ Le Figaro, no. 20672 - Le Figaro Économie, mercredi, 19 janvier 2011, p. 22 La sous-évaluation de la devise chinoise sera au coeur des entretiens entre Barack Obama et Hu Jintao aujourd'hui à Washington. Pékin réévalue sa monnaie à son rythme, tout en rêvant d'un yuan aussi important que le dollar. Le taux de change du yuan sera au coeur des entretiens entre Hu Jintao et Barack Obama aujourd'hui à la Maison-Blanche. Dans un entretien écrit avec la presse américaine, le président chinois s'est montré peu enclin à accepter les arguments américains en faveur d'une appréciation rapide de sa monnaie. La grande question aujourd'hui est de savoir si Pékin a une réelle stratégie sur le sujet. Ou si la Chine agit au coup par coup, en fonction des accès de pression internationale et d'impératifs internes. Malgré d'évidentes divergences entre certains groupes d'intérêts et la Banque centrale, par exemple, tout laisse penser que Pékin sait où il va. « La Chine a des objectifs à long terme. À savoir plus de consommation, une hausse du pouvoir d'achat de la classe moyenne et le développement du secteur des services, estime Luca Silipo, chef économiste pour l'Asie-Pacifique chez Natixis. Ces trois objectifs passent par un yuan plus fort. Ils savent très bien qu'il doit s'apprécier, mais ils le font prudemment, graduellement, avec des pauses. Mais cela est tout sauf improvisé. » Le yuan s'est apprécié de 3,9 % depuis juin dernier, et on s'attend à une appréciation de 5 à 6 % pour 2011. Tout le monde a noté aussi, dans la même interview, la saillie de Hu Jintao contre le système monétaire international actuel, qualifié de « produit du passé », même s'il a reconnu qu'il faudrait longtemps avant que le yuan devienne une monnaie de réserve. Des propos peu amènes pour le dollar. De fait, Pékin avance un jalon pour que le yuan devienne une monnaie d'échanges internationaux, même si elle reste non convertible. Depuis deux ans, la Chine a signé une série d'accords d'échanges de devises (swaps) et lancé à titre expérimental des règlements en yuans avec une série de pays, surtout d'Asie du Sud-Est. Monnaie de réserve Les banques de Hongkong sont autorisées à utiliser le yuan pour les paiements entre entreprises, ce qui ouvre la porte à des produits financiers libellés en yuans. Symboliquement, McDonald's a été la première entreprise non financière à annoncer l'émission d'obligations en yuans pour 30 millions de dollars. La semaine dernière, Pékin a décidé d'ouvrir le marché des obligations interbancaires chinoises à davantage d'investisseurs étrangers. « Il est évident qu'ils veulent fermement avancer dans ce sens, poursuit Luca Silipo. Ce qui est moins clair, c'est si les dirigeants chinois pensent réellement que le yuan puisse se substituer au dollar comme monnaie de réserve. Leur idée est sans doute d'évoluer vers plus de liberté dans les mouvements de capitaux, avec donc plus d'utilisation internationale du yuan. Là encore, ils vont prudemment mais de manière décidée. » Économiste américain, enseignant à l'Université de Pékin, Michael Pettis estime qu'il y a un « vague objectif à long terme d'un yuan monnaie internationale majeure à parité avec le dollar », mais qu'il n'est pas sûr que la Chine y parvienne. « De ce point de vue-là, cela me rappelle ce que les gens disaient du yen japonais il y a vingt ans. » À l'époque, rappelle-t-il, la part du PIB japonais dans celui du monde était le double de celle de la Chine aujourd'hui. « Malgré ces débats excitants, le yen n'est jamais devenu une importante monnaie de réserve ou d'échanges, poursuit-il. Il a connu nombre des problèmes auxquels doit faire face le yuan aujourd'hui. » Arnaud de la Grange, Correspondant à Pékin Le lobby prochinois veut empêcher les sanctions Le Figaro, no. 20672 - Le Figaro Économie, mercredi, 19 janvier 2011, p. 22 RÉGULIÈREMENT, des bouffées de colère traversent le Congrès américain à propos de la Chine, accusée de sous-évaluer sa monnaie et d'être en conséquence responsable de l'ampleur du déficit commercial et de la destruction de millions d'emplois en Amérique. Surfant sur un taux de chômage de plus de 9 % plusieurs sénateurs démocrates ont appelé à voter une loi visant à instaurer des sanctions commerciales pour « punir » Pékin. Mais nul à Washington ne semble croire à la réalité de cette épée de Damoclès maintes fois brandie. Car dans les coulisses du Capitole, le « lobby prochinois » veille au grain, bien décidé à empêcher le déclenchement d'une guerre commerciale. Depuis plus d'une décennie, ce « lobby » - qui désigne essentiellement le monde des grands groupes américains implantés en Chine, mais aussi les entreprises exportatrices et importatrices qui commercent avec l'empire du Milieu -, a largement façonné la politique de Washington, appelant, à chaque crise bilatérale, à l'indulgence et la modération. Le monde des affaires a toujours défendu, avec succès, l'idée qu'une Chine forte et prospère jouait en faveur des intérêts de l'Amérique. C'est lui qui a plaidé pour l'entrée rapide du géant chinois dans l'OMC, appelant à ne pas être trop regardant sur l'ouverture des marchés au nom des opportunités à venir. C'est lui qui a freiné les ardeurs d'autres « acteurs » de la relation sino-américaine - nationalistes chinois, lobby des droits de l'homme, syndicats opposés à la délocalisation, militaires - favorables à un durcissement de ton. « Le résultat des élections de mi-mandat devrait conforter cette approche, vu la poussée des républicains », très en phase avec les grandes corporations, confiait hier au Figaro Daniel Drezner, professeur à la Fletcher School of Diplomacy. Accès aux marchés Dans une note publiée par le journal Foreign Policy - intitulée « La mort du lobby chinois? » - Drezner notait pourtant en juillet un net changement du côté des entreprises. Il expliquait que ces dernières avaient perdu « leurs illusions » en terre chinoise, au fur et à mesure qu'elles se heurtaient à l'opacité des appels d'offre et à la question récurrente de la protection des droits intellectuels. « Je suis vraiment inquiet à propos de la Chine, je ne suis pas sûr que les Chinois veuillent nous voir réussir », aurait ainsi noté le patron de General Electric Jeffrey Immelt, l'un des champions du marché chinois avec Wal Mart et General Motors. Son sino-scepticisme semble refléter une tendance croissante au sein du monde des affaires américain, qui réclame un durcissement du ton, mais pas nécessairement sur la question monétaire. « Pour eux, l'ouverture des marchés est beaucoup plus importante que la réévaluation du yuan », note Drezner. La loi sur « l'innovation locale » mise en place par les Chinois en 2009, qui limite les achats de produits étrangers à ceux qui sont produits en Chine, est au coeur des préoccupations. Quelque 25 % des firmes américaines auraient perdu des marchés à cause de cette nouvelle politique. Laure Mandeville, Correspondante à Washington Correspondante à Washington Hu Jintao débarque à Washington en période de grand froid Libération - Monde, mercredi, 19 janvier 2011, p. 8 Le président chinois, Hu Jintao, a entamé hier une visite d'Etat de quatre jours aux Etats-Unis. Le représentant de la seconde puissance économique mondiale sera reçu avec des égards que Washington accorde rarement à des dignitaires étrangers, même à ses alliés. Hu dînera à deux reprises à la Maison Blanche, dont une fois en quasi-tête-à-tête avec Obama dans un salon intime. Singulière rencontre entre le Prix Nobel de la paix 2009 et le «geôlier» du Nobel 2010, le dissident Liu Xiaobo : il ne faudra pas s'attendre à des proclamations d'amitié. «Hardiesse». Qualifiée de «partenariat stratégique constructif» pendant les années Clinton, la relation sino-américaine est désormais ravalée au rang de simple «coopération constructive» et est devenue «ambiguë», déplorait hier le quotidien chinois Global Times.«La méfiance règne de part et d'autre», reconnaissait à la mi-janvier la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton. Semblant craindre que les perceptions puissent prendre le pas sur la realpolitik, celle-ci a tenu à mettre en garde les Cassandre : «Certains voient dans la croissance chinoise une menace qui va conduire à un conflit du style guerre froide ou à un déclin américain. Tandis qu'en Chine, certains pensent que les Etats-Unis ont pour objectif de contenir leur essor et brider leur croissance, attisant ainsi une nouvelle forme de nationalisme chinois.» C'est dire si les rapports entre Washington et la grande puissance émergente sont parvenus à un véritable tournant, dont la direction dépendra beaucoup des résultats de la visite de Hu. Les contentieux touchent à tous les domaines : taux de change du yuan, barrières commerciales, ventes d'armes américaines à Taïwan, protection de la propriété intellectuelle, droits de l'homme, censure d'Internet, stratégie militaire... L'affermissement des revendications maritimes de Pékin en Asie du Nord et du Sud-Est et son influence croissante dans les pays de la région ont conduit l'an dernier les Etats-Unis à lancer une contre-offensive. Washington s'est rapproché diplomatiquement et militairement de pays comme le Vietnam, et a resserré ses liens avec ses alliés sud-coréen et japonais. «Le coeur de la stratégie américaine dans la région Asie-Pacifique ne vise à rien d'autre qu'à contenir l'influence croissante de la Chine», réagit côté chinois Wang Fan, directeur de l'Institut des relations internationales de l'Université des affaires étrangères. Le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, qui a été reçu sans grands égards début janvier à Pékin, ne dément pas cette analyse : «La présence militaire américaine dans le Pacifique est essentielle pour restreindre la hardiesse chinoise», déclarait-il sans ambages la semaine dernière à Séoul. «Sans le déploiement avancé de troupes américaines au Japon, la Chine pourrait se comporter de manière plus hardie à l'égard de ses voisins», lançait-il peu après à Tokyo, alors que le Japon a été cet hiver la cible de menaces de Pékin, qui réaffirmait sa souveraineté sur les îles Senkaku, que se disputent les deux capitales. Les attaques lancées l'an dernier par la Corée du Nord contre la Corée du Sud - une frégate a été coulée (46 morts) et une île bombardée (4 décès) - ont également conduit le Pentagone à déployer un porte-avions non loin des côtes chinoises. L'armée chinoise a réagi en révélant qu'elle mettait au point deux prototypes d'armes menaçant potentiellement la Navy : un avion furtif et un missile antiporte-avions. Pression. L'annonce cet été de nouvelles ventes d'armes américaines à Taïwan, île revendiquée par Pékin depuis 1949, a aussi déclenché des réactions inhabituellement stridentes du gouvernement chinois. Hu Jintao devrait d'ailleurs tenter d'obtenir des Etats-Unis un engagement à diminuer ses fournitures militaires à Taipei. Washington, peu enclin à ce genre de compromis, exige pour sa part que Pékin exerce une pression suffisante sur le régime nord-coréen - qui doit en grande partie sa longévité à l'aide économique chinoise - pour le contraindre à renoncer à l'arme atomique, ou du moins à revenir à la table des négociations. La Chine, qui considère la Corée du Nord comme un indispensable «Etat tampon», n'est toutefois pas disposée à prendre son allié à la gorge pour satisfaire le rival américain. Hu et Obama auront aussi du mal à s'entendre sur les droits de l'homme, que la Chine viole sans remords pour préserver «l'harmonie sociale». Pékin ne reviendra pas non plus sur la censure d'Internet, qu'il cherche à renforcer, ni Washington sur sa décision de financer le développement de logiciels pour la contourner. Reste le yuan. Le Congrès américain envisage, une nouvelle fois, de prendre des mesures de rétorsion contre Pékin s'il ne réévalue pas sa monnaie, accusée de mettre les ouvriers américains au chômage en favorisant les exportations chinoises. «La Chine manipule sa monnaie», accuse le sénateur démocrate Charles Schumer. Face aux récriminations américaines (et européennes), Pékin a laissé le taux du yuan monter très légèrement depuis six mois. Une hausse supplémentaire, disent des experts chinois, pourrait utilement aider leur pays à contenir une inflation perçue comme porteuse de désordres sociaux. Mais, ajoutent ces experts, la Chine n'agira que dans son propre intérêt, et «jamais sous la pression américaine». Philippe Grangereau, Correspondant à Pékin
Chine-Amérique : détente ou guerre froide?
Basketteur de 2,30 mètres, Yao Ming, vedette des Houston Rockets, a été choisi par Shanghai Lintas Advertising pour être la guest star d'une campagne de publicité lancée aux Etats-Unis, mardi 18 janvier, au moment où le président chinois Hu Jintao devait y commencer sa première visite d'Etat. Objectif : " Promouvoir vigoureusement le développement et la prospérité de la culture socialiste et de notre soft power national ", selon les propos d'un employé du Bureau d'information du Conseil d'Etat chinois, commanditaire de l'opération.
Hu Jintao à Washington, entre méfiance et coopération
Hu Jintao a entamé hier une visite de quatre jours aux États-Unis. Les intérêts entre les deux pays sont nombreux
La bataille yuan-dollar s'invite à Washington
Yuan, influence militaire, droits de l'homme : les sujets sensibles au menu des discussions entre les présidents chinois et américain sont nombreux.
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