mardi 18 janvier 2011

Habitants contre moulins à vent - Philippe Ollivier


Manière de voir, no. 115 - Batailles pour l'énergie, mardi, 1 février 2011, p. 28

Philippe Ollivier
, Journaliste, auteur de Eoliennes, quand le vent nous éclaire, Privat, Toulouse, 2006.

A lui seul, le vent ne réglera pas le problème du désordre climatique. Mais il peut y contribuer. Toutefois, si des parcs d'éoliennes commencent à s'implanter, ils ont encore de nombreux détracteurs.

Le chiffre symbolique des 1 000 mégawatts (MW) d'énergie éolienne installée en France a été atteint en septembre 2006. Pour mettre en perspective cette puissance, il faut la rapporter à d'autres chiffres : 1 000 MW équivalent à une tranche de centrale nucléaire. L'Allemagne, le champion européen, possédait fin 2009 une capacité éolienne de 25 800 MW, derrière les Etats-Unis (35 000 MW) et la Chine (26 000 MW).

En France, après avoir longtemps stagné, le développement éolien a été considérable au cours des cinq dernières années. Il a pratiquement doublé entre 2004 et 2006, et n'a cessé de croître depuis. Cette subite émergence des éoliennes dans le paysage a provoqué des interrogations de la part des riverains. Plus grave, deux éoliennes ont explosé en novembre 2006 dans l'Aude, victimes d'une guérilla qui réclame leur suppression pure et simple.

Ce questionnement résulte en partie du retard de la France en la matière. En effet, en Allemagne, au Danemark et en Espagne, leaders historiques, l'éolien est entré dans les moeurs, et pratiquement tout a été dit sur ses avantages et ses inconvénients. En Espagne, en particulier, des consultations régionales ont été organisées dès 1996 et chaque région s'est déterminée. Certaines ont refusé l'éolien, lui préférant le solaire. L'Andalousie, pour sa part, a choisi l'énergie du vent qui, au total, a créé 30 000 emplois dans le pays (1).

Les premiers parcs éoliens français ont rassemblé quelques machines dans des zones relativement peu peuplées. Avec la multiplication de ces installations, au début des années 2000, une soudaine prise de conscience s'est fait jour quant aux problèmes posés par ce type d'énergie. Il faut noter que, à quelques exceptions près, comme autour des installations nucléaires de Superphénix et de Plogoff - et encore, plus pour des raisons liées au maintien de l'ordre qu'à un véritable débat démocratique -, le débat sur l'énergie a rarement été porté sur la place publique. Depuis la fin des années 1960, la France a confié la majeure partie de sa production énergétique au nucléaire, il semblait donc que la discussion était close... si même elle avait jamais existé.

D'autre part, sur un plan environnemental, le retard français dans l'éolien s'explique par le fait que les plus gros pollueurs (Allemagne, Danemark, Royaume-Uni) ont été sensibles aux énergies naturelles renouvelables (ENR) sous la pression des groupes politiques Verts. Or, les centrales nucléaires ne rejetant que très peu de gaz à effet de serre (GES), les gouvernements français successifs n'ont pas inscrit les ENR dans leurs priorités. D'un point de vue strictement politique, les colosses multinationaux que sont EDF et les entreprises du nucléaire, toutes contrôlées par l'Etat à divers niveaux, ont une évidente influence dans les décisions des élus locaux. Enfin, la disposition pronucléaire de la Confédération générale du travail (CGT), syndicat majoritaire chez l'électricien, a contribué à dissuader les gouvernants de remettre en cause une politique énergétique qui, finalement, arrangeait tout le monde.

C'est dans ce tableau bien encadré qu'apparaissent un jour une, deux, trois, dix éoliennes, puis des parcs entiers. Avec elles surgissent des opposants que l'on pourrait classer en deux catégories : les conjoncturels et les structurels, les opposants de circonstance et ceux qui, pour le principe, ont déclaré la guerre à l'éolien. L'argumentation la plus générale porte sur deux grands thèmes. Quelle est la justification économique ? Quel est l'impact sur l'environnement ?

Les opposants avancent que cette technologie n'a aucun impact économique et, renouant pour le coup avec des arguments protectionnistes, précisent que les éoliennes sont toutes fabriquées à l'étranger. Les chiffres leur donnent tort : un millier d'emplois directs ont été créés en France d'après Eurobserver (2), et au moins le double indirectement pour la construction et l'entretien des machines ; les parcs contribuant au budget des communes où ils sont installés par le biais de la taxe professionnelle. De plus, beaucoup d'entreprises françaises sont des sous-traitants de fabricants étrangers.

Il est souvent reproché aux propriétaires d'éoliennes de revendre leur électricité à EDF à un prix trop élevé. Ce prix - révisable - a été calculé pour permettre à cette source d'énergie alternative d'émerger. C'est un choix politique (comme celui d'aider très largement EDF) - et pas seulement français. Toutefois, s'il est assez aisé de répondre à la question économique, celle concernant l'environnement est plus délicate.

L'éolien abîme le paysage ! La critique émane notamment des propriétaires fonciers membres de la très chic association des Vieilles Maisons françaises, regroupant propriétaires de châteaux et de manoirs, dont le site Internet proclame : "L'invasion des éoliennes géantes (...) risque de transformer en véritables zones industrielles les sites et le cadre des monuments les plus emblématiques de France. La protection de nos demeures n'est plus qu'une garantie fragile, voire illusoire (3)" ; le rejet vient aussi des néoruraux installés récemment dans des campagnes qu'ils avaient idéalisées - sans éoliennes, mais également sans coqs et sans clochers. A cela, il n'y a qu'une réponse : l'implantation d'une éolienne est soumise à de très nombreuses autorisations. Un constructeur espagnol a recensé, en France, 32 services, de l'Etat et des collectivités, concernés. C'est une garantie sinon esthétique - c'est au goût de chacun de se prononcer, et une éolienne vaut bien une ligne à très haute tension ou un château d'eau -, du moins légale.

Les éoliennes sont bruyantes ! Pour certaines des premières, l'argument était justifié. Mais il en va de l'éolienne comme de toutes les technologies : elle s'améliore. Sous des aspects simples, ces engins partagent des technologies avec l'aéronautique. Donc le silence est requis, là encore contrôlé par l'organisme idoine. En fait, bien souvent, on entend davantage le vent que les machines.

Phénomène de subjectivité collective, voire de désinformation, la plupart de ces griefs sont émis avant les implantations. Très loin de posséder la puissance de feu communicatrice d'EDF, les bureaux d'étude promoteurs de l'éolien ont du mal à faire passer leur message. Ils ont trouvé la parade en invitant les futurs voisins d'éoliennes à visiter des sites en fonctionnement. En général, les objections concernant le bruit et les nuisances diverses tombent après cette visite.

A l'opposé, il existe un groupe "anti" qui a fait de la lutte contre l'éolien sa raison de vivre. Cette fédération rassemblant aujourd'hui un peu plus de 200 associations de tailles diverses, connue sous le nom de Vent de colère, est née dans l'Aude, département historique du point de vue éolien. Son fondateur, M. Pierre Bonn, s'est un jour aperçu que des éoliennes allaient être implantées dans le voisinage (4). Et, comme il le dit lui-même, il "n'a pu le supporter". Ancien des services de renseignement de l'armée, retraité de l'industrie chimique, M. Bonn a mis à profit ses connaissances en matière d'"information-désinformation". Il a ainsi construit une sorte de vade-mecum antiéolien dont il va appliquer la recette dès qu'une commune est visée par l'implantation d'un parc.

Il est à même de rassembler quelques dizaines de personnes - pas forcément habitants de ladite commune - pour constituer des réseaux d'agit-prop efficaces. Tout lui est bon : sondages (contrôlés uniquement par Vent de colère), trucages de photos pour montrer les éoliennes plus proches et plus grandes qu'elles ne le seront en réalité. La rhétorique de Vent de colère reprend dans ses grandes lignes les questionnements évoqués plus haut, mais en leur apportant des réponses non démontrables et parfois fausses. Ainsi, l'association exhibe sur son site Internet (5) des photos d'oiseaux morts qu'on présume avoir été tués par les pales des éoliennes. Rien ne le prouve. Sans nier les risques que font courir les éoliennes aux oiseaux et aux chauves-souris, la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) note que ceux-ci sont largement inférieurs aux risques classiques : agriculture intensive, chasse, fils électriques (6)...

Il a été dit que les opposants à l'éolienne étaient manipulés par EDF et les entreprises du nucléaire. Rien n'a été démontré en ce sens. Et la thèse semble ne pas tenir. En effet, EDF est le premier opérateur éolien en France via sa filiale EDF Energies nouvelles. On imagine assez mal l'électricien se tirer une balle dans le pied. De son côté, Areva (7) a reconnu la pertinence d'une intégration de l'éolien dans un "mix" énergétique équilibré... comprenant le nucléaire. Il peut s'agir ici, pour l'une et l'autre entreprise, de se donner une bonne conscience écologique.

Les motivations des membres de Vent de colère sont multiples et sans doute moins simplistes que leurs slogans. Tous déclarent se rassembler sous la bannière de l'"antiéolien industriel". Cette précision laisse penser que Vent de colère serait favorable à ce que l'on appelle le petit éolien - des machines n'excédant pas douze mètres de haut, capables de fournir une énergie d'appoint pour une habitation. On trouve ce type de machines dans des zones non desservies par le réseau électrique ou, ponctuellement, pour fournir de l'énergie à une bergerie isolée, ou dans un parc naturel comme outil de développement durable. A la différence de leurs grandes soeurs industrielles, elles ne nécessitent pas de permis de construire et ne sont ainsi pas soumises au contrôle d'une autorité régulatrice.

Si on interroge M. Bonn, il explique : "J'ai engagé le combat parce que je ne veux pas de leurs machines à côté de chez moi." Outre sa batterie d'actions de "communication", l'association porte chaque projet éolien devant les tribunaux administratifs. Ce harcèlement contribue à allonger les délais déjà passablement longs. Ainsi, les projets qui aboutissent furent parfois lancés cinq ans plus tôt, le délai moyen étant de trente mois. Paradoxalement, cet obstacle oblige les sociétés à disposer d'une solide charpente financière pour assumer cette attente.

Si les adversaires font parler d'eux, les partisans des éoliennes se montrent beaucoup plus discrets. Ils existent pourtant, eux aussi groupés en associations ; et 800 élus ont déjà affirmé leur choix en faveur de cette énergie renouvelable. Certes, l'éolien ne contribue pas directement à limiter les gaz à effet de serre, en France du moins, et pour les raisons précédemment évoquées. Il ne fera jamais rouler les camions ni voler les avions. Mais chaque kilowatt éolien représente un kilowatt nucléaire en moins, et des centaines de kilos de déchets radioactifs de longue durée (que l'on ne sait toujours pas stocker sans risques) sont ainsi épargnés.

L'autre contribution à la protection de l'environnement, c'est la réversibilité. Il faudra plusieurs décennies avant que les centaines d'hectares pollués par les installations nucléaires ou les raffineries de pétrole puissent être rendues à l'utilisation humaine. Un parc éolien peut être démonté en quelques mois...


(1) Ministère de l'environnement espagnol, cf. www.actu-environnement.com
(2) Eurobserver est un observatoire européen spécialisé dans les énergies renouve-lables qui fait référence dans toutes les études sur le sujet (www.eurobserv-er.org). Cf. également La Lettre n° 8 du Syndicat des énergies renouvelables (www.enr.fr).
(3) www.vmf.net
(4) Il faut relativiser la notion de voisinage. Une éolienne industrielle ne doit pas être implantée à moins de 400 mètres d'une maison. Cette distance est la première exigence que font respecter les préfets et certains ont repoussé cette zone à 600 mètres. A comparer avec la distance réglementaire (200 mètres) de la voie de passage des TGV à proximité d'une habitation.
(5) www.ventdecolere.org
(6) www.lpo.fr
(7) Areva a acquis, en 2005, 21,5 % de Repower, un important constructeur allemand d'éoliennes de Hambourg.

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